En d’autres temps, on y aurait perçu un…printemps africain mais, désormais, même les mots pèsent sur un continent où un besoin irrépressible de souveraineté gouverne le rapport des peuples locaux à la marche de leurs pays, y compris leurs interactions avec le reste du monde, et, donc, la lecture de ce que doit y être leur place alors qu’un mouvement techtonique en bouleverse la face, sous nos yeux, profondément.
C’est pourquoi, ainsi, quand, voici moins d’une semaine, il se rendait au Tchad, en gourou blanc de ce pays, j’avais mis en garde, ici-même, le Président français, Emmanuel Macron, contre le risque d’un décalage avec les attentes populaires. Emporté par son prisme suranné, toute de conformisme, il n’avait hélas pas voulu entendre cet autre son de cloche qui monte de maints cercles africains, des cœurs traditionnellement damnés, snobés, par ceux qu’on disait être les faiseurs de l’Afrique et leurs patrons extérieurs. Dans le pays d’Afrique centrale encore souffrant de la plaie béante ouverte par la mort de son dominateur, le Maréchal du Tchad, Idriss Déby, tué, dit ce qu’il a laissé d’élites militaires, par une balle reçue lors de sa participation aux derniers combats contre la plus récente rébellion, le Président français était confronté entre le choix de fermer une page ou d’en ouvrir une autre dans les relations, plus que problématiques, entre son pays et ses anciennes colonies africaines. Le Tchad lui en offrait une belle occasion.
«Tu avais vu juste, plus que les analystes et géopoliticiens du Quai d’Orsay», résume un analyste africain des questions sécuritaires, pour s’en désoler, que la mise en garde lancée ici n’ait pas été suivie par Macron. Lequel n’eut aucune peine à ne rien changer à ce qui reste une culture néocolonialiste, assise sur une politique de la canonnière et d’une exploitation sans merci des territoires africains qu’il estime toujours être une propriétaire tricolore, hexagonale.
Quelques-jours plus tard, c’est dans un empressement fiévreux, expression de sa débandade, qu’il tente de faire un retour sur sa posture martiale où il déclamait son soutien à un Comité militaire de transition (CMT), sans aucune crainte de dérouter, ce faisant, les plus optimistes, parce qu’arguait-il, il le faisait au nom de la défense de l’intégrité physique et territoriale du Tchad.
L’Afrique entière était sonnée par tant de prétention et d’arrogance de la part d’un homme qui avait pourtant annoncé à son arrivée au pouvoir, il y a 6 ans, qu’il serait l’architecte de la refondation de ce que l’on appelait la FranceAfrique pour en extirper les senteurs désodorantes, devenues intenables pour les peuples africains de moins en moins disposés à la voir continuer de les tenir en laisse au profit d’intérêts déséquilibrés de la France et de ses suppôts locaux.
D’une seule formule, par son onction à ce qui était un coup d’Etat mené par le fils du Président Tchadien, probablement assassiné par sa garde rapprochée, Macron prouvait au monde entier que l’image lisse de jeune premier, réformateur, qu’il projetait masquait plutôt mal la réalité de son ontologie néocolonialiste sans états d’âmes. Le départ était frappant entre cette tête d’œuf au verbe onctueux, au style détaché, à l’habillement quasi-psychédélique comparé aux tenues bourrues de ses prédécesseurs à la tête de la France et son froid ancrage, jusqu’à la caricature, à la pire tradition d’une FranceAfrique, méprisante et arrogante, sûre de son fait, s’imaginant en droit de marcher sur l’honneur et les aspirations des peuples africains.
Emmanuel Macron est donc totalement passé à côté de la plaque en donnant son imprimatur, notamment en en concoctant les termes pour l’ennoblir, au coup d’Etat conçu lors même que le cadavre du Maréchal du Tchad n’avait pas refroidi.
C’est à se demander quelle mouche l’avait donc piqué pour qu’il décide que ni les textes continentaux, unanimement validés par les plus de 50 Etats africains, interdisant l’arrivée au pouvoir en dehors des canaux constitutionnels, pouvait n’être pour lui qu’un torchon ? Ignorant en la matière les prescriptions de l’Union africaine et se limitant à n’intégrer que les vues de la nouvelle junte militaire, sans même prononcer un mot de requiem à la démocratie locale ainsi assassinée, oubliant les vœux des militants pro-démocratiques Tchadiens, il s’était fait, sans froncer le moindre cil, le parrain du putsch militaire. Sans se soucier de l’incongruité que dégageait sa romance, soudainement dévoilée, envers l’auto-proclamé nouveau guide du pays, en la personne du Général quatre étoiles d’opérettes, marionnette tropicale s’il en fut, qui n’était autre qu’un ersatz en pire du Débysme, son fils adoptif, Mahamat Idriss Déby Itno.
Entre sa convocation, par ordre vertical, des chefs d’Etat des pays du G5-Sahel, la structure militaire inter-Etatique créée sous son imperium pour lutter contre le terrorisme dans cette partie du continent, qu’il fit venir à Pau, en France, il y a deux ans, pour leur intimer de lui renouveler leur amour ; ses menaces dirigées contre les critiques de la FranceAfrique, expulsés des pays du continent à chaque incartade ; son désintérêt pour la lutte contre la répression et le recul démocratique ; et son braquage des rêves de souveraineté politique et monétaire, rien, au fil des ans, n’a montré aux africains, qu’il était sensible à leurs légitimes attentes.
