L’adoption du projet de loi portant Code électoral, à l’issue du Conseil des ministres de lundi dernier, a acté la suppression du parrainage pour les partis politiques et son maintien pour les candidatures et listes indépendantes. Des candidats qui doivent être parrainés par 2 % des électeurs inscrits dans la circonscription où ils comptent se présenter. Cette mesure est jugée discriminatoire par les assujettis.
Plus qu’un sentiment, c’est une certitude ! Les prochaines élections locales du 23 janvier 2022 risquent d’être une affaire entre politiques. Le consensus des acteurs politiques sur différents points relatifs au projet de loi portant Code électoral issu des conclusions de la Commission politique du dialogue national, semble être fait sur le dos des candidats indépendants. Si les formations politiques ont pu obtenir la fin du parrainage, les listes indépendantes doivent toujours se départir du carcan du ‘’parrainage’’, dans l’espoir de pouvoir participer aux élections locales.
Ils doivent être parrainés par 2 % des électeurs inscrits dans la circonscription où ils comptent se présenter, selon le document sanctionnant le dernier Conseil des ministres extraordinaire, le 5 juillet dernier. Les politiques se défendent de toute tentative discriminatoire, dans la mesure où le seuil du nombre de signatures était de 5 % des électeurs de leur circonscription.
D’après eux, on ne peut pas mettre sur le même pied les partis politiques et les candidats indépendants.
Actuellement, le gouvernement est engagé dans un contre-la-montre pour faire adopter la loi par l’Assemblée nationale, au plus tard le 13 juillet 2021 et respecter les délais de recours et sa promulgation, au plus tard le 23 juillet 2021. Il doit prendre en compte les dispositions de la CEDEAO qui interdit toute réforme substantielle de la loi électorale, à six mois des élections.
Le projet de loi, qui doit porter sur 60 articles du Code électoral, comporte des points de consensus comme le mode d’élection des maires, des présidents des conseils départementaux élus au suffrage universel direct. Les maires de commune porteront la liste majoritaire et les maires de la ville la liste proportionnelle.
Le texte comporte aussi beaucoup de points d’achoppement relatifs à la caution, à la mise en place du bulletin unique et d’un organisme chargé des élections. Sur la question de la somme pour la caution des candidats, l’arbitrage du président Macky Sall risque d’entrainer des remous dans la classe politique.
Si la majorité veut fixer la somme de la caution à 20 millions F CFA, aussi bien pour les Départementales que pour les Municipales, l’opposition table sur 10 millions pour s’acquitter de cette caution.
Projet de loi discriminatoire
Pour l’enseignant-chercheur en sciences politiques à l’UGB, Moussa Diaw, ce projet de loi est discriminatoire contre les candidats et les listes indépendants, dans la mesure où ces derniers restent toujours soumis au parrainage. ‘’Quand on fait une loi, il faut respecter le principe d’equité de tous les partis. Les indépendants n’ont pas été associés à cette décision. Nous sommes dans une élection locale et les personnes qui ont un projet pour leur localité doivent pouvoir recueillir les suffrages de leurs concitoyens sans entraves’’, soutient l’universitaire.
Poursuivant son propos, il fustige l’attitude des partis politiques qui ont mené cette réforme qui, d’après lui, est un déni de démocratie, car elle prive les populations d’un éventail de choix possibles entre différents candidats indépendants.
Selon lui, les populations sont plus enclines à voter pour des indépendants que pour des formations politiques qui font l’objet de rejet de la part des électeurs. ‘’’On doit privilégier les candidats indépendants qui, la plupart du temps, sont plus sérieux que la plupart de nos partis qui n’ont aucune substance idéologique. Ils ne sont motivés que par la volonté d’intégrer des coalitions, afin de négocier à posteriori des postes. Les candidats indépendants ne sont pas à l’aise dans les partis et ils sont plus solides dans leurs convictions et connaissent mieux les problématiques locales que les grandes coalitions politiques’’, indique-t-il avec force.
