«A Haïti, au Panama et au Nigeria, de nombreux enfants traités avec du sirop pour la toux, sont morts empoisonnés au diéthylène glycol», affirmait publiquement, le 8 octobre 2010. Margaret Hamburg, Haut-Commissaire de la Food and Drug administration (FDA), l’Agence américaine habilitée à autoriser la commercialisation des médicaments sur le territoire des États-Unis.
L’affaire du trafic des faux médicaments à la Patte d’Oie Builders (Dakar) devrait interpeler plus d’un Sénégalais. Elle est très grave. Notamment pour l’économie de notre pays, pour nos Pharmaciens mais aussi et surtout, pour nos enfants qui sont la couche la plus vulnérable. Si on n’y prend pas garde c’est tout notre système sanitaire qui risque de s’effondrer comme un château de cartes.
A l’allure où vont les choses, ne soyons donc pas étonnés que certains de nos compatriotes boudent les médicaments vendus chez nous, à cause d’un trafic savamment entretenu pour enrichir quelques individus malintentionnés qui s’appuient sur des criminels à col blanc. Lorsque de la craie blanche, jaune ou rouge, mélangée à la farine ou de l’amidon est transformée en comprimé ou en pilule puis commercialisée, l’intention de tuer est plus que flagrante. Il peut arriver que nous l’achetions pour nos enfants. Ce qui constitue une très grande probabilité dans un pays où les médicaments sont vendus à même le sol.
Sans occulter ce trafic juteux et nocif établi au vu et au su de tous, à Keur Serigne Bi ; en plein centre de Dakar, la capitale sénégalaise. Et si une entreprise funeste continue à prospérer, c’est parce qu’il n’y a pas de volonté d’y mettre un terme. Car comme l’avait écrit, Mme Joceylyne Sambira, membre du Personnel des Nations Unies, dans une Tribune publiée par Afrique Renouveau, «l’ampleur du profit et la légèreté des peines alimentent la criminalité».
Or, le trafic de faux médicaments s’apparente bien à un homicide. Selon le Professeur Pierre Ambroise-Thomas, expert de l’OMS en paludisme et parasitoses tropicales, «la contrefaçon n’est pas seulement un acte criminel». Pour cet expert «le terme d’homicide convient parfaitement, quoique certains préfèrent parler de meurtre». Pour ainsi mettre un terme à la prolifération des médicaments contrefaits, quelle que soit la quantité, mais aux conséquences tragiques, on gagnerait à criminaliser ce trafic. L’ancien Premier ministre, Aminata Touré l’avait d’ailleurs préconisé. Prenant part à l’initiative de Lomé les 17 et 18 janvier 2020, Mimi Touré, alors présidente du Conseil économique, social et environnemental (CESE), avait déclaré chez confrères de Jeune Afrique que le «trafic des faux médicaments est un carnage silencieux». Elle avait alors préconisé la criminalisation du phénomène et à une meilleure coopération entre les États. Aujourd’hui, la rocambolesque affaire de Patte d’Oie Builders devrait nous permettre de mettre le holàs sur le trafic des faux médicaments.
Les deux Chinois : Hai Dong Zhang, son bras droit Wong Don Wang et leurs trois acolytes sénégalais, à savoir les pharmaciens Aliou Bâ, Mamour Niang et leur livreur C. Bâ, qui n’ont pas cherché à nier les faits, devraient être sévèrement punis. Toutefois, on ne devrait pas s’arrêter là. Il faut aussi chercher les complices qui ont permis de faire passer à travers les mailles des filets, cette importante quantité au nez et à la barbe de notre brillante douane, qui s’est vite dédouanée en incriminant la Direction de la Pharmacie et du Médicament (DPM). Dans un communiqué, les Gabelous soutiennent que la société incriminée, en l’occurrence DAHAICO SARL, attributaire du code PPM 131911, est bien connue de leurs services mais aussi de la Direction de la Pharmacie et du Médicament (DPM) qui lui a délivré plusieurs autorisations d’importation de dispositifs médicaux. Les Sénégalais veulent savoir. Ils doivent même savoir. C’est une obligation.
DES CHIFFRES QUI FONT FROID AU DOS
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans certaines régions d’Afrique, «60 % des médicaments vendus seraient falsifiés». Ce qui entraine «environ un million de morts dans le monde chaque année».
Pis, l’American institute of tropical médicine, soutient que «120 000 enfants de moins de 5 ans meurent chaque année à cause d’antipaludéens falsifiés». Selon certaines études, le marché de trafic de faux médicaments serait plus lucratif que celui de la cocaïne. Pour 1 000 dollars investis, les trafiquants en retirent 500.000 dollars de bénéfices, contre 20.000 pour celui de la drogue. D’où la nécessité de trouver une coopération entre les états africains connus pour leurs frontières poreuses. La Fondation Brazzaville avait d’ailleurs eu une excellente initiative allant dans ce sens. Mais l’engagement de nos Chefs d’Etat laisse à désirer. On se souvient encore lors de cette initiative de Lomé (17 et 18 janvier 2020) où sur sept présidents initialement attendus dans la capitale togolaise, seuls trois avaient finalement effectué le déplacement. Il s’agit de Macky Sall (Sénégal), Yoweri Museveni (Ouganda) et Faure Gnassingbé (Togo, hôte de l’événement).
Les autres ont préféré envoyer leur ministre de la santé ; pendant ce temps, un pays comme le Gambie n’y était même pas représenté. Pourtant les médicaments contrefaits sont une atteinte à la santé publique
ABDOULAYE THIAM