Rapport d’Amnesty, indépendance de la justice, affaire Adji Sarr. Le gouvernement revient à la charge et donne sa part de vérité dans ce dossier qui semble loin de livrer son verdict. Pour cette grande opération de communication, le ministre des Forces armées a été mis en avant, au détriment des ministres de l’Intérieur et de la Justice.
Hier, pour parler des récents troubles notés au mois de mars, un peu partout sur le territoire, le gouvernement n’a amené ni le ministre de l’Intérieur ni celui de la Justice. Pourtant, manifestement, c’étaient les deux départements les plus concernés par les thématiques du jour. En leur lieu et place, il y avait un brillant Sidiki Kaba, Ministre des Forces armées.
Comme au prétoire, l’avocat a lavé à grande eau le gouvernement sur les derniers évènements et chargé du mieux qu’il a pu l’opposition et les organisations de la société civile. Et pour faire croire que tout ce qui intéresse le gouvernement c’est l’éclatement de la vérité, M. Kaba révèle : ‘’Nous voulons rétablir les faits. Dans ce cadre, le gouvernement du Sénégal annonce la mise sur pied d’une commission indépendante impartiale pour rétablir toute la vérité, dans la dynamique de paix, dans la dynamique d’apaisement, pour que justice soit faite. C’est un élément qui conforte l’Etat de droit et notre volonté de vivre en paix.’’
L’information est ainsi lâchée. L’Etat compte sur une commission indépendante pour élucider ce que les autorités judiciaires, fortement remises en cause par l’opinion, n’ont pu permettre d’éclairer. Comme pour donner des gages, le ‘’porte-parole’’ du jour informera qu’il s’agira d’une commission ouverte, où l’opposition comme la société civile pourrait être partie prenante.
Ainsi, explique Sidiki, il s’agira de situer les responsabilités, d’où qu’elles viennent. Répondant à ceux qui estiment que le gouvernement voulait nier les violences des forces de l’ordre, il précise : ‘’Il ne faut me faire dire ce que je n’ai pas dit. Les faits sont là. Il y a eu des accusations de toutes sortes ; on a dit que des forces de l’ordre sont responsables de tout. J’ai précisé : n’eût été leur professionnalisme, leur sang-froid, on aurait eu un bilan beaucoup plus lourd. Je vous ai également dit que la meilleure façon de situer les responsabilités des uns et des autres, c’est de mettre en place cette commission nationale indépendante.’’ Et d’ajouter : ‘’Je n’ai pas exonéré les forces de défense et de sécurité. J’ai dit : dans la globalité de leur action, vous l’avez vu, elles ont préféré reculer ; elles ont préféré prendre une posture qui n’est pas une posture d’agressivité. Maintenant, dans le feu d’une action, il se peut qu’il y ait des actes qui violent la loi. Auxquels cas, la commission permettra de rétablir la vérité.’’
Sidiki Kaba brûle le rapport d’Amnesty, parle d’exagération et de manipulations
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le gouvernement n’est pas du tout content du rapport dressé par Amnesty International/Sénégal évaluant le nombre de morts à 13, celui des blessés à 590. D’après lui, le rapport de l’organisation impute l’entière responsabilité aux FDS. Ce qui est loin d’être le cas. ‘’Voilà l’excès, s’emporte-t-il. On veut nous faire croire que ce sont les violences policières qui sont à l’origine de tout ce que nous avons tous vu ensemble. En voyant une catégorie de manifestants qui s’en prenaient à des biens privés publics : des feux de signalisation, des postes de gendarmerie, des magasins privés… Quand on fait la narration et le récit d’un événement, je pense qu’il faudrait le faire en tenant compte de la réalité, parce que les faits sont têtus. On ne peut pas soutenir que ce sont les forces de l’ordre qui sont à l’origine de toute cette violence.’’
Et pour étayer ses propos, le ministre brandit la sortie de la famille d’une personne supposée être parmi les victimes de la violence policière. Il insiste : ‘’La preuve est cette personne qui a été citée parmi les morts par balle du fait des FDS. Sa famille a publiquement démenti, en soutenant qu’il a été tué par coup de poignard. Ce qui justifie encore l’importance de cette commission nationale indépendance qui va permettre de rétablir la vérité et de situer les responsabilités.’’
Pour Me Kaba, l’auteur du rapport n’a pas respecté la méthodologie requise. ‘’Quand on fait un rapport, souligne-t-il, il y a une méthodologie ; il faut au moins donner la parole aux différentes parties. Mais on ne se précipite pas dans le sensationnel. Où ont-ils été pour compter les morts ? Qui sont-ils ces 590 personnes blessés ? Ont-ils une liste ? De plus, l’Etat n’a jamais été saisi pour donner sa version’’.
En ce qui concerne les menaces de porter l’affaire devant la justice internationale, il rétorque : ‘’On ne peut pas manipuler les concepts de crime contre l’humanité, de crime de guerre et de génocide à la légère. La qualification n’est pas simple, il ne faut pas se précipiter pour qualifier. Aussi, il faut savoir que la justice internationale est une justice complémentaire des juridictions nationales. La justice doit d’abord être rendue in situ, dans les lieux où les infractions se sont passées. On ne saisit pas la Cour pénale internationale n’importe comment.’’
