Radiation, emprisonnement et menaces contre des lanceurs d’alertes : Le terrible sort des Snowden Sénégalais

par pierre Dieme

Le désamour est profond entre les lanceurs d’alertes et les pouvoirs publics sénégalais. Ces derniers ne s’accommodent pas du tout des dénonciateurs qui mettent à nu l’usage pas catholiques qu’ils font des deniers publics. Et le moins que l’on puisse dire est que ce n’est pas sans conséquences pour les Snowden d’outre-Atlantique.
Être un lanceur d’alerte au Sénégal, pourtant cité en exemple pour sa culture démocratique, commence, paradoxalement, à devenir un danger. Guy Marius Sagna ne soutiendra sûrement pas le contraire après la cauchemardesque journée qu’il a passée, mercredi dernier, à Nianing (Mbour).
Le lanceur d’alerte et sa délégation du Frapp qui s’étaient déplacés sur les lieux pour dénoncer la spoliation des terres de ce village, l’ont échappé belle. Attaqués par un groupe de jeunes- à la solde du maire de Malicounda et Dg du Coud, Maguette Sène, selon Frapp- qui en avaient visiblement contre eux, ils ont été sévèrement malmenés.

Guy Marius Sagna, l’Homme aux 30 gardes-à-vue et 3 mandats de dépôts

Cette attaque est la dernière d’une longue série de persécutions que subit, depuis plusieurs années, l’activiste. Entre lynchage, arrestation musclée et arbitraire, emprisonnement… l’homme en est aujourd’hui marqué au fer rouge. Traqué par un État qui s’accommode mal des lanceurs d’alertes, Guy paie cher son activisme sur les flancs de l’État et de sa fonction publique dans laquelle il a servi pendant plusieurs années.
Pour son engagement pour la bonne gouvernance, dénonçant publiquement les pratiques peu orthodoxes au sein de l’État, cet assistant social a vu sa carrière littéralement brisée. L’homme aux 30 gardes-à-vue et 3 mandats de dépôts, est au frigo depuis près de cinq ans. Le ministère de la Santé et de l’action sociale refuse de le redéployer sur le terrain. Et les nombreuses lettres adressées au ministre Abdoulaye Diouf Sarr et avant lui, à Eva Marie Colle Seck, n’y changeront rien.

Ousmane Sonko, radié de la fonction publique

Sa trajectoire ressemble à s’y méprendre à celle du leader de Pastef devenu, à force de dénonciations, une virtuose politique, une force de l’opposition sénégalaise. L’ancien inspecteur des impôts et leader syndical dans cette administration où il a servi pendant 15 ans, a été propulsé au-devant de la scène par la virulence de ses diatribes contre la gestion peu vertueuse des deniers publics et les scandales d’État qu’il dévoile au grand jour. Faisant fi de la « bâillonnante » « Obligation de discrétion ».
Il sera purement révoqué, « sans suspension des droits à la pension », de la fonction publique en août 2016 pour « manquement à l’obligation de discrétion professionnelle » prévu par la loi. Il paie ainsi ses accusations contre plusieurs personnalités qui, selon lui, auraient « illégalement bénéficié d’avantages fiscaux ».

Abdoulaye Aziz Ndaw, Cheikhna Keïta « brûlés » par leurs brûlots
De la première alternance à nos jours, plusieurs autres lanceurs d’alertes ont été happés dans la trappe des pouvoirs publics et embarqués dans un engrenage répressif assez expéditif. Très frileux des trouble-fêtes, l’appareil d’État s’abat toujours sans pitié sur les dénonciateurs. C’est ainsi que plusieurs fonctionnaires téméraires qui l’ont défié en publiant des brûlots, ont été « exécutés » sans ménagement.

C’est le cas de l’ancien commandant en second de la Gendarmerie Nationale, le colonel Abdoulaye Aziz Ndaw, auteur du brûlot « Pour l’honneur de la Gendarmerie » publié en juillet 2014, dans lequel il a fait de terribles révélations sur des crimes. « C’est normal qu’il y ait des poursuites lorsque vous accusez les gens. Je viendrais répondre de mes écrits. Mais dénoncer des crimes est autrement plus important. Ces crimes avaient déjà été dénoncés à l’État, mais sans réaction. Non seulement je n’ai pas tout dit (…) mais encore j’ai des preuves de tout ce que j’avance », déclarait sans ciller, le colonel.
La suite on la connaît ! Mis aux arrêts de rigueur pendant 60 jours, l’ancien attaché militaire du Sénégal à Rome à qui il ne restait que 3 mois pour aller à la retraite, a été sauvé de la radiation. Pourtant au vu des charges de « trahison, révélation de secrets classés défense » que le ministre des Forces armées de l’époque, Augustin Tine avait retenu contre lui, le Colonel risquait l’échafaud. Sans aucune forme de rémission !

