Le Conseil d’urgence sur l’emploi des jeunes, au lieu de mettre au premier plan, ses actuelles entités de financement qui ont montré leurs limites, doit plutôt privilégier la collaboration Etat-secteur privé
Abdoulaye Wade, sous son magistère, a revitalisé le secteur privé démoli par les 20 ans de l’ajustement structurel du régime socialiste. Léopold Sédar Senghor avait permis à des Sénégalais de mettre en place des entreprises parce que dans un contexte post-indépendance où le secteur économique reste dominé par les colons, il fallait nécessairement favoriser la création de certaines entreprises surtout spécialisées dans la construction des infrastructures routières et dans le secteur du bâtiment.
Le secteur du transport n’a pas été en reste même si aujourd’hui certains labels qui ont fait le bonheur des Sénégalais dans le transport des personnes ou du carburant ont disparu du secteur économique. Sous le régime du Président Abdou Diouf, c’est le dégraissage à outrance. Les licenciements et déflations de travailleurs ont jalonné les 20 ans de son règne. Et la banqueroute fréquente des entreprises publiques comme privées avait fini par devenir la règle de sa politique économique dictée par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI).
Abdoulaye Wade en bon libéral aura permis le revitalisation du secteur privé même s’il s’est évertué au cours de son règne à démanteler certaines entreprises nationales qui ont beaucoup contribué à rendre verts les clignotants de notre économie à la fin du régime de Diouf. Les ICS et la Sonacos, fleurons de notre économie, premières industries en termes de contribution au PIB, ont subi les coups de boutoir de Wade. Des noms inconnus dans l’aéropage des entrepreneurs sénégalais émergeront et mettront en place des sociétés pourvoyeuses d’emplois. Mais c’était loin de suffire pour aider un secteur privé en difficulté.
Sous le règne de Macky Sall, on pensait à une relance de ce secteur privé désorganisé. Mais que non ! Les choses semblent aller de mal en pis et il est constatable que les entreprises qui ont mis la clé sous le paillasson supplantent celles créées sous Macky Sall. Lors d’une réunion tenue le 9 juillet à Dakar, Mansour Kama, défunt président de la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (Cnes), a fait le diagnostic du secteur privé en difficulté. Il dénonçait le fait que le non-respect des règles de la commande publique, plongeait les entreprises dans un océan de difficultés. «L’Etat est le premier à être en difficulté pour payer les entreprises. Cela a un effet sur les sociétés. Après vous avez la cascade. Vous ne pouvez pas remplir vos obligations fiscales. La banque est obligée de mettre en route son mécanisme de recouvrement…», pestait le défunt patron du Cnes. Il a rajouté avec amertume que « les entreprises vivent des situations difficiles à cause de la dette, de la concurrence déloyale dans le secteur industriel, agroalimentaire, la transformation, la fraude ».
Mais tout cela porte l’empreinte de l’Etat qui préfère, comme l’a dénoncé Mansour Kama, se rabattre sur le privé étranger que le privé national. Dans le même sillage, Babacar Diagne, le président du Conseil des entreprises du Sénégal (Cdes), déclare dans une interview accordée au journal l’As du 5 juin 2018 qu’il y a un taux de mortalité de 72% concernant les Petites et moyennes entreprises (Pme) au Sénégal. Il souligne, dans cet entretien, la faiblesse d’une structure de financement comme la Banque nationale pour le développement économique (BNDE).
Selon le patron du CDES, « le besoin en financement des petites et moyennes entreprises qui tourne autour de 500 milliards F CFA ne peut pas être satisfaite par la BNDE qui au lieu d’être une banque de développement, s’est plutôt transformée en banque commerciale ». Le secteur privé dynamique est un puissant moteur de création d’emplois et est l’un des fondements d’une croissance économique durable. Aujourd’hui seul un secteur privé fort peut aider l’Etat à créer des emplois qualitatifs et durables. Sur les 450 000 salariés du Sénégal, seuls les 150 000 sont assurés par l’Etat. Donc, connaissant le poids du secteur dans la création d’emploi, le Président Macky Sall doit revivifier ce secteur auquel il a contribué largement à son déclin.
