Estimée à plus de 16 millions en 2018, la population du Sénégal compte pas moins de 55% de jeunes de moins de 20 ans, avec un taux annuel de croissance de 3,8%. Un tel rythme bouleverse les cadres traditionnels, avec notamment le chômage des jeunes étroitement lié à celui de la scolarité, au désir de sécurité et de stabilité dans l’emploi, entre autres, face à des tenants du pouvoir à court d’alternatives. Face au malaise social, la jeune génération ne rate aucune occasion pour porter des critiques contre la gestion du pays. Qu’en est-il de leur engagement politique ?
LARGE FOSSE ENTRE LES JEUNES ET L’ENGAGEMENT POLITIQUE : Les transformations souhaitées en sursis
L ors d’une rencontre organisée, les 16 et 17 décembre 2016, à l’université Gaston-Berger de Saint-Louis-du-Sénégal, par la Fondation européenne d’études progressistes (FEPS) et l’Imagine Africa Institute, une réflexion a été menée sur les résultats d’une enquête intitulée “Millennial Dialogue“, menée auprès de jeunes Sénégalais, mais également sur l’engagement démocratique des jeunes Sénégalais et leur rapport à la politique, à la religion et au monde économique.
L’étude conduite en ligne et qui porte sur 500 jeunes Sénégalais et Sénégalaises montre que bien qu’ils soient peu intéressés par la politique, dans son format et sa représentativité actuels, 63 % des jeunes sénégalais (16-35 ans) indiquent que si une élection avait lieu demain, ils y participeraient. L’enquête montre que la participation dans des manifestations publiques ou des meetings politiques ne concerne qu’un jeune sur dix, contre presqu’un sur deux pour un événement sportif ou religieux.
Ainsi donc, la question de l’engagement politique des jeunes, surtout africains, a depuis longtemps suscité un intérêt particulier pour les chercheurs. Cela, d’autant plus que cette jeunesse souffre de marginalisation, aussi bien sur le plan économique qu’en matière de représentation politique. La jeunesse refuse-t-elle de s’engager, se détourne-t-elle des institutions de la vie collective ? La réponse semble couler de source pour Hamidou Anne, co-auteur du livre “Politisez-vous : un phare dans le brouillard“, qui appelle à un engagement partisan, afin de proposer une révolution transformatrice de l’action publique en Afrique. «On constate que les jeunes se plaignent beaucoup de la manière avec laquelle ils sont gouvernés par l’élite politique, par le système politique de façon globale», a souligné l’un des dix auteurs dudit livre.
Les questions liées au chômage, à la santé, à l’économie, à la sécurité, au devenir, au futur, etc, sont toutes des préoccupations ayant un rapport, selon lui, à la gouvernance, donc à la politique. Mais, à son avis, les jeunes semblent être dans l’expectative. «Plutôt que de se mettre dans des positions à se plaindre, l’idée est de se dire que faisons-nous en tant que jeunes par rapport aux problématiques qui sont globales», a considéré Hamidou Anne. Car, il reste convaincu que, comme l’a dit Thomas Sankara : «les problèmes de l’Afrique sont politiques, les solutions ne peuvent être que politiques». « Se politiser » revient à « être conscient des enjeux sociologiques, économiques, culturels, etc. qui régissent un espace public », explique Hamidou Anne.
Qui admet néanmoins que tout le monde ne peut pas être dans les partis politiques, lieu potentiel d’impulsion et de prise en charge des aspirations citoyennes à tous les niveaux. Le premier pas serait donc de s’intéresser aux dynamiques politiques, aux rapports de force, à la marche de la société. « Ça, c’est déjà politique » même si les décideurs au pouvoir ont souvent le dernier mot, la décision politique.
DESINTERET DE CERTAINS JEUNES DE LA POLITIQUE AU SENEGAL : La politique politicienne pointée du doigt
Faisant souvent état d’un décalage à l’égard d’institutions de participation à la vie de la cité qu’ils perçoivent comme mal adaptées à leurs pratiques de socialisation ou dominées par les générations antérieures, certains jeunes ont tout bonnement choisi de prendre leurs distances, pour diverses raisons. «Non. Je ne fais pas de politique. C’est parce que les politiciens ne disent pas la vérité. En période électorale, ils vous promettent des choses. Ils vous disent que si vous les aidez à obtenir un tel poste, ils vous aideront en retour à trouver du travail… Mais, une fois élus, ils vous oublient», se plaint René Pierre Diatta, la trentaine révolue.
