Les nouveaux projets de loi portant modification du Code pénal et du Code de procédure pénale ont été examinés en plénière hier, vendredi 25 juin 2021, à l’Assemblée nationale. Alors que celui portant modification du Code de procédure pénale a été adopté sans débat, le vote du projet de loi modifiant le Code pénal a été marqué par des explications de députés de l’opposition et de la majorité. Chaque camp a essayé, à sa manière, de justifier la pertinence de sa position.
La réforme du Code pénal et celles du Code de procédure pénale entérinées hier, vendredi 25 juin 2021, par les parlementaires, a eu lieu dans une atmosphère tendue, avec des positions divergentes. Contrairement au Projet de loi n°11/2021 modifiant la loi n°65-61 du 21 juillet 1965 portant Code de Procédure pénale qui a été voté sans débat, le Projet de loi n°10/2021 modifiant la loi n°65-60 du 21 juillet 1965 portant Code pénal a été adopté sous tension. Des députés de l’opposition réfractaires à son adoption ont servi des arguments qui justifient la nécessité de revoir le texte.
LE RÉQUISITOIRE DE L’OPPOSITION SELON QUI TOUT L’ENJEU REPOSE SUR LE 3ÈME MANDAT
Pour le député, Cheikh Bamba Dièye, le ministre de la Justice «n’a pas donné d’arguments solides sur l’entrave aux libertés des citoyens et la lutte contre le terrorisme». Mieux, a-t-il ajouté, l’Etat du Sénégal ne peut les convaincre dans cette démarche. «Cette loi déclenche une nuit sombre sur l’ensemble des citoyens Sénégalais. Elle proclame la fin de l’Etat de droit et de tous les combats. Ce qui n’est pas bon pour une démocratie, encore moins pour le Sénégal. Il faut faire la distinction entre deux choses : un terroriste et un citoyen. On ne peut pas se lever un beau jour et embarquer tous les citoyens dans une situation où chacun d’entre nous, y compris les marabouts, dans cette logique de terrorisme». Il estime, par ailleurs, que l’adoption du texte n’a rien d’urgent.
Pour le député Toussaint Manga, l’attitude des autorités actuelles, en soumettant le texte, a tendance à faire du terrorisme un fait nouveau. «En réalité, le terrorisme est là bien avant que le président Macky Sall n’accède au pouvoir. Mais c’est la définition que le gouvernement veut donner au terrorisme que les Sénégalais ne sont pas prêts à accepter», a-t-il dit. Avant d’ajouter qu’«en lisant le projet de loi, il est clairement défini que manifester est un acte terroriste». En conséquence, avance-t-il, «il faudrait donc revoir les termes que vous utilisez. Les Sénégalais ne sont pas des terroristes. Et nous n’avons pas encore connu des problèmes de terrorisme». Selon toujours Toussaint Manga, «tout l’enjeu repose sur le fait que le président Macky Sall veut briguer un 3ème mandat», et «espère mettre des garde-fous pour empêcher le refus des Sénégalais».
Le députe Dethié Fall, abonde dans le même sens. «Il est éminemment politique. Nous connaissons ses méthodes (président de la République Macky Sall, ndlr). Cette loi ne peut pas concerner la piraterie maritime dans un pays où on ne dispose que des eaux où tout ce qui s’y trouve, est entre les mains des étrangers ; la piraterie ne nous concerne pas. Ce que vous visez, c’est le maintien au pouvoir du président Macky Sall». Mieux, ajoute le parlementaire, le président Macky Sall veut enfreindre un droit constitutionnel. «C’est un droit qui commence à inquiéter parce que l’opposition mobilise. Il veut que toutes les bavures parfois incontrôlées par l’opposition et que les actes soient qualifiées de terrorisme pour infiltrer la manifestation et procéder à des arrestations et écarter des opposants lors des échéances électorales». Aboubacry Thiaw, le député du Parti de l’unité et du rassemblement (Pur), juge que «la loi vise à bâillonner l’opinion, notamment sur les réseaux soci aux, entraver les libertés et terroriser les Sénégalais, en prétextant la lutte contre le terrorisme».
