La suppression du parrainage combinée avec le scrutin majoritaire à un seul tour, débouchera forcément sur l’élection d’un maire avec 40 % des suffrages. Voire moins. Ce qui pose un réel problème de légitimité
La démocratie ! Ce mot grec «dêmokratia», formé de dêmos «peuple» et de kratos «pouvoir» est un système qui met le citoyen au centre du pouvoir décisionnel. Abraham Lincoln, président des États-Unis de 1860 à 1865 aurait d’ailleurs déclaré que c’est «le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple».
Convenons-en donc, c’est le moins mauvais des systèmes politiques comparé notamment au communisme (qui débouche souvent au totalitarisme) à la monarchie (aristocratie), à la timocratie (recherche des honneurs), à l’oligarchie (recherche des richesses) et à la tyrannie (violence). L’atteindre nécessite des sacrifices. Enormément d’efforts. Souvent des révolutions. Et dire que la démocratie a pris ses racines depuis le Vème siècle avant J-C suite à des réformes engagées dans la cité d’Athènes dans la Grèce antique ! Depuis, elle réussira à franchir tous les obstacles, les mirages, les clivages.
Tel un tsunami, elle va renverser les plus grands tyrans, percer les murs les plus hermétiques pour s’installer un peu partout dans le monde. La démocratie permettra surtout de mettre un terme à la discrimination entre les sexes, les couleurs de la peau etc. En France, par exemple, alors que les hommes obtiennent le droit de vote «universel» en 1848, les femmes devront attendre 1944 pour l’obtenir et 1945 pour l’exercer pour la première fois. Le 1er octobre 1931, la Constitution de la Seconde République espagnole a été proclamée et inscrit les mêmes droits électoraux pour les femmes et les hommes sur la base du principe général d’égalité devant la loi et accordait le 19 novembre 1933, le droit de vote des femmes aux élections générales. Au Québec, dernière province canadienne à légaliser le suffrage féminin, bien que les femmes du Bas-Canada fussent les premières à l’avoir eu en 1791, le droit de vote leur est définitivement accordé le 25 avril 1940. Sauf pour les femmes autochtones (jusqu’en 1969). Même aux Etats-Unis, pays symbole de la démocratie et de la liberté, des millions de Noirs, d’Amérindiens ou d’- Hispaniques vont mener une révolution, sans cesse entravée, avant d’avoir le droit de se rendre aux urnes. Une très longue lutte qui va déboucher sur l’amendement XV ratifié par le Congrès et selon lequel «le droit de vote des citoyens des États-Unis ne sera dénié ou limité par les États-Unis, ou par aucun État, pour des raisons de race, couleur, ou de condition antérieure de servitude».
DES CITOYENS DES «QUATRE COMMUNES» A LA PARITE HOMME-FEMME
Paradoxalement le Sénégal a connu une discrimination savamment entretenue par le colon et qui aurait été «fièrement» affichée par les bénéficiaires. Elle renvoie aux citoyens des Quatre communes contre leurs propres concitoyens considérés comme des indigènes. Dans un article intitulé «la nationalité et les droits de l’Homme dans l’espace francophone: le cas du Sénégal», Kantome Seck (Université Cheikh Anta Diop de Dakar – Master II recherche droits de l’homme et de la paix 2010) écrit que «les habitants des villes de Dakar, Saint-Louis, Gorée et Rufisque plus connues à l’époque sous l’appellation citoyens des quatre communes, bénéficiaient du statut moderne de la nationalité et étaient par conséquent des citoyens français pas d’origine métropolitaine mais d’origine africaine». Mais progressivement, des mutations vont s’opérer.
