«Si le gouvernement a la volonté de tenir les élections en décembre, elles se tiendront. C’est ce que l’opposition demande. Et ce n’est pas trop demander, c’est un droit», a estimé le patron de Taxawu Sénégal, Khalifa Ababacar Sall
Après plusieurs reports, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi fixant les élections locales au plus tard au 31 janvier 2022. Une date controverse que l’opposition a déjà rejeté, exigeant la tenue des joutes locales au plus tard en décembre 2021. Ce qui entraine la tenue d’autres réunions dont celle «déterminante» de jeudi 15 avril prochain.
«Si le gouvernement a la volonté de tenir les élections en décembre, elles se tiendront. C’est ce que l’opposition demande. Et ce n’est pas trop demander, c’est un droit», a estimé le patron de Taxawu Sénégal, Khalifa Ababacar Sall, le weekend dernier. Une position que l’ancien député-maire de la ville de Dakar partage avec ses camarades de l’opposition qui exigent la tenue de l’élection locale au plus tard en décembre 2021. Mais aussi des membres de la société civile. Sauf que, le 2 avril dernier, les parlementaires de la majorité ont voté le projet de loi fixant les élections locales au plus tard au 31 janvier 2022. Une démarche qui n’agrée pas l’opposition, qui y voit d’ailleurs un «forcing» voire une «mauvaise foi» du camp du pouvoir.
De l’avis de Tamba Danfakha, plénipotentiaire de l’opposition au dialogue politique, «c’est le manque de sincérité du Président Macky Sall. Il joue depuis le début avec l’opposition. Il n’a jamais eu l’intention d’avoir un consensus avec l’opposition sur quoi que ce soit». Cela, même s’il admet que l’opposition avait prêté le flanc avec cette histoire d’audit du fichier et d’évaluation du processus électoral obligatoire avant toute participation à une élection. Il pense qu’une autre démarche leur aurait été favorable. «Il fallait, à mon avis, prendre le Président au mot : exiger la suppression de tous les points ajoutés de façon unilatérale au processus électoral qui a permis au pouvoir d’éliminer des adversaires politiques», suggère-t-il.
Hélas, se désolet-il, cette exigence «sert de levier au camp du pouvoir pour faire trainer les choses». En tout état de cause, il reste persuadé que le chef de l’Etat mijote quelque chose. «Je crois que le Président veut reporter les élections législatives en 2024. Il fait donc du dilatoire pour légitimer cela», confie M. Danfakha. Une position que le camp du pouvoir dit ne pas comprendre, d’autant plus que l’opposition a été demanderesse de ce travail de vérification. Qui plus est, renseigne Ndiawar Paye, plénipotentiaire de la majorité présidentielle, le travail a commencé pour les auditeurs sur la base d’un contrat qui fixe les délais entre 90 à 120 jours. Ce qui nécessitera pas moins de 10 à 11 mois de travaux.
Ainsi donc, d’après ses calculs, la date prévue au plus tard le 31 janvier 2022 collerait bien avec les travaux exigés par leurs adversaires politiques. Encore qu’il assure que cette date est un «engagement ferme» de la majorité pour la tenue de ces élections. Pour autant, il informe que la sous-commission mise en place pour rapprocher les positions des différents acteurs rendra à la commission de suivi du dialogue politique ses travaux le jeudi 15 avril prochain.
Momar Diongue décortique les enjeux
L’enjeu serait toute autre alors pour le journaliste-analyste politique Momar Diongue. Décortiquant ce qui se cache derrière ces exigences de l’opposition pour la tenue des élections au plus tard, en à la fin de l’année 2021, M. Diongue explique que les adversaires du régime en place sont sortis «ragaillardis, renforcés, super motivés», par les tumultes nées de l’affaire Sonko-Adji Sarr.
Ainsi donc, ayant senti pour la première fois, depuis qu’ils ont été en bras de fer continu avec Macky Sall et son régime, avoir le dessus, il n’est pas question pour eux de ne pas surfer sur cette vague. «Comme il faut battre le fer quand il est chaud, ils veulent rester dans la dynamique de ce bras de fer qui leur est favorable et voudrait donc que l’élection locale se fasse maintenant, parce que ce qui s’est passé récemment, au-delà des actes de violence, a montré quand même un certain rejet du régime en place par une grande frange de la population» soutient-il sur la base de la série de manifestations violentes sur l’ensemble du territoire. Une stratégie que semble bien comprendre la majorité présidentielle qui s’arcboute sur la date du 31 janvier 2022, au plus tard.
En effet, Momar Diongue trouve que «le camp du pouvoir s’est rendu compte qu’il va falloir prendre du recul pour mieux sauter. Ils sont conscients de l’état de faiblesse dans lequel ils sont aujourd’hui, et ils voudraient se donner le maximum de temps possible pour se préparer et venir faire face à l’opposition, aux locales». Ce qui leur permettrait de casser la dynamique triomphante de l’opposition. Mais pas que. Concernant le régime en place, le journaliste-analyste politique entrevoit un autre élément en jeu avec cette volonté de repousser les élections à l’année prochaine. «Si l’élection locale bascule en 2022, il y a de forte probabilité que ça impacte sur les élections législatives prévues en juin 2022. Il est très probable qu’en moins de 5 mois, que le pays ne soit pas dans la possibilité d’organiser les élections législatives», soutient Momar Diongue, pour qui, le contexte n’est pas favorable au pouvoir actuel, qui ne prendrait pas le risque de mettre en jeu sa majorité à l’Assemblée nationale.
Au vu des enjeux pour les uns et les autres, et du contrebalancement des rapports de force sur le terrain entrainé par la série de manifestations suite à l’affaire Sonko-Adji Sarr, un accord sur la date de la tenue des locales prochaines reste peu probable, ce jeudi 15 avril. L’avenir nous le dira.