Rapports des organes de contrôle de l’Etat : quand la déclassification devient un impératif

par pierre Dieme

Des irrégularités sont tout le temps constatées dans la gestion des entités ou institutions de la République par les organes de contrôle de l’Etat dans leurs rapports. Ils sont donc nombreux, les directeurs généraux, les maires et les ministres à être épinglés. Toutefois, il n’y a presque pas de poursuites contre les proches du pouvoir contrairement aux opposants dont certains ont eu à être condamnés par la justice. Ce qui pose la question de la nécessité de déclassifier les rapports des organes de contrôle notamment ceux de l’Inspection Générale d’Etat pour une gestion transparente des ressources.

Deux déclarations ont marqué le régime du Président de la République, Macky Sall concernant l’absence de poursuites judiciaires contre certains responsables politiques épinglés par les organes de contrôle de l’Etat tels que l’Inspection Générale d’Etat (IGE), l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP), l’Office National de Lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC) ou encore la Cour des Comptes dans leurs rapports qui lui sont remis régulièrement. Le première est relative à la traque des biens mal acquis : «Il n’y a pas d’acharnement, sur qui que ce soit. Vous seriez surpris par le nombre de dossiers auxquels je n’ai pas donné suite».

La deuxième prononcée lors de son «Grand Entretien» avec la presse le 31 décembre dernier est : «Le Procureur peut être dans un dilemme qui peut l’amener à demander l’avis du ministre s’il doit arrêter ou non cette personne. Et le ministre remonte l’information au président de la République. Si le Président estime que l’arrestation de cette personne peut conduire à un désastre, il pourrait amener à étudier d’autres conditions à appliquer à cette personne pour régler son cas». Par ces propos, Macky Sall avoue avoir gardé sous le coude des rapports des organes de contrôle pour soustraire des responsables politiques proches du pouvoir ou des «transhumants» accusés de mal gouvernance, de détournements de fonds ou de mauvaises passations de marchés de toutes poursuites judiciaires.

Pis, ces «délinquants financiers» sont parfois mêmes promus à des postes de responsabilités encore plus hautes. Toutefois, il n’hésite pas à mettre en branle la machine judiciaire quand il s’agit d’opposants politiques épinglés par les rapports. C’est le cas de l’ancien maire de Dakar, Khalifa Sall condamné suite à un rapport de l’IGE relatif à la caisse d’avance de la municipalité et le responsable libéral, Karim Wade condamné par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) pour fautes de gestion, quand il était aux affaires. C’est pourquoi d’ailleurs les souteneurs et autres inconditionnels de l’ancien maire de Dakar maintiennent, à tort où à raison, que c’est son choix politique qui serait la cause de ses démêlés judiciaires et continuent de demander la déclassification du rapport de l’Inspection Générale d’Etat.

Selon eux, l’IGE n’a jamais demandé de poursuivre Khalifa Sall. Concernant la gestion des responsables du régime d’Abdoulaye Wade, le rapport du FESMAN organisé en 2010 avait fait l’objet de recommandations mais aucune suite n’a été donnée à cela. Pour cause, selon Macky Sall, « il ne pouvait pas admettre que l’on envoie en prison en même temps Sindiély Wade et Karim Wade ». Aujourd’hui, les rapports sont exploités à la seule volonté de l’autorité publique qui décide souverainement de leur sort. Le traitement réservé aux adversaires politiques semble différent à celui réservé aux proches du pouvoir tels que Cheikh Oumar Anne, Siré Dia, Cheikh Kanté, entre autres, épinglés par les rapports des organes de contrôle de l’Etat. Ce qui favorise la mal gouvernance, l’opacité, l’absence de transparence ou encore de laxisme dans la gestion des entités et institutions de la République. D’où la nécessité de déclassifier les rapports des organes de contrôle notamment ceux de l’IGE, selon certains, pour mettre fin à la «démarche incohérente à la politique de bonne gouvernance». Cela permettra ainsi de lutter contre l’impunité, favoriser la transparence dans la gestion mais aussi cesser l’utilisation de ces rapports à des fins politiques et politiciennes, comme le soutiennent certaines personnes. Sans oublier le droit à l’information des populations sur la gestion des biens publics d’autant plus qu’il est constitutionnalisé au Sénégal.

