Porté au Pinacle pour sa gestion des première et deuxième vagues du Covid-19, le Sénégal voit sa vitrine craqueler à cause d’une gestion approximative de la troisième vague. Confronté à un problème d’oxygène pour la prise en charge des cas graves dans les Cte, le gouvernement a décidé d’assurer la régulation du produit qui a connu une spéculation ces dernières semaines.
Après les félicitations mondiales, l’heure du K.o. Comme un tsunami, la troisième vague déferle sur le système sanitaire et a fait apparaître au grand jour ses problèmes conjoncturels et structurels. Les tensions dans les Centres de traitement des épidémies (Cte) sont une vraie plaie qui est en train de contaminer la stratégie en place pour la prise en charge des malades du Covid-19.
Aujourd’hui, le manque d’oxygène dans les Cte est une fâcheuse réalité. Intrant majeur dans la prise en charge des malades en détresse respiratoire, il est devenu un «trésor de guerre», un business florissant pour les principaux fournisseurs et aussi les cliniques privées devenues un refuge pour les fortunés. Face à cette situation, le ministère de la Santé et de l’action sociale essaie de remettre de l’ordre dans le secteur et mettre fin à la spéculation autour du produit. Hier, Abdoulaye Diouf Sarr a signé un partenariat avec les «gaziers» pour assurer la sécurisation de l’oxygène et avoir une mainmise sur le produit. Autrement dit, le gouvernement a réquisitionné toute la production comme il l’avait fait avec la chloroquine au début de la pandémie.
Hier, le Msas a reçu les fournisseurs pour assurer un approvisionnement correct de l’oxygène pour la prise en charge des cas graves de Covid-19. «Face à la hausse des cas graves et des patients admis en réanimation, le ministre de la Santé Abdoulaye Diouf Sarr a reçu ce matin (hier) les principaux gaziers du pays», annonce le ministère de la Santé dans un post Facebook. Il ajoute : «Les discussions ont tourné autour de quatre points : l’approvisionnement, la production, la régulation et le suivi. Producteurs et fournisseurs d’oxygène, pour la disponibilité au maximum de ce premier intrant, premier médicament dans la prise en charge des cas sérieux, l’Etat a ainsi pris une option sur la production d’oxygène de ces gaziers, un produit qui sera essentiellement réservé au système de santé, au vu de l’évolution de la pandémie.»
Rassuré par cette disponibilité des gaziers intégrés dans le Comité national de gestion des épidémies (Cnge), Abdou laye Diouf Sarr a «salué l’attitude citoyenne des gaziers qui ont montré toute leur disponibilité et leur engagement à travailler aux côtés du ministère». Cette mainmise sur la production d’oxygène des privés, ajoutée à la commande de 35 générateurs dont l’installation est prévue à partir de la mi-août dont deux centrales de 40 m3 attendues le 12 août prochain et installées à Fann et à Dalal Jamm, est un bol d’air frais pour les autorités médicales qui ont déjà injecté dans le circuit 125 mille m3 dans les Cte. En même temps, le gouvernement va atténuer la souffrance des malades et rallumer la flamme de l’espoir éteinte ces dernières semaines à cause de la hausse vertigineuse des cas de décès et admis dans les services de réanimation saturés.
Pr El Hadji enfonce le clou
Aujourd’hui, le voile de discrétion entourant la dure réalité cachée dans les Cte a volé pour laisser apparaître des scènes de tragédie. Pendant des semaines, le ministre de la Santé s’est entêté dans le déni, mais il est rattrapé par cette «crise de l’oxygène» qui a éclaté au grand jour. En plus des tensions, le burn-out du personnel soignant, le système sanitaire est à bout de souffle à l’image d’un patient en détresse respiratoire. N’est-ce pas ? «La situation est catastrophique. On trimballait des femmes enceintes pour trouver un poste de santé pour son accouchement… Aujourd’hui, les ambulances tournent avec les malades un peu partout et on leur dit que les hôpitaux sont pleins. Finalement, ils décèdent dans les véhicules. On n’a plus d’endroit pour prendre en charge les malades. C’est une situation dramatique», révèle Pr El Hadji Niang, chef du service de Radiologie de l’Hôpital Aristide Le Dantec et président de la Ligue des consommateurs, sur Tfm. Pourquoi ? «C’est simple. Il n’y a pas d’oxygène dans la plupart des hôpitaux. Certains ont peur de lancer l’alerte et se disent que toute vérité n’est pas bonne à dire. Si on ne dit pas la vérité, les problèmes ne sont pas solutionnés. Je ne veux pas polémiquer, mais je suis témoin des faits que je rapporte. On m’a référé des malades et j’étais obligé de faire le tour des hôpitaux et ils décèdent. C’est une expérience que j’ai vécue… On n’a pas les moyens de faire face à la pandémie parce qu’on vend l’oxygène. Il y a certains qui font des tests rapides et prennent en charge des malades chez eux», avance sans ambages le scientifique. Il enfonce le clou : «La vente du matériel du public dans le privé, c’est une vieille pratique dans ce pays. C’est juste la face visible de l’iceberg.» Clap de la fin d’une gestion qui avait émerveillé la communauté internationale.
Par Bocar SAKHO