La problématique du cumul des mandats est actuellement en débat dans nombre de pays à démocratie avancée, mais aussi dans la société sénégalaise.
La problématique du cumul des mandats est actuellement en débat dans nombre de pays à démocratie avancée, mais aussi dans la société sénégalaise. Il s’agit là, en l’espèce, d’une question tellement sérieuse, qu’elle ne devrait pas faire l’objet d’une instrumentalisation du discours politique. On a pu constater pour s’en désoler, qu’à l’occasion des dernières élections présidentielles, l’administration centrale était pratiquement désertée par les grands décideurs, qui étaient presque tous en campagne électorale au grand dam des administrés. Cela, dans bien des cas, est un effet collatéral du cumul des mandats. Nous voilà devant un autre cas, où la rhétorique de la rupture, pourrait quitter le champ de l’incantation, pour un terrain privilégié d’application. Du reste, Il n’ya pas qu’au cumul des mandats que sera consacré l’essentiel de notre propos. Nous nous intéresserons aussi, d’une part, à tous ceux qui sont concernés par les conflits d’intérêt. Il s’agit en outre, de tous ceux qui sont nommés ministre ou ministre conseiller, alors qu’ils sont patron d’entreprise ou émargent dans des sociétés soumissionnaires de marchés publics, faussant ainsi le jeu de la concurrence loyale du fait qu’ils peuvent être soupçonnés de délit d’initié.
D’autre part, il existe ceux qui, après une carrière bien rempile aux Nations Unies, par exemple, viennent grappiller les maigres ressources du budget national. Tous ces bénéficiaires de privilèges mettraient tout le monde à l’aise en se délestant de certaines stations qu’ils occupent indument (avec ou sans émoluments), parce qu’ils contribuent à aggraver le discrédit qui frappe et fragilise la gouvernance publique. Pour nous en tenir au cumul des mandats, cette pratique, qui est en quelque sorte une perversion du système démocratique, a été surtout favorisée par le modèle centralisateur du pouvoir. Il serait réducteur de penser que cela relève d’un simple besoin narcissique de pouvoir, ou d’une boulimie financière.
Les motivations profondes sont de diverses natures. Nous nous contenterons pour notre propos, d’en pointer quelques unes. Le premier facteur à nos yeux, est à chercher dans la faiblesse de la décentralisation. En effet, quand un maire, exerce en même temps les fonctions de parlementaire ou de ministre, il est plus proche des centres de décision et sa localité a plus de chances sinon d’être privilégiée, du moins d’être plus à même de capter les opportunités en matière d’allocation des ressources.
En outre, sa position de ministre lui permet d’accéder plus facilement à la coopération décentralisée. Considérée sous cet angle, l’attitude du cumulard est un rempart contre la centralisation. L’exemple parmi d’autres, du ministre Alioune Sarr, qui avait été il ya de cela quelques temps, « malawisé » pour tout ce qu’il avait fait à Noto Diobass, est suffisamment illustratif à cet égard. Un deuxième fondement est lié aux raisons qui sont à la base du choix d’un ministre ou d’un parlementaire : ne le doivent-ils pas tous les deux, pour une large part, à leur ancrage local et conséquemment au poids de leurs électeurs qui attendent de leur part un retour sur investissement? Le troisième facteur renvoie au faible statut de l’élu local qui, pourtant, assume de lourdes responsabilités à la tête des collectivités territoriales. Mettre fin au cumul des mandats, passe donc nécessairement par le renforcement de l’acte 3 de la décentralisation avec, pour l’élu local, un statut plus stable et plus rémunérateur.
En effet, l’acte 3 de la décentralisation ne sera un succès que si les communes sont dirigées à plein temps par des élus. Il importe, par ailleurs, de combler ce vide juridique dans le code général des collectivités locales qui devrait stipuler expressément et de façon formelle les fonctions qui sont incompatibles avec celles de maire ou de Président de conseil départemental.