Rencontré à l’Unité 15 des Parcelles assainies, son lieu de résidence, ce menuisier de formation déteste même d’entendre parler de politique car «tout ce que disent les politiciens, c’est des mensonges». «Quand ils ont besoin de toi, même si tu habites dans un trou à rats, ils feront tout pour y venir. Mais dès qu’ils atteignent leurs objectifs, ils n’ont plus besoin de toi», déplore ce ressortissant de la région de Ziguinchor.
Même pour les mouvements citoyens, René Pierre Diatta ne se fait pas d’illusion. « Dans tous les cas, la finalité est de devenir politicien. Parce que, une fois dedans, si les politiciens te repèrent comme quelqu’un d’influent, ils vont tout faire pour t’intégrer dans leur parti. Du coup, tu oublies ceux avec qui tu étais», a-t-il répondu. La perception de la politique et de ses pratiquants est quasiment la même pour Joëlle Ndecky, jeune dame, demeurant à l’Unité 16 des Parcelles assainies. «La politique n’est pas mon affaire. Les politiciens du Sénégal disent une chose et son contraire du jour au lendemain. Il n’y a pas l’émergence promise. Il n’y a rien dans les autres régions.
Seule la capitale Dakar compte pour eux. Le chômage est là. Ils nous promettent monts et merveilles en période de campagne, mais rien de concret après les élections», peste cette diplômée en Licence Marketing communication, sans emploi. Poussant son dédain pour les hommes politiques encore plus loin, elle dira qu’elle ne les écoute même pas au journal télévisé. «C’est parce qu’ils parlent toujours de la même chose, alors qu’il y a énormément de problèmes à résoudre. Il ne font que parler de choses inutiles pour les populations», explique-t-elle.
Des perceptions péjoratives de la politique que même certains jeunes engagés dans les partis politiques comprennent assez bien. «Aujourd’hui, les politiciens ont une image qui laisse à désirer. Il y a des gens qui font de la politique pour chercher des prébendes ou des positions administratives pour améliorer leurs conditions sociales. D’où la désaffection des populations, particulièrement des jeunes, vis-à-vis de la politique», reconnait ce jeune militant du parti au pouvoir, l’Alliance pour la République (APR).
Pour autant, Pape Moussa Cissé, Manager de projet, qui dit s’être engagé de manière spontanée aux côtés du chef de l’Etat, Macky Sall, pense que les jeunes doivent comprendre que «c’est à travers la politique que se font les transformations, que la citée est gérée». «C’est à nous jeunes de redorer l’image de l’homme politique pour que la politique soit beaucoup plus attractive, car elle doit être un engagement sacerdotal, car la politique c’est l’art de bien gérer la citée», estime Pape Moussa Cissé. Cela, dans le but de barrer la route «aux politiciens de métier», d’autant plus qu’il reste persuader que «la seule chose qui permet le mal de triompher est l’inaction des hommes de bien». Le jeune poulain du président Sall, domicilié aux Parcelles assainies, n’a pas maqué d’inciter «la jeunesse Sénégalaise à s’engager d’avantage en politique, afin qu’ensemble, nous puissions assainir ce milieu et redorer le blason de la politique Sénégalaise, mais aussi de celle Africaine».
PREFERENCE DES JEUNES AUX ORGANISATIONS CITOYENNES PLUTOT QUE LES PARTIS POLITIQUES : Les libertés d’expression et d’initiative évoquées
Dans une étude intitulée « La contribution des jeunes à l’alternance politique au Sénégal : le rôle de Bulfaale et de Y en a marre », Moda Dieng, Professeur, Etude de conflits au Département de Science politique à l’université de Montréal, Canada, démontre le rôle politique de la jeunesse en Afrique et son influence sur les dirigeants au pouvoir.
Le Professeur Moda Dieng constate que ces deux alternances survenues au Sénégal ont été le fruit d’une jeunesse non engagée dans les carcans politiques classiques. A ce phénomène de préférence des jeunes pour les organisations citoyennes et activistes au détriment des partis politiques, Abdourahmane Sow, coordonnateur de la Commission orientation et stratégie du Mouvement du 23 juin (Cos/M23), voit plusieurs raisons. Dont «d’abord l’aspect “Liberté d’expression“». Dans le fonctionnement traditionnel des partis politiques, il est très rare de voir les jeunes s’exprimer en dehors de la ligne définie par le leader tout-puissant, dit-il. «Les questions abordées sont souvent en droite ligne avec les positions du parti sur les questions débattues en public. Les jeunes sont le plus souvent en service commandé, et donnent l’impression d’être des gardes du corps du leader», déplore-t-il. «Il est malheureux de constater que pour être promu dans les partis politiques, il faut en général à certains
PAR JEAN MICHEL DIATTA