Les têtes de la junte militaire, qui ont pris une première fois le pouvoir en août 2020, viennent de récidiver. Leur chef, Assimi Goïta, a déclaré mercredi 26 mai aux médiateurs étrangers venus le voir qu’il prenait lui-même les choses en main pour le moment, après les démissions de Bah N’Daw et de Moctar Ouane. Quelle est sa marge de manœuvre face à la classe politique malienne et la communauté internationale ?
Une certitude au Mali : l’homme fort du moment s’appelle Assimi Goïta, dit notre correspondant à Bamako, Serge Daniel. Lorsque la délégation de la médiation l’a rencontré, mercredi 26 mai dans ses bureaux, il a clairement laissé entendre que, jusqu’à nouvel ordre, il prenait les choses en main, puisque le président de transition Bah N’Daw a démissionné, ainsi que le Premier ministre Moctar Ouane.
Diriger la transition jusqu’à son terme ?
Et peut-être même que s’il peut diriger la transition jusqu’à son terme, Assimi Goïta n’hésitera pas. Mais il lui faut des alliés, et il a déjà tâté le terrain. À la délégation des médiateurs, le chef de la junte n’a pas caché qu’il entend gouverner notamment avec le M5-RFP, mouvement composé de partis et d’associations qui ont tous contribué à la chute de l’ancien président, Ibrahim Boubacar Keïta.
Le colonel Goïta a déjà reçu des responsables du M5. Mais une frange de ce mouvement condamne le coup de force et n’entend pas travailler avec lui, pour le moment en tout cas. Plusieurs autres partis politiques sont sur la même ligne. Le coup de force est également dénoncé par des associations de défense des droits de l’homme. Assimi Goïta doit également faire face aux sanctions internationales. Les États-Unis, par exemple, ont déjà arrêté leur coopération militaire.
Libération discrète
Ce jeudi 27 mai, le président de transition Bah N’Daw et le Premier ministre Moctar Ouane ont été libérés. Un responsable militaire confirme l’information, de même que des proches des intéressés. C’est vers 1h30 du matin que ces libérations ont eu lieu. Donc, une libération discrète. Ils sont revenus à leurs domiciles.
Pendant ce temps-là, à New-York, écrit notre correspondante Carrie Nooten, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est réuni en urgence, à la demande de la France et du groupe A3. Dans une déclaration, il a condamné l’éviction des autorités de transition – sans pour autant proposer de sanctions. Les diplomates ont aussi exhorté les forces militaires à retourner dans leurs casernes « sans délai », avant de déclarer qu’« imposer un changement de direction de la transition par la force, y compris par des démissions forcées, était inacceptable ».
Le Conseil a réclamé une « reprise immédiate » de la transition menée par les civils au Mali : il n’est pas question pour lui de retarder le délai de 18 mois fixé pour l’organisation de nouvelles élections. Et il a réitéré son soutien aux organisations régionales dans leur règlement de cette crise qui a débuté en août dernier, un sommet extraordinaire de la Cédéao pourrait d’ailleurs être convoqué prochainement. Toutefois, les diplomates du Conseil de sécurité n’ont pas réussi à s’entendre sur d’éventuelles mesures de rétorsion contre les militaires emmenés par Assimi Goïta.
La vie continue cependant
Malgré l’expectative au sommet de l’État à la suite du coup de force, la vie continue pour les Bamakois. Commerces, services et écoles fonctionnent à la normale même si les populations craignent d’être affectées par cette crise politico-institutionnelle, écrit encore l’un de nos correspondants à Bamako, Kaourou Magassa.
Devant une faculté privée de Bamako, des dizaines d’étudiants discutent pendant qu’à l’intérieur se déroule une foire d’exposition-vente et une journée portes ouvertes. L’actualité est au cœur de leurs discussions. Crise sécuritaire, grève à répétition, mais aussi vide institutionnel obstruent leur vision de l’avenir.
« Un pays sur ce chemin, tout le temps, un président démissionne, un autre vient sur le trône. À franchement parler, cela m’inquiète, bien sûr. Pendant que les autres avancent, nous, on recule. À cause de ça, on souffre. À cause de ces situations de mauvaise organisation, voilà quoi », disent-ils.
Plus loin, assis dans une chaise longue et verre de thé à la main, Souleymane Tolo prend une pause dans la confection de panier en rotin. Les dizaines d’objets de maison exposés à ses côtés sont vendus directement aux clients en bordure de route dans cet atelier informel et en plein air. Cette activité lui permet de subvenir à ses besoins, mais les nouvelles qu’il revoit depuis ce matin l’inquiète. « Si la Cédéao impose des sanctions, lance-t-il, les populations souffriront plus que les autorités, qui sont tout en haut. Tout le monde recherche son pain quotidien au jour le jour, les Maliens vivent comme ça. Si les frontières venaient à être fermés, ce serait très difficile pour nous. »
Aucune sanction n’a, pour l’heure, été décidée par l’organisation sous-régionale. Pour tenter de rassurer les populations, le ministère de la Sécurité a d’ailleurs démenti, dans un communiqué publié hier, les rumeurs faisant état d’un couvre-feu et de la fermeture des frontières terrestres et aériennes du pays.
RFI