Et Demba Makalou, leader de la coalition citoyenne Mermoz-Sacré-Cœur Ca Kanam, d’abonder dans le même sens, dans la mesure où le parrainage de citoyens peut être source d’exclusion de listes indépendantes, en cas d’erreurs sur les signatures. ‘’Cette mesure est discriminatoire. Nous encourons le risque de voir nos listes invalidées par la présence de doublons et des erreurs sur la liste des parrainages. Des gens peu scrupuleux peuvent venir truquer notre processus de recouvrement de signatures, dans le but de nous faire disqualifier’’, fait-il remarquer.
D’après lui, les mouvements citoyens qui ont eu déjà à obtenir des conseillers municipaux, doivent être exemptés de cette mesure relative au parrainage. ‘’Nous avons fondé notre mouvement en 2014. On a obtenu deux conseillers au niveau de Mermoz-Sacré-Cœur. Je pense qu’on a fait la preuve de notre représentativité. Donc, je ne vois pas l’utilité de nous imposer le parrainage’’, soutient-il.
Bruno d’Erneville : ‘’Les élections locales sont très particulières’’
Toutefois, pour Bruno d’Erneville, ancien candidat indépendant à l’élection présidentielle de 2012, cette question des candidatures et listes indépendantes ne se pose pas, dans la mesure où beaucoup de candidats indépendants font le choix de s’allier à de petites formations politiques dans des coalitions, pour les Locales.
‘’Il faut savoir que les élections locales sont très particulières. Un scrutin local est une élection de listes, non une élection individuelle. Donc, il ne peut plus exister d’indépendants. La plupart du temps, les candidats indépendants vont aller avec des partis politiques dans des listes de coalitions. Et dans ces listes, ce sont les récépissés des partis qui seront déposés pour valider la liste. Donc, la question n’a pas lieu d’être, pour moi’’.
Pour le leader du Parti pour l’action citoyenne, ces nouvelles dispositions encadrant la participation des candidats indépendants sont conformes à l’exercice de la démocratie qui promeut les partis politiques comme seule plateforme démocratique habilitée à recueillir les suffrages des électeurs.
‘’Moi, quand j’étais candidat indépendant pour la Présidentielle de 2012, je n’ai pas jugé choquant d’aller chercher des signatures. Il est normal de demander à un indépendant qu’il puisse démontrer qu’il est un peu représentatif dans sa circonscription. A mon avis, si ce dispositif de représentativité n’existe plus, vous verrez une pléthore de candidats sans aucune légitimité s’engager pour les Locales’’, déclare l’ingénieur en génie civil qui précise, au passage, que la cooptation des mouvements indépendants dans des listes de coalitions en compagnie de partis politiques, peut faciliter l’intégration des indépendants dans le jeu politique.
‘’Dans une élection locale, il n’y aura aucune liste 100 % d’indépendants. Les candidats citoyens qui ne veulent plus s’engager avec des politiques peuvent aller chercher le nombre de signatures requises ou mettre sur leurs listes deux petits partis. Ainsi, ils pourront travailler avec les récépissés de ces partis politiques et ne seront en rien redevables à ces mêmes formations politiques. Il ne faut pas oublier que beaucoup de listes citoyennes ont utilisé le récépissé des verts d’Ali Haidar pour faire passer leurs listes, lors de différents scrutins’’, déclare-t-il.
Cette solution est loin de ravir Demba Makalou qui redoute une perte d’indépendance de la part de mouvements citoyens. ‘’Cet usage de récépissés des partis politiques sur les listes de coalitions peut nuire à l’indépendance des listes citoyennes. Lorsque vous prenez les récépissés des partis, vous êtes obligé de partir sur le label et les couleurs de ce parti, vous n’êtes plus libre’’, dit-il.
Mahfouz NGOM