Le cas de l’honorable députée Aida Mbodj qui a perdu son poste de Présidente du conseil départemental à Bambey, est encore frais dans nos mémoires, alors que tous ceux qui se trouvent dans la même situation n’ont pas connu la même infortune. Il faut donc considérer la situation de façon différenciée :
– Concernant le ministre, une fois le statut de l’élu local amélioré, il ne devrait plus à mon sens, exercer que des fonctions honorifiques dans sa localité. Pourquoi pas Maire honoraire de sa localité, pour garder le lien avec ses électeurs ? N’a-t-on pas vu des ministres démis de leurs fonctions pour avoir perdu des élections dans leur localité ? N’est-ce pas là un signal lancé à tous que l’on ne peut accéder à certaines fonctions ou s’y maintenir, si on ne fait pas de la politique ? Les seules compétences ne suffisent plus ; il y a de nouveaux critères et normes non écrits, qui surplombent ceux qui ont fait la réputation et l’excellence de notre administration.
Comment expliquer le nombre grandissant de hauts fonctionnaires de la direction des Impôts, qui s’investissent en politique ? D’ailleurs, en matière de bureaucratie, on assiste à une banalisation des fonctions. Il est temps de revenir à une certaine orthodoxie qui était en vigueur. On ne peut pas comprendre qu’un médecin soit directeur de cabinet (fonction administrative par excellence) du ministre de la santé, alors que des administrateurs civils ont été formés durant des années, pour assumer cette fonction. Où est l’amicale des administrateurs civils ? Faut-il supprimer l’ENA ?
Concernant le cumul de mandat entre parlementaire et Président de Conseil Départemental, il faut se convaincre qu’on ne peut pas cumuler ces deux fonctions qui exigent, pour chacune, que l’on s’y consacre à plein temps. Il y va de leur crédibilité, Il y va aussi de leur exemplarité devant des citoyens qui, eux exercent un seul métier quand ils en ont !
Et ne perçoivent qu’un seul traitement. Après tout, c’est là un message contre- productif renvoyé aux millions de chômeurs et autres demandeurs d’emploi ! Le Président n’avait-t-il pas du reste signifié qu’il entendait dédier son second mandat à la jeunesse ! ! ! On a vu la suite.
L’ex Président du groupe parlementaire APR, se proposait de soumettre à l’Assemblée nationale, une proposition de loi sur le cumul des mandats. C’était là une belle occasion à saisir pour corriger certains dysfonctionnements. En effet, le cumul des mandats serait, semble t’il, une des causes de l’absentéisme marqué au parlement. Les mesures suivantes s’imposent de notre point de vue : Le mal récurrent constaté par tous, et au premier rang desquels, le Président de l’Assemblée nationale, étant l’absentéisme endémique des députés, pourquoi ne transformerait –on pas les salaires de ces derniers en régime indemnitaire, avec un système de suivi des présences (obligatoires) aux différentes sessions ?
Le Président de l’Assemblée nationale ne sera plus obligé de les supplier d’assister aux cessions, le Parlement légiférerait mieux, tandis que le prestige et l’éthos de confiance entre le peuple et ses élus seront rétablis. Inutile de rappeler ici, que certains comportements de parlementaires ces temps derniers, ont désacralisé la fonction. On se souvient encore avec consternation de ce spectacle surréaliste où des députés comme à Dakar Arena, se sont livrés à un combat épique sous le regard impavide d’un Président de l’Assemblée nationale, se contentant de lieux communs du genre « c’est le lot de tous les parlements ».