APPEL A UN CONSENSUS ET À REDÉFINIR LES CONCEPTS DE «TERRORISME», «APPEL À L’INSURRECTION» ET «ASSOCIATION DE MALFAITEURS»
Le député, Abou Aziz Diop, quant à lui, «appelle à la responsabilité et le devoir de préserver les acquis démocratique». Il a ajouté «qu’il est un devoir de préserver le pays des dispositions liberticides». Le député trouve que «le ministre de la Justice devrait engager des discussions avec les partis politiques, la société civile pour aboutir à un consensus». Il ajoute, en outre, «qu’assimiler les manifestations à du terrorisme est porteur du risque». Mor Kane soutient, en ce qui le concerne, que «tout ce qui motive la loi est l’anéantissement de l’opposition».
Aida Mbodj, parle d’une volonté «de neutraliser l’opposition et d’empêcher le peuple de s’opposer à une troisième candidature du président Macky Sall». Elle demande au Garde des Sceaux et ministre de la Justice de redéfinir les concepts de terrorisme, d’appel à l’insurrection et d’association de malfaiteurs. Selon Woré Sarr, la notion de terrorisme est galvaudée. Le député Marie Sow Ndiaye pense que «le contexte ne sied pas à la prise d’une telle loi car intervenant juste après les évènements du mois de mars dernier». Pour Serigne Cheikh Mbacké, «cette nouvelle loi n’a d’objectif que de faire disparaitre des partis politiques car désormais, tout manifestant peut être poursuivi pour terrorisme» qui est vaguement défini dans la loi, selon le député.
LA MAJORITÉ PARLE DE MANIPULATION
La réplique à l’opposition n’a pas tardé. Selon les députés de la majorité, parler d’une restriction des libertés, en faisant allusion à la loi qui a été votée hier, vendredi 25 juin, est une fausse idée que l’opposition tente de faire passer. «Il est difficile d’accepter ce qu’on a entendu aujourd’hui. Les réseaux dormants sont dans ce pays. Le terrorisme n’est pas à la porte du Sénégal. Ils ont déjà commencé. Tout le monde sait qu’ils ont besoin d’une façade maritime. Il faut qu’on respecte la gravité, la solennité de la chose qui est très sérieuse. Il est extrêmement injuste de dire que la loi est une réponse aux événements de mars», a dit Cheikh Tidiane Gadio qui indique, en outre, que c’est le président Abdoulaye Wade qui en est l’initiateur. Même s’il a reconnu la dureté des dispositions nouvellement inscrites dans la loi. «Cette loi qui nous a été proposée est extrêmement dure», elle trouve toute sa pertinence. Pour lui, les saccages qui ont eu lieu lors des dernières manifestations constituent des actes de terrorisme et doivent être sévèrement réprimés. Le député Sira Ndiaye, plus catégorique dans ses propos a dit que «ce qui s’est passé au mois de mars ne se reproduira pas et que quiconque commet des actes pareils, sera sévèrement puni». «La réforme ne change en rien le texte antérieurement existant sur le terrorisme», a-t-elle ajouté. Selon Nicolas Ndiaye, «les députés de l’opposition ont fait beaucoup de bruits pour rien car, il n’y a aucun ajout qui pourrait constituer une entorse à la liberté de manifestation».
Pour Awa Gueye, en instaurant le changement, «il s’agit de prendre toutes les garanties pour veiller à la tentative de déstabilisation du pays ». Mieux, ajoute-t-elle, «les Sénégalais ont toujours la liberté de marche et de manifestation». Toutefois, selon la parlementaire, «dans une démocratie, les libertés sont encadrées. La liberté n’est pas synonyme de l’anarchie». L’alerte de l’opposition sur la loi n’est «qu’une manipulation pour accéder au pouvoir, sans passer par les méthodes constitutionnelles».
Abdou Mbow pense que les députés de l’opposition sont animés d’une mauvaise foi. «Cette loi est importante et vient à son heure. Tout le Sénégal est alerté à cause de la manipulation de l’opposition». Pour Die Mandiaye Ba, «l’opposition n’a pas le sens de la responsabilité». Pour elle, «certains députés de l’opposition qui n’ont pas assisté aux travaux de commission ne peuvent pas s’arroger le droit de dénigrer la loi». Le président du groupe parlementaire de la majorité, BBY, Aymerou Ngingue, pense que la loi n’a d’autres objectifs que «de protéger les personnes et leurs biens». Ce qui a eu lieu en mars dernier, avec le saccage de Brigades de Gendarmerie et des propriétés de citoyens, «est assimilable au terrorisme», dit-il.
PAR FATOU NDIAYE