Le Commissaire Cheikhna Cheikh Sadibou Keïta, lui, a été moins chanceux. L’ancien directeur de l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (Ocrtis) qui accusait le Dgpn d’alors et ancien directeur de l’Ocrtis, Abdoulaye Niang d’être en collusion avec des trafiquants de drogue, a été radié. Mais, ses deux rapports déposés sur la table du Général Pathé Seck alors ministre de l’Intérieur, ont quand-même eu le mérite d’avoir emporté aussi bien le Dgpn Niang que le ministre de l’Intérieur.

Pr Malick Ndiaye, Almamy Mamadou Wane, Mody Niang, Latif Koulibaly… victimes d’un retour de flammes

Sur le brasier encore fumant, d’autres lanceurs d’alertes viennent, en bois de chauffe, raviver le bûcher étatique. Cette fois-ci l’attaque vient des rangs de la mouvance présidentielle. Et le sniper embusqué dans le cabinet même du président de la République n’est autre que le professeur Malick Ndiaye. L’auteur du brûlot « Où va la République ? Les vérités sur la seconde alternance » qui dévoile « les carences et errements du pouvoir actuel », a aussitôt été viré, par décret n°012324 du 1er août 2014, de la présidence où il était conseiller. Il a aussi été exclu de la coalition Macky2012.
Avant lui, Abdou Latif Coulibaly, auteur du livre intitulé « Wade, un opposant au pouvoir : l’alternance piégée ? », paru en juillet 2003 et dans lequel il critique la gestion du président sénégalais issu de l’opposition, a failli y laisser sa vie. Il fit l’objet de menaces de mort et d’injures par téléphone, à son domicile et à son bureau. Dans le collimateur du régime de Wade, Latif bénéficiait du soutien indéfectible de Reporters sans frontières (RSF). Les menaces de mort n’entameront guère sa détermination dans ce sentier de dénonciation des dérives du pouvoir. Puisqu’il publiera en septembre 2009, « Contes et mécomptes de l’Anoci ».
Almamy Mamadou Wane auteur du livre « Le Sénégal entre deux naufrages ? Le Joola et l’alternance » (2003), lui non plus n’a pas été épargné. Il a fait l’objet de poursuites judiciaires. En effet, l’État via son ministre de la Justice d’alors, Cheikh Tidiane Sy, lui avait servi une plainte pour « propos diffamatoire ». L’écrivain avait remporté ce bras de fer judiciaire mais pas celle de la censure étatique qui avait réussi à faire de son livre un fantôme dans les rayons des librairies.
Après Wane c’était au tour de Mody Niang. L’auteur des livres « Qui est cet homme qui dirige le Sénégal ? » (2006), « Le clan des Wade: accaparement, mépris et vanité » (2011) très critiques sur la gestion de Wade et son clan, a longtemps été dans le viseur du pouvoir.
Tous ont risqué leur vie, leur réputation et leur carrière pour s’ériger en vigie de la bonne gouvernance et en ont reçu les virulents contrecoups à cause de l’inexistence d’une législation susceptible de les protéger.
L’Ofnac plaide la protection des lanceurs d’alerte


Malgré la mise en place de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) qui travaille avec les lanceurs d’alerte, il n’existe pas encore une législation pour la protection de ces dénonciateurs des faits de corruption. Invité de l’émission « Objection » sur Sud Fm, le dimanche 27 décembre 2020, la présidente de l’Ofnac, Seynabou Ndiaye Diakhaté a fait un plaidoyer dans ce sens.
« La législation, en tant que telle, sur les lanceurs d’alertes, n’est pas encore effective. Il faut les protéger, mais cela suppose l’existence d’une législation », soutenait-elle. Même si, précise la présidente de l’Ofnac, « les lanceurs d’alertes, on les protège à notre niveau. Parce que tout notre travail est guidé par le principe du secret et de la confidentialité. Je pense qu’une législation serait une base légale qu’on pourrait utiliser à cet effet (de les protéger) ».
Une loi qui ne verra pas le jour de sitôt. Surtout pas avec un régime qui n’a pas hésité à défenestrer l’ancienne présidente de l’Ofnac Nafy Ngom Keïta et une partie de son équipe (dont Mody Niang) pour avoir rendu public un rapport.

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