L’entreprise de Kabirou Mbodj, spécialisée dans le transfert d’argent, aura fait une décennie d’existence avant d’agoniser devant un géant comme Orange Money. Joni Joni, le système de transfert d’argent et de paiement électronique, développé par la société sénégalaise BOSS (Boygues Solutions Systems Limited) de Bougane Guèye Danny, qui faisait 17 milliards de chiffre d’affaires mensuels et qui employait aussi 350 personnes embauchées avec 19 000 points de service constituant des emplois indirects, a aujourd’hui mis la clé sous le paillasson à cause de l’engagement politique opposant de son propriétaire. Bara Tall dont l’entreprise Jean Jean Lefebvre Sénégal (JLS), installée à Dakar depuis 1952 a commencé à vivre les affres de la mort à partir de 2004, année de sa brouille avec le Président Abdoulaye Wade. Pour avoir refusé d’accuser Idrissa Seck dans les chantiers, tels que Wade le lui avait recommandé, Bara Tall aura fait la pris et voir son entreprise être combattue par le clan des Wade.
Selon le journaliste Abdou Latif Coulibaly, directeur de publication de la Gazette, « au total, JLS a été exclue de tous les appels d’offres auxquels elle a participé au cours de ces cinq dernières années (2004 à 2009), pour un montant global de 104 milliards de FCFA ». « De vingt sociétés, le Groupe a fortement réduit sa voilure et ne comprend plus que treize sociétés, dont la majorité vit dans une situation financière catastrophique. Talix-Group qui était parti, au moment où s’installait le nouveau régime, pour être un grand conglomérat employant plus de cinq (5000) personnes dans divers domaines d’activités il y a à peine cinq ans, a subi une mise à mort qui a fini de jeter dans la rue des milliers de Sénégalais pris en otage et sacrifiés par un régime revanchard et ayant la rancune dure » ajoute celui qui, aujourd’hui, est nommé Secrétaire général du gouvernement par le Président Sall. Ce dernier pour qui Bara Tall s’est sacrifié pour contribuer à sa réélection a été l’ersatz de Wade. Macky aura presque donné le coup de grâce Bara Tall parce que ce dernier aura rechigné d’intégrer la mouvance présidentielle. Bougane Gueye et Bara Tall sont victimes de la politique.
Pourtant tout le monde sait le mouvement « Yamalé » n’était qu’une stratégie circonstancielle pour lutter contre la mise à mort à laquelle Wade destinait ses entreprises. La femme entrepreneuse Aïda Ndiongue voit aujourd’hui ses 14 milliards dormir à la Caisse de dépôt et de consignation. Soupçonnée au début de la 2e alternance d’être le bras financier du Pds, la lionne du Walo a été trainée devant les tribunaux où elle est sortie successivement vainqueur de ses procès. Sans se soucier des nombreux pères, mères et soutiens de familles que ses entreprises faisaient, l’Etat avec son bras armé judiciaire a confisqué illégalement ses biens malgré ses victoires aux procès. Aujourd’hui sa logique politique qui l’a conduite vers l’Alliance pour la République est une preuve palpable qu’elle n’a jamais gardé le trésor de guerre de guerre du Pds. Aujourd’hui, il serait juste de revoir cette décision illégale de la Cour suprême qui a ordonné la confiscation de ses biens, qu’elle rentre dans ses fonds et qu’elle puisse redonner le sourire à ces nombreux pères et soutiens de familles qui gagnaient leur pain dans ses entreprises.
Le Conseil d’urgence sur l’emploi des jeunes, au lieu de mettre au premier plan, ses actuelles entités de financement qui ont montré leurs limites, doit plutôt privilégier la collaboration Etat-secteur privé. L’Etat pourvoyeur de fonds peut s’appuyer sur secteur privé pour exprimer son besoin en emplois pour une durée bien précise. Le Pôle Emploi n’aura de sens que s’il y a articulation entre les besoins d’emploi de l’Etat et l’offre du secteur privé.