Quand la grâce présidentielle devient source de danger public

par pierre Dieme

La réitération d’infractions par des personnes élargies de prison revient sur la table. Par la… grâce d’un ignoble crime commis contre une jeune étudiante gabonaise et dont le suspect numéro un serait un repris de justice gracié quelques jours plus tôt. De quoi poser sur la table les failles dans la procédure d’attribution des grâces présidentielles.

Elle avait tout laissé dans son pays natal, le Congo pour venir acquérir des connaissances au Sénégal. Hélas ! Elle ne rentrera pas au bercail, couronnée de diplômes. C’est dans un cercueil qu’elle risque d’atterrir dans son pays, au grand désarroi de ses parents, de son fils et des amis. Elle, c’est l’étudiante congolaise, Lotaly Mollet, lâchement tuée aux HLM Grand Yoff. Son présumé bourreau : un repris de justice, gracié à la fête de la Korité. Un fait qui repose sur la table la façon dont la grâce présidentielle est accordée au Sénégal. Ce, d’autant plus qu’un condamné, à qui on a tendu la perche pour lui donner une seconde chance de se réinsérer dans la société, commette un acte criminel.

Qui ne se souvient du célèbre repris de justice dénommé « Assassin » ? Ce dernier, arrêté et placé sous mandat de dépôt pour meurtre, a été jugé et condamné à 15 de réclusion criminelle. Gracié, il a récidivé le 5 juillet 2020. Il a encore tué un jeune homme aux Hlm, avec une paire de ciseaux. Un autre cas patent qui remet en cause la façon dont la grâce est faite, c’est l’affaire A. Dème. Faisant partie des 908 prisonniers graciés le 4 avril dernier, par le président de la République, A. Dème, âgé de 20 ans, a été arrêté par la police de Mbacké, après avoir volé un téléphone portable. Le berger purgeait sa peine à la Maison d’arrêt et de correction (Mac) de Mbacké où il a été incarcéré pour vol de bétail.

En effet, la grâce est un pouvoir discrétionnaire du président de la république garanti par l’article 47 de la constitution du Sénégal. Ainsi, le président de la république a les prérogatives de dispenser d’un condamné de tout ou d’une partie de la peine qui lui a été infligée. Et, il n’a besoin de l’aval de qui que ce soit pour le faire. Le président de la République peut décider d’une mesure de grâce de sa propre initiative et même à l’insu du bénéficiaire. C’est dire que l’intervention de la grâce n’est pas subordonnée à la requête du bénéficiaire. Et, cette décision est irréversible et n’est susceptible d’aucun recours. Mais, le détenu ne peut bénéficier de la grâce que lorsqu’il a été définitivement condamné. Autrement dit lorsqu’il aura épuisé toutes les voies de recours. En principe, tous les condamnés peuvent bénéficier d’une grâce.

Mais au Sénégal, le Code des drogues limite les prérogatives du président en exigeant que le condamné ait purgé les 4/5 de sa peine avant de pouvoir être gracié. Souvent, les personnes qui bénéficient de ces grâces, surtout quand elles sont collectives, sont des dangers publics. Ce sont, le plus souvent, des personnes qui n’apprennent pas de leur séjour carcéral. Leur réinsertion sociale est impossible, elles récidivent. Pour éviter les cas récurrents de récidive, Daouda Mine, journaliste, Directeur de IGFM plaide pour l’implication de la police et de la gendarmerie dans le processus de choix des personnes à gracier.

Dans une contribution faite sur sa page Facebook, il explique la façon dont les grâces sont faites. « La pratique pour les grâces de masse c’est que les listes sont confectionnées par les Directeurs des 37 prisons que compte le pays et sont envoyés à la Direction de l’administration pénitentiaire. C’est sur la base des propositions des directeurs des établissements pénitentiaires qu’une liste est confectionnée et envoyée à la Direction des affaires criminelles et des grâces, un service du ministère de la Justice. Les vérifications idoines doivent se faire à ce niveau avant que les propositions ne soient transmises au secrétariat de la Présidence pour la préparation du décret de grâce », explique-t-il.

Le chroniqueur judiciaire poursuit : « Nulle part, la police et la gendarmerie ne sont associées dans le processus alors qu’elles sont les entités qui connaissent les mieux les délinquants pour les avoir traqués pendant des semaines, des mois voire des années avant de les mettre hors d’état de nuire. Si les personnes arrêtées sont grâciées, ce sont également la gendarmerie et la police, dont le travail consiste à veiller sur la sécurité des personnes et de leurs biens, qui doivent descendre à nouveau sur le terrain pour les traquer au cas où elles récidivent. Cette tâche n’est dévolue ni à l’administration pénitentiaire, ni aux autorités judiciaires. Il est donc utile, à mon humble avis, d’associer la police et la gendarmerie dans le processus de choix des personnes à gracier. Ne serait-ce qu’à titre consultatif ».

Interpellé sur le sujet, Me Assane Dioma Ndiaye, avocat et président de la Ligue sénégalaise des droits humains, rappelle qu’il est évident qu’il y a des modes d’aménagement des peines et de libertés conditionnelles qui sont des principes universels. Selon lui, il ne s’agit pas de remettre en cause le principe de la grâce présidentielle mais, il signale qu’il y a des conditions d’éligibilité. Lesquelles doivent être respectées par souci de protection de la société. Malheureusement, constate-t-il pour le regretter, ces conditions ne sont pas respectées. « Ces grâces qui étaient faites pour aider les condamnés à se réinsérer constituent des sources de récidives et de réitération d’infractions plus graves », a déploré l’avocat et défenseur des humains qui, estimant que tout mécanisme a besoin d’évaluation, plaide pour que le processus de grâce en soit ainsi.

Par ailleurs, Assane Dioma Ndiaye pense que, même si on respectait le processus, le système carcéral sénégalais a échoué du point de vue de la préparation de la personne qui a été condamnée à se réinsérer dans la société. « Notre système carcéral forme des monstres. Des personnes associables qui ne s’adaptent pas dans la société soit parce qu’elles sont rejetées, soit parce qu’elles entrent en prison en étant des mineurs et ressortent en qualité de délinquants aguerris. En plus, il n’y a pas une politique de profilage du délinquant », a regretté Me Assane Dioma Ndiaye, demandant dans le même sillage à l’Etat du Sénégal de recruter des assistants sociaux afin de permettre d’avoir une fiche personnelle sur chaque détenu.

Aliou DIOUF

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