Ces goulots d’étranglement qui bloquent l’objectif d’autosuffisance en riz

par pierre Dieme

Malgré des dizaines de milliards de FCFA injectés dans la riziculture, le Sénégal peine toujours à être autosuffisant dans ce domaine à cause de nombreux goulots d’étranglement, quatre ans après le délai que s’était fixé le président de la république.

Depuis la crise alimentaire de 2008, la question de la souveraineté alimentaire est toujours d’actualité au Sénégal. Arrivé au pouvoir au 2012, le Président Macky Sall lance deux ans plus tard un projet d’autosuffisance en riz pour l’horizon 2017. Pour matérialiser cette ambition du chef de l’Etat, le Programme national d’autosuffisance en riz (PNAR) a été mis en place. Son objectif est de renforcer la promotion et le développement de la filière riz local à travers la modernisation des moyens et méthodes de productions et de transformation, la professionnalisation des acteurs visant à améliorer la sécurité alimentaire et, en fin de compte, donner un coup de fouet à la lutte contre la pauvreté. Mais à date échue, l’échec est constaté par le chef de l’Etat lui-même qui a dû repousser l’échéance à une date ultérieure.

Entre 2014 et 2019, l’Etat du Sénégal a investi sur ressources propres 75 milliards de francs CFA dans la riziculture sans compter l’apport des partenaires techniques et financiers, indique Waly Diouf, coordonnateur du Programme national d’autosuffisance en riz (PNAR) contacté par Calame Sud. . « Cet investissement a permis d’améliorer le niveau d’accès des producteurs aux intrants, de renforcer et moderniser les équipements de production, de récolte et de transformation, d’améliorer la maitrise de l’eau agricole ainsi que les services conseil », indique-t-il. Chez les producteurs et autres acteurs de terrain, le constat est amer. « Le gouvernement a investi beaucoup d’argent sur ce programme. Malgré cet investissement, l’autosuffisance en riz n’est toujours pas une réalité au Sénégal. Parce que pour avoir du riz, il faut des aménagements, or il n’y a pas d’aménagement ni de piste de production suffisantes», explique Daouda Gaye, président du regroupement des producteurs de riz du département de Dagana.

DES MILLIARDS DE FCFA QUI VONT AILLEURS

Selon lui, la centaine de milliards que l’Etat a mobilisé pour ce programme profite à d’autres personnes qui ne sont pas des producteurs, mais aux politiques et autres « paysans du dimanche » qui n’ont aucune expérience dans ce domaine. « Des hommes politiques détournent les financements et les intrants à des fins personnelles. Par exemple, le kilogramme d’engrais est vendu à l’Etat à 350 FCFA alors qu’il coûte moins à l’étranger. Ces pratiques ont été dénoncées par le député de la mouvance présidentielle Moustapha Cissé Lo et cela avait soulevé beaucoup de polémique », s’insurge Daouda Guèye. « Il y a une mafia aussi sur les équipements. Une machine qui ne coûte même pas 10 millions FCFA est vendue à 27 ou 30 millions FCFA. Pire, elles ne sont pas de bonne qualité car la plupart d’entre elles tombent en panne assez vite », déplore le producteur de Dagana.

Par ailleurs, il signale que les productions déclarées par le ministère de l’Agriculture pour la campagne agricole 2019- 2020 (1 155 730 tonnes de riz) sont fausses. « Cette année, les pluies ont détruit beaucoup de cultures au niveau de la vallée du Fleuve Sénégal. Du coup les gens n’ont rien récolté. » Néanmoins, Daouda Guèye estime possible que le Sénégal atteigne enfin cette autosuffisance en riz dès l’année prochaine. Mais à condition que tous les producteurs soient sérieusement impliqués dans le programme que l’Etat devrait dérouler.

LES ÉQUIPEMENTS MÉCANIQUES EN QUESTION

Pour sa part, le coordonnateur du PNAR relève que c’est la combinaison de plusieurs facteurs qui a empêché l’atteinte des objectifs qui étaient fixés initialement. « En 2014, l’image de la riziculture sénégalaise était peu reluisante. Pour la riziculture irriguée en plus de la faiblesse des aménagements, s’ajoutaient des problèmes liés à l’écoulement des eaux d’irrigation et de drainage, au manque de tracteurs de moissonneuses batteuses. Il y avait un réel problème d’écoulement des eaux. En ce qui concerne la riziculture pluviale, elle a été abandonnée à elle-même. Elle produisait très peu. Les rendements étaient très faibles et il n’y avait pratiquement pas d’équipements », a-t-il rappelé. Alertées à plusieurs niveaux, les autorités étatiques ont réagi en injectant des ressources massives pour corriger les failles et donner une nouvelle impulsion au programme, rassure Waly Diouf. « Le diagnostic a été fait avec les acteurs. Ces derniers étaient engagés à apporter leurs contributions. A partir de 2017-2018, quand on a fait l’évaluation avec eux, nous avons constaté que si pratiquement l’Etat a respecté ses engagements, par contre les producteurs n’avaient pas respecté les leurs. Et l’un de ces engagements majeurs était la double culture c’est-à-dire la culture par irrigation. Ils ne l’ont pas respecté », se désole le coordinateur du Pnar. Pour qui ce manquement a coûté à la filière riz une production de 200 mille tonnes en moins.

LA DÉFAILLANCE DE CERTAINS PRODUCTEURS

« Le retard qui a été noté dans l’un des projets phares financé par Eximbank Inde qui devait permettre au Sénégal avant même l’hivernage 2015, d’exploiter 20 mille hectares additionnels en double culture intégrale, devrait nous apporter une production de 300 mille tonnes. 300 mille tonnes à cause du retard d’un projet, plus 200 mille tonnes du fait d’un non-respect des engagements des producteurs revient à 500 mille tonnes. En 2017, on était à 1,100 millions tonnes. C’est cela qui nous permettrait d’aller à 1,600 millions tonnes de riz », se dédouane-t-il. Malgré tout, des avancées non négligeables ont été enregistrées dans la chaîne de valeur riz, en dépit des errements et difficultés rencontrés en cours de chemin. Waly Diouf note, d’abord, que la production nationale a été multipliée par 3,5 entre 2008 et 2020, passant de 408 000 tonnes à 1,45 millions tonnes aujourd’hui. Ensuite, le riz sénégalais est présent sur tout le territoire national et en bonne qualité durant toute l’année. Enfin, les acteurs de la chaine de valeur reconnaissent tous le « très grand changement » intervenu dans leurs conditions de travail.

PAR NDÈYE AMINATA CISSÉ

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