Fierté et amertume pour les proches d’Arona Sy

par pierre Dieme

Fêtée en grande pompe la semaine dernière par une partie de la classe politique et de la société civile, le 23 juin 2011 et la période qui s’ensuivit ont une tout autre signification chez les proches de l’ancien commissaire central de Dakar, Arona Sy. Bourreau pour les ONG, ce dernier a surtout été une des plus grandes victimes des évènements de l’époque, selon ses proches.

Dix ans après, il est, à n’en pas douter, l’un des commissaires les plus célèbres qu’ait connu le commissariat central de Dakar. Plus même que bien des directeurs généraux de la Police nationale. Lui, c’est le commissaire divisionnaire de classe exceptionnelle Arona Sy, un des piliers de la sécurité publique, durant toute la période chaude ayant précédé l’élection présidentielle de 2012, qui avait vu tomber le chantre du libéralisme en Afrique, Abdoulaye Wade.

En ce lendemain de la célébration des 10 ans du Mouvement du 23 juin, ‘’EnQuête’’ a cherché à savoir ce qu’est devenu celui qui a été surnommé ‘’Jack Bauer’’. Comment a-t-il vécu cette phase que beaucoup ont considérée comme un frein à son ascension fulgurante ? Lui, ‘’le général de la Police nationale’’, l’homme qui a servi dans presque tous les segments de la Police nationale : Sécurité publique, Renseignements généraux, Instruction, Inspection, partout.

Selon les informations, le commissaire Arona Sy va devoir bientôt faire valoir ses droits à une pension de retraite. Après une très longue traversée du désert (2012-2020), il était, récemment, revenu aux affaires, grâce à sa nomination au poste de directeur de l’Inspection des services de sécurité au ministère de l’Intérieur. Seydi Gassama n’avait pas perdu du temps pour dénoncer avec vigueur ce qu’il considérait comme un scandale. ‘’C’est une grosse déception, disait-il au micro de Pape Allé Niang. Après les évènements de 2012, il y avait même des plaintes contre lui. Ces plaintes ont été déposées notamment par la famille de Mamadou Diop. Finalement, le tribunal s’était limité à condamner les agents, en laissant en rade leur chef. Et il n’était pas que dans son bureau à donner des instructions. Il était sur le terrain, au front avec ses hommes. Donc, on ne peut le dédouaner de toute responsabilité… Tant que les plaintes qui le visaient ne sont pas vidées, on ne doit lui donner aucun poste opérationnel’’.

Cela dit, les récriminations semblaient tomber dans l’oreille de sourds. Le commissaire divisionnaire de classe exceptionnelle, sans être euphorique, a occupé tranquillement son poste en tant qu’officier. Mais à la suite du départ de l’ancien ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye, il a encore été dans le viseur du nouveau ministre Antoine Félix Diome.

Finalement, le commissaire ne durera audit poste que très peu de temps. Nommé en mars 2020, il a à peine bouclé sa première année à la tête de ce département stratégique. Aujourd’hui, il vit paisiblement sa ‘’petite retraite’’ auprès de sa famille, en attendant la vraie, attendue dans huit mois.

A l’occasion des 10 ans du M23, ses proches estiment que leur frère d’armes n’a aucun regret à éprouver. Bien au contraire ! ‘’Grâce à lui, indique un de nos interlocuteurs, cette date est célébrée dans une ambiance de fête et non de deuil. Cela montre que les forces de défense et de sécurité, qu’il avait l’honneur de diriger à Dakar, ont joué leur rôle à merveille. Il est dommage qu’au lieu des honneurs, on l’a voué aux gémonies’’.

Pour étayer son propos, notre interlocuteur invoque le nombre de morts enregistrés à l’époque. ‘’Malgré tout ce qu’on en dit, il n’y eut que deux morts dans le secteur qu’il dirigeait. Et l’une des victimes est un policier, en l’occurrence Fodé Ndiaye, tué par des manifestants. Je défie quiconque de prouver qu’il y a eu, parmi les civils, des morts autres que celle accidentelle de Mamadou Diop. Raison pour laquelle aucun policier n’a été mis en prison. Maintenant, ils (les défenseurs des droits humains) vont vous sortir des victimes qui n’ont rien à voir avec les manifestations, avec les policiers pour entretenir l’amalgame’’, confie le proche de l’ancien commissaire central.

A son avis, il y a un acharnement injustifié contre son ami. ‘’Pourquoi il est le seul à être ciblé par les organisations dites de défense des Droits de l’homme ? Ce qui s’est passé en mars dernier est plus grave. Il y a eu plus de morts, plus de dégâts. Mais qui parle des commissaires de police ou des commandants de la gendarmerie ? Personne. Et c’est comme ça que cela doit se passer. Il faut savoir raison garder. Je répète : n’eût été le professionnalisme d’Arona Sy à l’époque, il y aurait eu bien plus de dégâts, car il ne faut pas oublier qu’il a géré une crise qui a duré près d’un an dans la capitale. Jamais il n’a flanché’’.

Pour d’autres, Arona Sy s’était plutôt mal comporté avec les contestataires du régime d’alors. Alioune Tine en est un témoin privilégié. Joint par téléphone, il déclare : ‘’Je peux dire que c’est grâce au procureur de la République Ousmane Diagne que j’ai été tiré d’affaire. Je me rappelle que le Quai d’Orsay avait également exigé ma libération sans condition. Mais j’ai été gardé à vue dans des conditions inhumaines. J’ai dormi debout, cette nuit-là, à côté de bouteilles remplies de pipi… C’était atroce. Je n’oublierai jamais cet épisode. Je puis vous assurer que la répression, à l’époque, était très sévère.’’

