Si la bataille de Dakar revêt un caractère particulier pour la plupart des forces politiques, elle l’est davantage pour Khalifa Ababacar Sall, dont l’avenir dépend, en grande partie, de la reconquête de la capitale, perdue lors des dernières élections majeures. Eclairage avec le politologue Moussa Diaw et le communicant Dr Moussa Diop.
C’est comme dans une course de fond. A chaque étape, des figures émergent. D’autres semblent à bout de souffle. Par les temps qui courent, c’est Khalifa Ababacar Sall qui est à l’affiche. D’habitude si calme, pondéré et mesuré dans ses prises de position, l’ancien maire de Dakar durcit de plus en plus le ton. Est-ce l’effet Ousmane Sonko, dont le discours va-t-en-guerre porte auprès de certaines franges de la population ?
L’enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, Moussa Diaw, répond : ‘’Effectivement, je crois que Khalifa a tiré des leçons de la dynamique d’Ousmane Sonko. Peut-être aussi c’est parce qu’il a fait son introspection et s’est rendu compte des manquements dans sa démarche. Ce qui est évident, c’est que le Khalifa qu’on voit actuellement n’a rien à voir avec celui timoré que j’avais l’habitude de voir, notamment face à Pape Allé Niang. Il est dans un registre nouveau où l’accent est mis sur l’action, les rapports de force…’’
Dans la même veine, le docteur en communication et analyste politique, Moussa Diop, estime que ce durcissement laisse paraître une volonté de capter les électeurs déçus, de part et d’autre de l’échiquier politique. En effet, suggère-t-il, avec les périodes incertaines que traverse le Parti démocratique sénégalais, les déboires judiciaires d’Ousmane Sonko et les frustrés du camp du pouvoir, il y a pas mal d’électeurs à conquérir. Il affirme : ‘’C’est le moment pour lui de montrer qu’il existe et qu’il peut constituer une alternative. Il a déjà une image qui est consensuelle, rassembleuse et moins clivante. Khalifa a toujours été une figure lisse, aux yeux de l’opinion. Il lui faut maintenant jouer cartes sur table et y aller à fond pour rassurer sa base qui a quand même été orpheline. En plus de rassurer cette base, il a compris qu’il faut s’endurcir et se départir de cette image d’homme mou qu’on lui colle. Il était jugé trop mou, trop poli, dans la courtoisie, dans le consensus. Or, ce n’est pas forcément ce qui paie, s’il veut conquérir ces électeurs frustrés de tous bords.’’
Aussi, convient-il de noter que Khalifa a tout intérêt à durcir le ton, pour capter la frange jeune de l’électorat. Un électorat friand de discours guerrier, si l’on en croit le Dr Moussa Diop. ‘’On peut effectivement penser qu’en durcissant le ton, Khalifa fait un clin d’œil à la jeunesse. Aujourd’hui, il y a une certaine frange de la jeunesse qui se nourrit au discours dur. C’est cette jeunesse qui est affiliée au Frapp, à Pastef… C’est une jeunesse qui veut aller dans le sens d’une rupture complète avec ce qu’elle considère comme le système. Je ne suis pas tout à fait sûr de ce que cela veut dire pour eux, mais il y a une jeunesse qui y adhère et ça devient un enjeu. Il s’agira, donc, pour Khalifa, d’être à la fois consensuelle, moins clivant, mais en même temps, il faut s’endurcir pour satisfaire aux besoins de cette jeunesse qui a besoin d’absolu’’.
Ce qui justifie sans nul doute ce que Moussa Diaw considère comme une démarche ‘’très offensive’’, ‘’très mobilisatrice’’ et ‘’très entreprenante’’.
Pourquoi maintenant, après tant de mois en hibernation presque totale ? Le leader s’est-il rendu compte que sa base affective lui échappe au profit d’autres forces politiques émergentes, comme Ousmane Sonko ? En tout cas, il résulte des éclairages du docteur en communication et analyste politique, Moussa Diop, que l’absence de l’ancien maire de Dakar n’a pas été sans conséquence sur sa base politique. ‘’La nature, souligne-t-il, a horreur du vide. Pendant qu’il était silencieux ou ‘caché’, l’espace politique était occupé par d’autres, dont Ousmane Sonko. Barthélémy Dias a essayé de le représenter, mais cela a été insuffisant. Là , il met le paquet, parce qu’il sent que c’est maintenant ou jamais. D’autant plus qu’à mon avis, le contexte lui est favorable’’.
Reconquérir Dakar
Pour reconquérir sa place dans l’arène politique, Khalifa Sall semble surtout mettre l’accent sur la capitale où il a, pendant longtemps, été maitre incontesté. Pour beaucoup, sans Dakar, Khalifa pourrait difficilement faire la différence, à l’occasion des joutes électorales à venir. Nos experts confirment. ‘’Khalifa, c’est Dakar. Il lui faut conquérir Dakar et, à partir de Dakar, aller à l’assaut du Sénégal ; Ceci n’est pas gagné d’avance. Il faudra aller sur le terrain, se bagarrer pour reconquérir le territoire qu’il a perdu’’, analyse Moussa Diaw.
L’un des écueils qui pourrait se dresser sur le chemin de l’ancien maire de Dakar, c’est la guerre de leadership entre deux de ses principaux lieutenants, en l’occurrence Barthélémy Dias et Bamba Fall. Surtout dans l’hypothèse où il renoncerait à se présenter à Dakar, comme cela a été antérieurement évoqué par ses propres partisans. Le Dr Diop affirme : ‘’C’est vrai qu’il a déjà une patate chaude à gérer. Parce qu’il y a là des ego un peu trop fort dans son mouvement. Il faudra travailler à les réunir autour de l’essentiel. Bamba et Barth, c’est deux personnalités différentes ; l’un est consensuel, capable d’un discours rassembleur et peut se battre pour les principes. Barth est beaucoup plus va-t-en-guerre, beaucoup plus offensif et radical dans ses prises de position.’’
Outre ce défi, il lui faudra composer avec une opposition protéiforme, qu’il pourra difficilement fédérer pour pouvoir battre le pouvoir dans les meilleures conditions. ‘’Il faut être clair. Cette opposition n’est pas une opposition unie qui serait prête à faire front commun, en mettant devant un candidat contre le camp d’en face. Il y a des ego et il sera difficile de les réunir. Chacun va donc essayer de se positionner’’.