En vérité, fera-t-il savoir, lors de ces émeutes, ‘’les FDS ont reçu des instructions pour ne pas tirer sur les manifestants et cela n’a pas été fait. Contrairement à l’assertion qui a été faite, nous disons que, globalement, les forces de l’ordre ont fait preuve de tenue, de retenue, de sang-froid et de professionnalisme’’.
Dans la foulée, relativement au rapport d’Amnesty International, le ministre des Forces armées a relevé que l’Etat du Sénégal n’a pas de leçon à recevoir sur ce plan. ‘’Les 500 pages du rapport, signale-t-il, parle essentiellement de l’état des violations des Droits de l’homme dans le monde. La quasi-totalité des pays sont épinglés. Où est le paradis des Droits de l’homme ? Où est le paradis de l’enfer des Droits de l’homme ? Le Sénégal n’est pas un enfer des droits. On y va et on revient et on y fait ce qu’on a à faire’’.
De la pertinence d’une opération de communication et de l’indépendance de la justice
Mais comment en est-on arrivé là ? Comment une simple affaire privée a pu embraser tout le pays ? N’est-ce pas là un motif suffisant qu’il y a une crise manifeste de la confiance entre la justice et les justiciables ? La mise en place d’une commission indépendante pour faire la lumière n’est-elle pas la preuve de l’échec du système judiciaire ?
Sidiki Kaba botte en touche et apporte ses clarifications. ‘’Dans tous les pays du monde, tranche-t-il, il y a un système de justice. Dans notre système, c’est le procureur qui défend la société et il y a un lien de dépendance entre le parquet et le ministère. Mais il faut savoir qu’il n’est pas du ressort du procureur de trancher les litiges. C’est une prérogative du juge, qui est un homme libre et indépendant, un homme qui n’obéit qu’à la loi’’.
Pour lui, la justice sénégalaise est bel et bien indépendante et elle rend, tous les jours, sans bruit, d’excellentes décisions. ‘’Mais lorsque ce sont des politiques qui sont en cause, on oublie tout et on se focalise sur les droits politiques. Pourtant, des juges ont eu à rendre des décisions qui sont contraires à ce que voulait le procureur. Mais ça, on n’en parle pas’’. Même quand les journalistes attirent son attention sur les vagues de libérations, suite aux interventions multiformes, il répond : ‘’Les procédures ont été respectées. Les personnes libérées ont été entendues par des magistrats instructeurs qui ont estimé qu’il fallait les libérer. Parce qu’ici au Sénégal, la détention doit être une exception. Il faut savoir raison garder.’’
A en croire le ministre des Forces armées, il ne faut pas être pressé. Toute la lumière sera faite dans cette affaire des émeutes qui ont secoué le pays au mois de mars. ‘’Parfois, argue-t-il, les gens sont pressés. Le temps de la justice n’est pas le temps de la presse ; n’est pas le temps de la politique. La justice a besoin de recul pour prendre les bonnes décisions’’.
Mais à quoi bon cette sortie qui risque de remuer le couteau dans la plaie, alors que l’heure était plutôt au pansement des blessures ? Sidiki Kaba précise : ‘’Si nous avons organisé cette conférence, c’est parce que le gouvernement est dans une dynamique d’apaisement, de paix.’’ Pour lui, l’essentiel est surtout ce que le président de la République a dit, lors de son adresse à la Nation, le 8 mars. ‘’L’important, souligne-t-il, c’est la cohésion nationale, l’unité nationale, les valeurs qui fondent cette unité nationale. C’est l’un des héritages les plus importants que le président Senghor nous a laissé et nous devons le préserver, et le gouvernement est dans cette dynamique’’.
Intervention de l’armée
Revenant sur l’appel à l’armée qui était présente à Dakar, la journée du 8 mars, le ministre des Forces armées a estimé qu’il est de la responsabilité d’un président de la République de déployer les moyens nécessaires, ‘’quand l’Etat tangue, quand il y a des difficultés, quand il y des forces qui entrent dans les magasins d’autrui, avec professionnalisme et qui déboulonnent tout, y compris les caméras de surveillance, ce ne sont pas des manifestants normaux. L’Etat a la responsabilité régalienne de protéger tous les citoyens’’.
Le ministre des Forces armées n’a pas tari d’éloges à l’endroit des militaires sénégalais, qui n’ont jamais cédé aux sirènes de l’irruption dans la vie politique. Il se réjouit : ‘’Nous avons une armée républicaine, une armée légaliste, professionnelle, qui n’a jamais voulu d’un coup d’Etat. En 1963, on avait dit que c’était possible ; 1968, on a dit que c’était possible. Même chose en 1988 ; le 23 juin (2011) mais l’armée n’a jamais cherché à prendre le pouvoir et il faut s’en féliciter et le réserver.’’
Dans la même veine, le ministre n’a pas manqué de revenir sur le péril terroriste et la présence supposée de forces occultes. ‘’Il y a une situation délétère dans cette partie du continent qu’est le Sahel. Par la terreur, on essaie de soumettre les Etats, les empêcher de se développer… Le Sénégal s’emploie à se donner les moyens pour protéger ses citoyens. S’il y a des forces occultes, des nervis, la vérité sera dite. Chacun est interpellé, individuellement et collectivement, pour préserver la paix’’.