Bref, circulez y a rien à voir… comme si le Sénégal devait faire du copier/coller des travers que l’on observe ailleurs, alors que ces derniers ne s’inscrivent ni dans nos valeurs de civilisation, encore moins dans nos traditions qui ont toujours sacralisé à travers des débats contradictoires « Pencoo » (souvent passionnés, rarement passionnels)la recherche du consensus. Devant ce spectacle sidérant retransmis en live dans le monde entier, ( suivi par des enfants qui le reproduiront dans la rue) où Le loufoque le disputait au tragique, on ne peut s’empêcher d’invoquer Beau marchais quand il fait dire à un de ses personnages : « je m’empresse de rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer » ! L’Assemblée nationale ne saurait être un lieu où les invectives l’emportent sur les débats d’idées. Nos parlementaires pour mériter le titre d’HONORABLE doivent hisser leur fonction à la hauteur de la dignité qu’elle symbolise. Ce qui vient de se passer est d’autant plus navrant que ce Président de l’Assemblée nationale, au regard de son brillant parcours était au cœur du processus des assises nationales. Il aurait pu initier les ruptures (dont la suppression des cumuls de mandat, retenu aussi bien dans le rapport national des Assises, que dans la charte de bonne gouvernance de ces mêmes Assises) qui s’imposent ne serait-ce que dans ce secteur législatif, qui souffre d’une défiance sans précédent de la part des populations. On attendait de l’Assemblée nationale qu’elle se dote de nouveaux outils participatifs et délibératifs impliquant les citoyens, au travers de modes de co-construction des politiques publiques. Diantre ! On ne peut plus légiférer comme autrefois. Si nous prenons l’exemple d’une loi, au risque d’ineffectivité, (lois sur les cérémonies familiales, sur la sante de la reproduction, sur les violences faites aux femmes. . .) elle ne doit pas tomber du ciel tel un commandement. Il nous revient en mémoire, que c’est bien William Shakespeare qui écrit dans Mesure pour mesure : « Ne faisons pas de la loi un épouvantail qui, dressé pour faire peur aux oiseaux de proie, finit gardant toujours la même forme, par être leur perchoir et non leur terreur.» C’est pourquoi, la loi n’est, ou ne devrait-être, que la formalisation ou la systématisation dans l’interdisciplinarité par différents spécialistes (dont ceux du droit), de ce que les hommes et les femmes appartenant à une même communauté ou non (dans le respect de leurs us et coutumes) ; considèrent comme juste et en adéquation avec leurs perceptions/représentations et visions du monde.
Par ailleurs, le Président de l’institution parlementaire a l’obligation d’aider les députés (même ceux de l’opposition) à renforcer leurs capacités d’interpellation des pouvoirs quels qu’ils soient, tout en veillant à chaque fois, à l’articulation décision/ participation. Si le principe de l’assistance parlementaire a été retenu et connait, semble t’il, un début d’application, il nous revient qu’il est loin d’être satisfaisant. Or, devant la complexité du travail parlementaire, cela est d’une nécessité cruciale quand on sait que dans d’autres pays, des parlementaires au cursus plus relevé et mieux formés, peuvent avoir à leur disposition jusqu’à cinq assistants parlementaires. Sans tomber dans l’élitisme, comment imaginer un seul instant que ce parlement puisse s’acquitter convenablement des fonctions d’évaluation de l’action publique, quand on sait que l’évaluation relève d’une expertise disciplinaire qui s’apprend, qui a ses propres règles et préalables ?
Il faudrait également, instaurer le principe d’une limitation du mandat parlementaire dans le temps. Certains parlementaires se glorifient d’avoir traversé toutes les législatures (on n’est pas seulement doyen d’âge, mais aussi par le nombre de mandats exercés). En effet, pourquoi limiter le mandat du Président de la République à deux si on ne limite pas celui des élus nationaux ? Pourquoi s’en tenir à la question du cumul des mandats quand celle du nombre est tout aussi importante pour la diversité, le renouvellement, la parité et la respiration démocratique ?
Quelle ne fut notre surprise d’entendre un jour, l’honorable députée Seynabou Wade, ex- maire de Fann Gueule tapée, dire qu’elle renonçait non seulement, à se présenter comme maire, mais aussi comme parlementaire. Cela est assez rare pour être souligné. Par là, elle montre la voie à des chefs de partis politiques, de fédérations sportives, de syndicats (le Sénégal est l’un des rares pays où un bon nombre de syndicats est dirigé par des retraités sans doute l’exception sénégalaise !), d’ONG, (Hé oui) etc. ; qui eux, ne comprennent pas que cette forme de leadership qui défie le temps, relève de la féodalité. Le renouvellement de la classe politique et des responsables de la société civile est devenu un impératif. A tout ce beau monde on serait tenté de leur rappeler l’aphorisme suivant: «Quand vous restez longtemps sous un arbre, que vous refusez de le quitter, vous abritant sous son ombre en mangeant ses fruits tout en vous délectant du chant de ses oiseaux ; il arrivera un moment où ces derniers finiront par déposer leurs fientes sur votre tête»
Cheikh Tidiane Ba , Ph.D