Créés dans le but de prévenir et de lutter contre des pratiques de mal gouvernance des ressources publiques, les organes de contrôle font aujourd’hui face à un réel enjeu. En effet, l’utilisation de plus en plus de leurs rapports par les régimes politiques comme arme de liquidation politique contre des adversaires et la protection des partisans épinglés sont autant de défi sur l’avenir pour ces organes de promotion de la bonne gouvernance.
Y-a-t-il vraiment nécessité de maintenir aujourd’hui les organes de contrôle au Sénégal. Cette question a tout son sens, au regard du traitement que les différents régimes qui se sont succédé à la tête du pouvoir exécutif réservent souvent aux rapports produits par ces organes de contrôle de l’État. Créés par les pouvoirs publics dans le but de prévenir et de lutter contre des pratiques de mal gouvernance des ressources publiques, les organes de contrôle tels que l’Inspection générale des finances (IGE), la Cour des comptes, l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) et l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) font de plus en plus objet d’un détournement d’objectif. Aujourd’hui, les conclusions de leurs rapports sont devenues la principale arme de destruction des adversaires politiques aux mains des tenants du pouvoir. Ce phénomène semble d’ailleurs prendre une ampleur sans précédent avec l’avènement de l’actuel chef de l’Etat, Macky Sall, à la magistrature suprême, à la faveur de la deuxième alternance politique et démocratique survenue le 25 mars 2012.
En effet, alors qu’il avait promis une « rupture » dans la gouvernance des affaires publiques à travers le slogan « une gestion sobre et vertueuse » centrée sur la « patrie » avant le « parti », cet engagement a été aujourd’hui relégué au second plan. Résultat ! De 2012 à aujourd’hui, les cas de mal gouvernance des ressources publiques impliquant la plupart du temps des responsables du régime en place sont constamment dénoncés par les rapports des corps de contrôle, sans que cela n’aboutisse à rien. Pour preuve, les nombreux cas de malversation notées par des rapports de corps de contrôle dont l’Ofnac, impliquant des responsables du régime, transmis au procureur de la République et classés sans suite, nonobstant l’engagement pris par le chef de l’État de redonner « aux appareils d’audits de l’Etat leurs lettres de noblesse» lors de son premier discours à la nation, le 3 avril 2012, à la veille de la fête de l’indépendance. Invitée du jour de l’émission « Objection » de la radio Sud Fm (privée), le dimanche 28 décembre 2020 dernier, Seynabou Ndiaye Diakhaté, présidente de l’Office national de lutte contre la corruption avait révélé dans ce sens que 20 rapports produits par sa structure ont été déposés sur la table du procureur de la République. « J’ai fait mon travail sans état d’âme et ça s’arrête là. On m’a délimité un champ de compétence et je ne peux pas sortir de ce champ », a expliqué Mme Seynabou Ndiaye Diakhaté tout en précisant dans la foulée que « l’Ofnac n’est pas un organe de poursuite».
A cette politique d’impunité à l’égard des partisans épinglés, il faut également ajouter des attaques contre certains organes de contrôle ou ses membres menées par des pontes du pouvoir en place dont la gestion a été épinglée ( Voir les sorties de Me Oumar Youm, alors Directeur de Cabinet du président de la République et Mahammed Boun Abdallah Dionne, ministre d’Etat, Secrétaire général de la présidence de la République contre l’ancienne présidente de l’Ofnac, Nafi Ngom Keita, suite à la publication des rapports 2014 et 2015 qui ont épinglé la gestion de l’actuel ministre de l’Enseignement supérieur, Cheikh Oumar Hanne, alors Directeur du Centre des œuvres universitaires de Dakar (Coud)). On se souvient également de la petite phrase lancée en présence du président de la commission des comptes et de contrôle des entreprises publiques de la Cour des compte, Abdoul Magib Guèye et de ses collègues par l’actuel Ministre du Développement industriel et de la Petite et Moyenne Industrie, Moustapha Diop, alors Ministre délégué auprès du Ministre de la Femme, de l’Enfant et de la Famille, chargé de la Microfinance et de l’Economie solidaire : « Vous êtes de petits magistrats de rien du tout, payés pour me déstabiliser ».
Il faut que cette démarche plutôt clémente à l’égard de présumés coupables de malversation change de visage quand il s’agit d’adversaires politiques. En atteste, le cas de l’ancien maire de la ville Dakar, Khalifa Ababacar Sall, dont l’avenir politique est hypothéqué par une condamnation judiciaire suite à une procédure de détournement de deniers publics initiée contre lui par l’actuel procureur de la République dans le sillage du rapport de l’IGE 2015.