Aurait-il été intronisé, en catimini, Empereur de ces derniers confettis d’un empire colonial continuant ainsi de respirer ?
En choisissant de ne s’afficher qu’avec les satrapes et serviteurs dociles de cet héritage que les peuples africains croyaient naïvement appartenir au passé, au point d’en célébrer annuellement le marqueur le plus distinctif, à travers les fêtes (désopilantes) nationales d’indépendance, Emmanuel Macron s’est cependant incrit, à ses dépens, à contre-courant de l’histoire.
Il n’a pas vu que les temps ont changé et que rien n’échappe plus à la sagacité d’une opinion publique capacitée par la techtonique des plaques numériques et devenue orfèvre en arbitrage des pratiques en cours sous les diverses latitudes d’une planète mondialisée. Est-ce l’hubris, ce sentiment d’invincibilité inexpugnable, ou une posture de classe qui ne le met à l’aise qu’avec la compagnie des hommes de pouvoirs africains et les serviteurs, intellectuels ou professionnels, cette bourgeoisie compradore des temps modernes, qui peuvent justifier son inclinaison à ne rien entendre de la houle de colère, à cette demande sociale d’une réinvention, pour l’équilibrer, des rapports de l’Afrique avec le reste du monde ? C’est possible.
La cécité qui en résulte n’est pas nouvelle. C’est à cette aune que la France Macronienne a été en retard quand les foules maliennes étaient dans la rue pour exiger le départ de son homme lige, l’ancien Président local, Ibrahim Boubacar Keïta. Elle a été pareillement inapte à comprendre les dynamiques transformatrices ayant fait sauter du pouvoir des dinosaures tels que les dirigeants du Soudan (El Béchir), de l’Ethiopie (DeSalegn), du Zimbabwe (Mugabe), de Gambie (Jammeh) ou encore de l’Afrique du Sud (Zuma) sans oublier les secousses et colères dans les rangs d’une jeunesse africaine, ostracisée par les politiques de restriction migratoire, marginalisée par la captation des ressources et marchés par les firmes étrangères, ici françaises, ou encore désespérée par le soutien froid et cynique de Paris à des autocrates, corrompus et incapables, antidémocrates.
Dans un monde baigné par une révolution technologique sans précédent, qui égalise les capacités d’accès instantané à l’information, donc à la décision, ignorer les pulsions de la rue africaine, c’était différer à une imminente occurrence son explosion.
Les peuples africains sont de retour. Avec une volonté de revanche. Et ce n’est pas par la ruse ou par l’adoubement de ses tortionnaires que quelque souverain extérieur pourra les convaincre d’adhérer à sa relation avec leur pays. Ne pas comprendre que rien ne sera plus comme avant, c’est même, de la part de pays comme la France, oublier que le besoin de souveraineté, de libertés, qui traverse les peuples africains trouve son origine dans une longue tradition d’indépendance historique, avant la colonisation, phénomène nouveau, en réalité, qui ne date que du 19ème siècle, malgré le souvenir aussi de l’esclavage, somme toute moment insignifiant dans la marche du peuple africain.
Quiconque d’Angus Maddison à Niall Fergusson, les plus prééminents historiens de la civilisation planétaire, fait l’effort d’étudier l’histoire qui la sous-tend comprend d’emblée que vouloir dénier aux peuples africains leur droit à l’auto-détermination, effective, n’est rien de moins qu’un idiot pour ne pas dire un mauvais élève de ce qui les meuvent.
En allant se poser en dictateur des dictateurs Tchadiens, Emmanuel Macron a réveillé la fierté d’un peuple. Qui lui a exprimé hier son ras-le-bol jusqu’à le pousser, sur le parvis de l’Elysée, à se déjuger, sans panache, toute honte bue.
Ce n’est là que le début de ce qui l’attend s’il continue à croire que les peuples africains n’en n’ont pas assez de cette prétention indécente de l’homme blanc à s’imaginer missionné par une force divine pour, selon la rethorique de Rudyard Kypling, porter en fardeau le destin de l’homme noir.
Les peuples africains sont plus que jamais de retour. C’est d’une tendance lourde, emergente, qu’il s’agit.
Par le sang, si besoin, ils feront entendre leur voix, ciomme l’ont fait hier les foules Tchadiennes qui ont, sans nul doute, sonné le tocsin pour la fin du régime anti-constitutionnel qu’Emmanuel Macron s’imaginait pouvoir couver sans anicroches.
Le plus grand danger qui guette désormais la FranceAfrique, c’est donc le culte révolu de l’officialite qui l’arrime aux forces du passé et du passif tandis que monte, plus forte, la revendication populaire, populiste, d’une relation assainie de l’Afrique avec le reste du monde, sur des termes plus acceptables que jamais jusqu’ici. Ce n’est pas pour rien que certains disent d’ailleurs qu’au Tchad, la France se retrouve dans son Afghanistan, ou, plutôt, son nouveau Dien Bien Phu.
Adama Gaye*, opposant au régime de Macky Sall vit en exil.
Ps : On m’apprend qu’une note circulaire est à l’œuvre pour payer les anciens PM. C’est la nouvelle saison de la transhumance et de la collaboration, le recyclage de girouettes inutiles, qui commence. Macky Sall reste définitivement médiocre et n’aime que s’entourer de gens prêts à tout, pourvu qu’on leur serve une partie de la soupe de la corruption.
Par Adama Gaye*