Des magistrats démissionnaires pour enfiler la robe d’avocats ou d’autres qui s’engagent en politique, traduit une mésentente avec la tutelle ou un besoin d’indépendance longtemps exprimé par les acteurs du milieu judiciaire.
Il est normal, certes, dans un Etat de droit, où les textes l’autorisent et l’encadrent, que des magistrats ou juges démissionnent de leur fonction pour intégrer le Barreau. Mais quand cela intervient à un moment où les questions de réforme de la magistrature et de l’indépendance de la justice sont toujours d’actualité, où le Conseil supérieur de la magistrature présidé par le chef de l’Etat, avec le ministre de la justice comme vice-président, n’est pas convoqué depuis un an, alors qu’il y a des postes vacants à pourvoir, et où il existe de nombreux cas de nominations de magistrats et de leur maintien comme intérimaire à des poste de responsabilité dans différentes juridictions, cela inquiète et fait souvent penser à ce malaise qui semble persister dans la magistrature. C’est le cas avec la démission de deux juges qui viennent de renoncer à leur fonction dans ce corps de la magistrature, pour intégrer le Barreau, parce que, dit-on, non contents du fonctionnement de leur corporation. Après le départ il y a quelques années du juge Ibrahima Hamidou Dème, les juges Djiby Seydi et Dionwar Souaré ont rejoint le Barreau. Ils ont prêté serment, lundi dernier, 28 juin, devant la Cour d’appel de Dakar.
Remettant au goût du jour le fonctionnement et l’indépendance de la justice. En mars dernier, lors d’un atelier de l’Union des magistrats sénégalais (Ums), sur l’indépendance de la justice, le président d’Afrikajom center, Alioune Tine, avait évoqué le besoin d’avoir une justice forte. «Nous ne sommes plus dans le temps des propositions, mais dans le temps du réel, de l’invention du réel, c’est-à-dire de la possibilité d’avoir une autre justice plus indépendante. Parce que le problème que nous avons, on parle effectivement de modernisation de la justice, mais c’est la modernisation de notre Etat, de l’Etat de droit parce que nous savons que quand nous avons une justice faible (je sais parce que je travaille au Mali) ; c’est qu’il faut craindre pour les assises de notre propre Etat. Si la justice est défaillante, nous pouvons avoir un Etat défaillant», avait-il dit.
Cette modernisation de la justice qui passe par une indépendance des magistrats a été aussi une doléance de l’ancien Procureur général près la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), Aliou Ndao, qui avait fait état de griefs sur la justice. «Il y a un réel problème de confiance entre la justice et les justiciables. C’est faire preuve de cécité que d’essayer de nier ça », avait-il dit, citant en exemple les évènements du mois de mars dernier, suite à l’affaire opposant Ousmane Sonko/Adji Sarr.
Le Procureur avait toutefois ajouté que, «quotidiennement, il y a au moins une centaine de dossiers qui sont traités dans les juridictions en toute indépendance, sérénité et en toute impartialité. Mais il y a des dossiers qui font sortir les policiers et les chars de combat», avait-il expliqué, en faisant référence aux affaires impliquant des célébrités notamment des politiques. Ceux-là constituent, disait-il, «la figure de la justice parce que c’est dans ces dossiers qu’on attend une attitude digne par rapport à l’attente du justiciable».
Par ailleurs, il avait aussi dénoncé la présence de l’exécutif dans le Conseil supérieur de la magistrature (Csm). «Le pouvoir exécutif s’obstine dans son refus d’apporter les réformes nécessaires pour consolider de manière définitive une indépendance réelle de la justice. Certes ce pouvoir exécutif en la personne du président de la République et de son ministre de la Justice usent et abusent de leur pouvoir de nomination sur des magistrats pour taire toute velléité d’indépendance de la part de ces derniers mais, il faut reconnaitre que la faute incombe également à certains magistrats qui, soit pour obtenir une promotion, soit pour faire conserver un «bon poste», jouent le jeu de l’exécutif et contribuent ainsi à ternir l’image de cette justice». Une indépendance de la justice à toujours été la requête du président de l’Ums, Souleymane Téliko et des organisations de la société civile notamment des défenseurs des droits de l’homme.
FATOU NDIAYE