Avant, les partis marxistes étaient un refuge où se retranchaient la plupart des intellectuels qui ne se reconnaissaient pas dans les partis de masse, symbole d’un système néocolonial. Aujourd’hui, il ne reste de cette image qu’un lointain souvenir
Orphelins de plusieurs de leurs grands et valeureux porte-étendards, les partis de gauche semblent tranquillement se diluer dans la majorité et se contenter des strapontins à eux laissés par leurs rivaux naturels, les libéraux.
Politiquement, ils sont plus proches de la mort que de la vie. Depuis quelque temps, on les sent peu, on ne les voit et entend que de temps en temps… Et quand ils sortent, c’est généralement pour vanter les réalisations du régime, mieux même que ne le font souvent les APR de souche. Eux, ce sont certains leaders et partis de la gauche marxiste-léniniste. Et l’exemple le plus éloquent, c’est Ibrahima Sène, devenu un véritable bouclier du président Macky Sall qu’il défend comme un jeune de la Cojer sur les réseaux sociaux. Quitte même à s’en prendre de la manière la plus violente à des camarades avec qui il a partagé une longue lutte au sein de la gauche sénégalaise.
Dans ses dernières diatribes, il a eu pour cible son ‘’camarade’’ ou ‘’ex-camarade’’ Abdoulaye Bathily, dont le seul tort a été de s’en être pris au leader de la Sainte Alliance de Benno Bokk Yaakaar.
Pendant que M. Sène s’érige en bouclier pour le régime de Sall, la gauche, elle, peine à trouver des voix pour porter haut son message. Depuis 2012, elle est presque absente de toutes les compétitions électorales majeures. Les rares élus qui lui restent doivent souvent leur statut à la volonté du président. Pour autant, le président d’And Jerin Senegaal, l’ancien ministre Cheikh Mouhamadou Bassirou Sarr, ne veut pas entendre parler de mort de la gauche.
Il sourit, avant de lâcher : ‘’Non, on ne peut parler de la mort de la gauche. Il y a toujours des partis de gauche ; il y a toujours des hommes et des femmes de gauche. Donc, on ne peut parler de la mort des partis de gauche. Ce n’est pas possible.’’ Selon lui, la gauche n’a jamais cessé de jouer son rôle, notamment par sa participation active à l’avènement de toutes les alternances.
Ainsi, pendant que de nombreux observateurs estiment que les formations de gauche jouent un rôle de second couteau dans l’espace présidentiel, au bénéfice même parfois des derniers venus comme Idrissa Seck, Bassirou Sarr défend le contraire : ‘’Dans cet espace, chacun joue son rôle. Personne ne peut dire avec exactitude qu’Idy fait de l’ombre aux autres. Les gens sont toujours là et ils jouent leur rôle : un rôle d’alerte, de veille, de proposition et d’animation du débat politique. La gauche est bien présente, à mon avis.’’
Embouchant la même trompette, le porte-parole de la Ligue démocratique, Moussa Sarr, ne voit aucun inconvénient au rôle que jouent actuellement les partis de gauche dans le cadre de la majorité présidentielle. Pour lui, ces derniers ayant combattu le régime de Wade, c’est tout à fait normal qu’ils participent à la gouvernance. Il précise : ‘’Nous avons gagné avec d’autres et sommes associés à la gestion du pouvoir. Cette position-là, nous l’assumerons aussi longtemps que les politiques publiques en cours prendront en charge les intérêts majeurs du peuple sénégalais. Il se trouve qu’il en est ainsi jusqu’ici.’’
A ceux qui les taxent de s’être alignés derrière le président Sall qui est un libéral, il rétorque : ‘’Je ne pense pas qu’il soit approprié de parler d’alignement derrière le président Macky Sall. Faut-il rappeler qu’au 1er tour de la Présidentielle de 2012, il avait été retenu de soutenir le candidat de l’opposition qui serait en face de Wade au second tour. C’est ce que nous avons fait, en mettant en place la coalition Benno Bokk Yaakaar qui a porté la candidature de Macky Sall au 2nd tour. Elu par la volonté du peuple souverain, le président Macky Sall gouverne avec Benno Bokk Yaakaar. C’est dire que pour nous, il s’agit d’un compagnonnage entre des alliés, sans doute aux référentiels idéologiques différents. Mais, à l’expérience, notre compagnonnage a produit des résultats prodigieux au bénéfice exclusif des populations.’’