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Quelle est la nécessité de déclassifier les rapports des organes de contrôle de l’Etat?

Lorsqu’on parle de nécessité de déclassifier les rapports des organes de contrôle, il faut penser principalement à l’Inspection Générale d’Etat dont les rapports sont exclusivement destinés au Chef de l’Etat, «qui en fait ce qu’il veut». Cette exclusivité que la loi organise au profit de l’autorité suprême est devenue très discutable. Elle semble avoir été utilisée récemment dans un procès expéditif, non équitable pour abattre un adversaire politique. Dans l’affaire dite Khalifa Sall, le contrôle effectué par l’IGE a servi de base de poursuites sans que l’opinion n’ait à disposition tous les arguments alors que la déclassification nous aurait permis de comparer les résultats issus des différentes administrations contrôlées et de mieux apprécier la justesse des poursuites judiciaires engagées contre le maire Khalifa Sall et ses collaborateurs.
Une telle déclassification participe-t-elle à renforcer la lutte contre l’impunité et la mal gouvernance ?
Au Sénégal, c’est le Préambule de la Constitution de 2001, modifiée, qui affirme l’attachement à la transparence dans la conduite et la gestion des affaires publiques ainsi qu’au principe de bonne gouvernance. Cette logique d’ouverture doit se retrouver dans le fonctionnement des organes de contrôle car les avancées démocratiques doivent davantage favoriser une meilleure information des citoyens. La déclassification des rapports produits par l’IGE est un moyen d’accès à l’information de qualité pour les citoyens. Dans la procédure dirigée contre Khalifa Sall et les autres, le Procureur a visé le rapport de l’IGE qui reste jusqu’à ce jour secret. En bonne logique, et pour plus de transparence et d’équité, le Président de la République devait déclassifier le rapport pour permettre à l’opinion d’y voir plus clair et d’apprécier les autres gestions contrôlées dans le même rapport. Je précise que dans l’affaire des chantiers de Thiès, le Président Abdoulaye Wade avait, par décret n°2005- 671 en date du 22 juillet 2005, déclassifié les rapports n°02-2005 et n°14-2005, de l’Inspection Générale d’Etat.

D’aucuns pensent que le Chef de l’Etat utilise les rapports des organes de contrôle à des fins politiques. Qu’est-ce que vous en pensez?

Au Sénégal, le Président de la République est chef de parti et décide librement du sort à réserver à certains rapports. En outre, il peut influencer par des décisions la suite à donner à des rapports de contrôle. Ainsi, il accable ou absout les ordonnateurs de dépenses en fonction de ses intérêts politiques. Le président WADE a largement utilisé les résultats obtenus à la suite des contrôles menés dans la gestion des Socialistes pour faire transhumer beaucoup d’entre eux au point de dégarnir leurs rangs. Son successeur, le Président Macky Sall est dans la même logique d’utilisation des rapports à des fins politiques. L’OFNAC semblait être une avancée majeure mais reste inefficace en matière de sanctions du fait de l’inertie du Procureur qui dépend de l’Exécutif. Mais faut-il continuer à faire fonctionner des organes de contrôle qui peuvent être neutralisés par la simple volonté du chef de l’Exécutif qui décide seul du sort à réserver à leurs conclusions et recommandations ? A notre humble avis, les aspirations démocratiques, la nécessité de transparence et le besoin d’efficacité interpellent le Président de la République et l’obligent à engager des réformes. Il est temps que tous les rapports soient partagés avec le Parlement, la société civile, la presse et même certains partenaires. Enfin, si nous avons la volonté de combattre les fléaux liés à la délinquance économique, l’autorité doit impérativement arrêter d’utiliser les organes de contrôle de manière partisane pour neutraliser des adversaires politiques.

Par Mariame DJIGO

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