Du parti unique (BPSUPS-PS) au multipartisme accéléré par le discours de La Baule de François Mitterrand (en 1990) en passant par les courants de pensée (libéral et démocratique ; socialiste et démocratique et communiste ou marxiste-léniniste), le Sénégal va très vite intégrer les nations démocratiques et s’imposer en Afrique comme un des leaders. A l’instar des autres pays au monde, des Leaders d’opinion, de partis politiques, des Syndicalistes, des Journalistes et toutes les personnes éprises de démocratie et de liberté d’expression, vont mener une bataille sans merci contre les différents régimes qui se sont succédé à la tête de l’Etat. Souvent au péril de leur carrière voire de leur vie. Mais, ils vont réussir deux alternances en 2000 et 2012. Ce qui serait impossible sans le code consensuel de 1992, sans un vote secret matérialisé par un isoloir, sans l’ONEL puis la CENI, sans une presse privée libre et indépendante particulièrement les stations FM qui ont relayé à temps réel les résultats sortis des urnes. Mais aussi et surtout un peuple qui était déterminé à exercer pleinement sa souveraineté. La liste des combats pour la consolidation de notre démocratie avec une réelle possibilité d’alternance, c’est aussi le quart bloquant devant offrir au Chef de l’Etat une bonne légitimité et combattre le fort taux d’abstention. Cette lutte pour son perfectionnement va se poursuivre jusqu’à l’avènement de la parité absolue homme-femme sur les listes électorales. Même si ce qui était considérée comme une «révolution» a accouché d’une toute petite souris.
EXIT LE PARRAINAGE ?
Aujourd’hui encore, le Sénégal poursuit sa marche vers l’avant. Après un système à la fois incongru et corruptogène qu’est le scrutin majoritaire, communément appelé Raw Gaddou, au niveau départemental, les acteurs politiques se sont convenus d’aller vers un suffrage universel direct pour élire les maires et/ou présidents de conseils départementaux. Ce qui constitue un grand pas en avant. Toutefois, il y a un énorme risque d’envoyer à la tête des mairies des édiles illégitimes. La suppression du parrainage combinée avec le scrutin majoritaire à un seul tour, débouchera forcément sur l’élection d’un maire avec 40 % des suffrages. Voire moins. Ce qui pose un réel problème de légitimité. S’il n’est pas encore trop tard, notre démocratie gagnerait à adopter un système majoritaire mais à deux tours. C’est le cas avec l’élection du président de la République, dont la légitimité ne souffre d’aucune ambiguïté.
Comme en témoigne l’article 33 alinéas 2, 3 et 6 de la Constitution : «Nul n’est élu au premier tour s’il n’a obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés». «Si aucun candidat n’a obtenu la majorité requise, il est procédé à un second tour de scrutin le troisième dimanche qui suit la décision du Conseil constitutionnel». «Au second tour, la majorité relative suffit pour être élu». Par ailleurs, le parrainage citoyen à la sénégalaise, certes meilleur que celui de la France (parrainage par les élus), a vite montré ses limites. La décision de la cour de justice de la Cedeao sonne d’ailleurs comme un désaveu, puisqu’elle estime que le parrainage «viole le droit de libre participation aux élections». Notre pays dispose de six mois pour le supprimer.
Inutile alors de monter sur ses grands chevaux pour réaffirmer notre souveraineté judicaire ou autre. Il ne fait l’ombre d’aucun doute que ce filtre a pu nous éviter un désordre électoral comme ce fut le cas lors des législatives du 30 juillet 2017 avec ses 47 listes. Mais le Sénégal est et reste un pays connu par sa vitalité démocratique et surtout son respect envers les instances et autres institutions sous-régionales, continentales et internationales. Nous ne devrions pas perdre cette image d’un pays-modèle dans la grisaille de l’Afrique de l’Ouest. Par conséquent, pensons déjà à une réforme consolidante pour notre démocratie. Le Confidentiel-Lettre Quotidienne annonce, à cet effet, que le pouvoir réfléchit au système des Grands électeurs. Pourvu juste qu’une telle trouvaille ne soit encore une fois une sorte d’entourloupe dans le seul et unique but d’administrer un nouveau coup de Jarnac à l’opposition.
PAR ABDOULAYE THIAM