Pour Moussa Sarr, il n’a jamais été question de renoncer à ce qui constitue l’essence du combat de la gauche. ‘’Il faut reconnaitre que même si Macky Sall est libéral comme vous dites, les fortes mesures sociales qui sont au cœur de sa gouvernance rencontrent l’adhésion des forces de gauche. Jamais, dans l’histoire du pays, il n’y a eu autant de mesures pour réduire l’égalité sociale et territoriale’’.
Au total, dit-il, ‘’l’objectif de transformation sociale de la gauche n’est pas incompatible avec le court terme qui consiste à être au pouvoir avec d’autres pour infléchir les politiques publiques vers les idéaux de gauche’’.
Selon lui, la Ligue démocratique est bien présente dans les instances de direction de BBY. En guise d’exemple, cite-t-il, son secrétaire général, Nicolas Ndiaye, est membre du Secrétariat de Benno et de la Conférence des leaders. Le président d’honneur de la LD, Yéro Dé, est président du Conseil des sages de Benno Bokk Yaakaar et lui-même est membre de la commission communication de la coalition.
‘’Evidemment, nous souhaitons que Benno Bokk Yaakaar fonctionne plus et mieux. Qu’elle devienne même une coalition politique, pas seulement une coalition électorale’’, a-t-il renchéri.
Avenir assombri sans leaders charismatiques
Cela dit, l’avenir de cette gauche est plus que sombre. Avant, les partis marxistes étaient comme une sorte de refuge où se retranchaient la plupart des intellectuels qui ne se reconnaissaient pas dans les partis de masse, symbole d’un système néocolonial.
Mais aujourd’hui, il ne reste de cette image qu’un lointain souvenir. De l’avis de Bassirou Sarr, la gauche a surtout été touchée par son émiettement que par autre chose. ‘’Il y a eu beaucoup de débats, beaucoup de départs, beaucoup de scissions, etc. Donc, les appareils sont encore là, mais se sont émiettés et affaiblis. C’est un fait réel. La gauche s’est émiettée et s’est affaiblie. Et je crois que si elle veut vraiment compter à l’avenir, elle doit aller vers des unifications, des réunifications pour former un ou de grand partis de gauche’’, soutient l’ancien compagnon de Landing Savané. Qui ajoute : ‘’Tant qu’on continue à nous émietter, on continuera à nous affaiblir et à ne pas compter réellement. Pour compter, il faut s’unir. C’est le message que nous lançons à toutes les formations, à tous les hommes et femmes de gauche. C’est d’aller vers l’unité organisationnelle. Si ce n’est pas un parti, au moins de grands partis.’’
Comme s’ils se sont passé le mot, Moussa Sarr de la LD dit presque la même chose. ‘’Si les forces de gauche veulent jouer un rôle de premier plan, notamment accéder au pouvoir et non plus y être associées seulement, il leur faut transcender leur émiettement. C’est un impératif. Autrement dit, la gauche doit fédérer ses différentes organisations pour sensibiliser, mobiliser le peuple autour de son programme de justice sociale, de démocratie, d’équité, de transparence dans la gestion des ressources nationales’’.
Dans cette perspective, informe-t-il, la Confédération pour la démocratie et le socialisme (CDS) est une étape importante, mais pas suffisante. ‘’Au-delà de la gauche d’extraction marxiste-léniniste, il faut fédérer toutes les forces et les personnalités qui ont à cœur l’avènement d’une société plus juste, plus équitable, bref qui permette le plein épanouissement de l’humain. C’est le sens de l’appel de la Ligue démocratique pour la création d’un grand parti de rassemblement’’, analyse le porte-parole de la LD.
Par ailleurs, il faut constater, avec Cheikh M. B. Sarr, que cet émiettement de la gauche ne profite pas qu’au camp de la majorité. Dans le camp de l’opposition également, il y a des partis de gauche qui sont plus dans une posture de soutien que de véritables conquérants du pouvoir. Selon notre interlocuteur, c’est aussi parce que la gauche n’a jamais véritablement été constituée de partis de masse. ‘’La gauche s’est toujours faite avec des militants connus pour leur engagement, pas par de grandes masses. C’étaient surtout des partis d’influence, mais pas massifs en termes de nombre. Et c’est ce qui continue’’.