Pour lui, plus jamais le Sénégal ne devrait replonger dans de tels cycles de violences. Même si, de part et d’autre de la classe politique, on ne semble pas retenir les leçons, selon le président d’Afrikajom Center.

Entre Arona Sy et les ONG, c’est du ‘’je t’aime, moi non plus’’. Sorti premier d’un concours international très sélectif à la suite du départ de Wade, M. Sy a été sévèrement combattu par des organisations de la société civile, alors même que l’Etat semblait l’avoir absous de tous les péchés dont il était accusé. Il a finalement été recalé. Un officier précise : ‘’Ce qui n’a pas été suffisamment dit, c’est que c’est l’Etat même qui avait autorisé sa candidature, parce qu’on savait ses qualités et ses états de service irréprochables. Après le concours international, il a été le meilleur. Mais le gouvernement a voulu faire plaisir aux ONG qui ne pensaient qu’à leurs intérêts, leur propre promotion. Mais qu’à cela ne tienne ! Arona est un croyant et a vécu tout ça dans la dignité. Il est d’une foi que rien, ni personne ne peut ébranler’’.

D’après notre interlocuteur, l’ancien patron du commissariat central de Dakar en voulait moins aux ONG qu’à l’Etat qu’il s’est efforcé de servir avec loyauté durant toute sa carrière. En ce qui concerne les ONG, le flic rapporte : ‘’Arona les surnommait ‘Ibrahimovich’. Il disait que les ONG sont comme Ibrahimovich, quand il était au Paris Saint-Germain. Il est fort avec les faibles, mais faible avec les forts.’’

Aujourd’hui, dix ans après les événements de 2011-2012, ils sont nombreux les officiers à s’inquiéter du devenir de la République. Surtout avec toutes ces histoires de nervis qui polluent l’atmosphère chez les forces de défense et de sécurité. ‘’C’était impensable, quand Arona était là’’, raconte cet ancien élève du commissaire. Il s’indigne : ‘’Les hauts gradés qui sont en train de les tolérer, il faut qu’ils sachent que s’ils f… le bordel, c’est l’image des forces de défense et de sécurité qui va en pâtir. Il faut savoir que ces gens sont dangereux ; ils sont payés à la tâche et n’ont aucune morale. Généralement, c’est des voyous sans foi, ni loi. Fondamentalement, les policiers et les gendarmes détestent les nervis, mais ce sont certains chefs qui en sont les instigateurs.’’

Selon le disciple de l’ancien central de Dakar, en matière de maintien de l’ordre, il faut de vrais professionnels, avec de vrais chefs. ‘’Car, fait-il remarquer, il n’y a pas de retour en arrière possible. C’est sur-le-champ et immédiatement. Le bon chef, comme on dit, hésite après avoir donné des ordres. Le mauvais, il hésite avant de donner les ordres. Quand vous hésitez avant, vous êtes débordé’’.

Mais pour réussir, un bon chef a surtout besoin du respect de ses hommes. Et c’était justement, selon ce témoin, une des forces de l’ancien central de Dakar. ‘’Le commissaire Arona Sy avait l’admiration et le respect de ses hommes. Lesquels savaient qu’il allait les défendre quoi qu’il advienne, tant qu’ils sont dans la vérité. En maintien de l’ordre, si les gens que vous commandez vous admirent et vous respectent, ils suivront scrupuleusement les instructions que vous leur donnez. Le commissaire Arona Sy était très respecté par ses hommes, parce qu’il était juste’’.

En outre, ont-ils tenu à signaler, si en 2011-2012, les dégâts ont pu être limités, c’est aussi grâce au courage de l’ancien commissaire qui était tout le temps sur le théâtre des opérations. ‘’Arona n’était pas un chef qui commande à partir de son bureau. Il était tout le temps sur le terrain. Il n’est pas un chef qui se cache. Aujourd’hui, il garde sa sérénité, sa dignité et son honneur. Avec la fierté d’avoir fait tout ce qu’il a pu pour que l’ordre et la légalité puissent être préservés’’.

Par rapport aux troubles répétitifs entre forces de l’ordre et populations, un des officiers met en garde : ‘’Les peuples actuels, qu’il s’agisse du Sénégal, de la France, des Etats-Unis, partout, ils sont pareils. On est obligé de les administrer dans la justice. Sinon, c’est le retour de bâton. Peu importe l’effectif et les moyens dont on dispose. Autant vous augmentez le nombre de policiers, autant vous augmenterez le nombre de cadavres. Et la communauté internationale n’accepte plus des morts en maintien de l’ordre’’, témoigne-t-il, invitant ses collègues à rester légalistes jusqu’au bout. Il rappelle ces propos tenus par l’alors commissaire central de Dakar, dans la période pré-électorale : ‘’Un jour, dans une réunion, il avait clairement signifié à ses supérieurs que le monde entier regarde le Sénégal ; qu’eux aussi, en tant qu’officiers, auraient bien aimé entrer dans l’histoire. En conséquence, il s’était interdit de s’écarter de tout acte qui pouvait nuire à leur image.’’

MOR AMAR

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