Pillage de la forêt casamançaise : La Gambie, refuge des trafiquant.

par pierre Dieme

Le long des frontières sénégalo-gambiennes, les trafiquants de bois entretiennent leur business à travers des pistes cachées dans les forêts. Le trafic y prend une ampleur inquiétante. La Gambie semble désarmée pour arrêter ce fléau. C’est un milieu où les interdits sont allégrement violés et des responsables de haut niveau cités comme les cerveaux de ce pillage des forêts de la Casamance.
«Lo beug timber timber ? (Est-ce que tu veux le bois rose ? en wolof).» Musa, subitement rattrapé par un sentiment de peur, se désintéresse de la discussion relative au bois rose transporté de la Casa­mance vers la Gambie. Les cernes sous ses yeux traduisent la fatigue qui se lit sur le visage de ce jeune docker qui parcourt le port de Banjul sans répit. «Si on t’attrape avec du bois rose, tu es foutu», lance le jeune homme d’une vingtaine d’années qui écarquille sous le regard de ses camarades à la recherche d’un travail dans les parages du port de Banjul. Dans la plateforme portuaire dénommée «Gambia ports authority», où les services de sécurité veillent au grain, une floraison de bateaux-containers décore le grand bleu. Que contiennent ces containers ? A cette question, personne ne veut se mouiller chez les centaines de dockers. «Parfois il y a du bois, mais c’est interdit», répond Turay, qui travaille sur la plateforme portuaire depuis 30 ans. Barbe blanche touffue, l’homme qui fait la navette Serrekunda-Banjul tous les jours se lâche : «Le bois vient de la Casamance, mais le gouvernement gambien a décidé d’interdire les exportations pour freiner le trafic du bois rose. Les gens l’entassent dans les maisons et une fois que la quantité peut remplir un container, il est acheminé nuitamment au niveau du port de Banjul. Avec des pratiques corruptrices, le bois est acheminé vers la Chine.» Son récit est entrecoupé tant il a peur d’être identifié. Dans les rues de Banjul, en passant par Wesfil, Abuko, Soukouta, Kanifing, Brikama ou Mandiaye, camions et charrettes chargés de bois encombrent les routes étroites et cabossées. Placés un peu partout dans les coins et recoins, les scieries pullulent dans les villes. Les vrombissements des machines torturent l’organe de l’ouïe, sous un temps caniculaire.
1,6 million d’arbres extraits de la Casamance entre 2012 et 2020, le gouvernement de Barrow accusé
Sous le regard indifférent des populations, les jeunes Gam­biens prennent ce raccourci qui mène vers la richesse : l’exportation du bois de la Casamance. A Brikama, deu­xième plus grande ville du pays et peuplée de plus de 50 mille âmes, bercées par le souffle humide de la forêt, les charretiers trimballent leurs chargements de bois. Comme si de rien n’était. Le tapis herbacé a jauni. Les gazouillements des oiseaux violent la tranquillité dans cette zone forestière qui se dépeuple. La Gambie a perdu ses forêts depuis le début des années 2000. Les trafiquants se sont engagés dans une déforestation massive des arbres de la Casamance. «Depuis 10 ans, je ne travaille que sur le bois», révèle un charretier transportant 3 gros troncs d’arbre vers la ville d’Abuko, située à 8 km de Banjul. Pour se faire une religion sur l’ampleur des dégâts causés par le pillage des ressources naturelles de la Casamance, Le Quotidien a pu consulter le rapport de l’Agence d’enquête environnementale (Eie). Les enquêteurs révèlent «qu’environ 1,6 million de bois rose ont été coupés illégalement au Sénégal et introduits clandestinement en Gambie entre juin 2012 et avril 2020». Le document d’ajouter : «Le trafic de bois rose entre le Sénégal et la Gambie a été largement contrôlé par le groupe rebelle armé du Mouvement des forces démocratiques de Casamance et la principale source de revenus pour les rebelles de haut niveau.» Les conclusions du rapport mouil­lent aussi Lamin Dibba, actuel ministre de l’Environ­nement, du changement climatique et des ressources naturelles. Selon le rapport de l’Eie, ce collaborateur de Adama Barrow aurait violé la mesure d’interdiction du bois rose en vigueur depuis août 2019. D’après l’enquête, les trafiquants «utilisaient la société Jagne narr procurement & Agence de services pour acheminer le bois rose au Ghana, en Guinée Bissau, en Zambie ainsi qu’en Chine et au Vietnam, les deux principaux marchés du bois rose dans le monde».
Depuis ses débuts en Afrique, plus de dix ans, le pillage des espèces de bois rose réduit la majeure partie de la forêt ouest africaine, affectant des centaines de milliers de vies, menaçant les moyens d’existence et augmentant la désertification tout en contribuant à l’aggravation des effets du changement climatique. Le trafic de bois rose en Afrique de l’Ouest est devenu le plus important au monde, selon l’Eie.
Le quartier de Boffa Zone, endroit périphérique de la ville de Serrekunda, est un symbole. En février dernier, 22 containers contenant du bois et prêts à être exportés ont été découverts dans ce populeux bidonville fait de baraques et de culs de sac. Coupé et prêt à être utilisé, le bois en question, transformé en planches et poutrelles, vient de Bignona. Les trafiquants ont pu utiliser des astuces pour tromper la vigilance de la Brigade des Eaux et forêts de Diouloulou et du poste gambien de Brikama. Par quel circuit ? Y a-t-il eu des complicités ou les trafiquants ont-ils emprunté des voies officieuses dans la dense et vaste forêt ? Les fabricants de meubles attendaient ce bijou lorsque Kemo Faty, directeur de l’Ong Green up, a mis l’affaire jusqu’ici secrète sur la place publique.
22 containers de bois frauduleux saisis en février
Devant la tempête médiatique, le ministre de l’Environ­nement est convoqué par la commission de l’Assemblée nationale chargée de la question. «Après enquête des agents forestiers, il a été constaté que 22 containeurs étaient emballés dans la zone tampon. Sur ces 22, 5 étaient vides et 17 remplis de bois transformé. L’un des containeurs était chargé de billes rondes», s’est expliqué Lamin Dibba devant la représentation nationale gambienne. Accusé de promouvoir en sourdine le trafic, le ministre rejette et accuse des «hommes d’affaires sans scrupule qui veulent battre le système et faire leurs affaires comme ils le souhaitent». Le présumé propriétaire du bois est un certain Saikou Conteh, très connu dans le monde gambien du trafic du bois. Il est membre du Regroupe­ment des exportateurs de bois de la Gambie.
Présentement sous les liens de la détention, Saikou «n’a obtenu aucun permis ou une licence pour continuer à se livrer à ce trafic», se dédouane le ministre Dibba. Le bois est actuellement entre les mains des agents forestiers de la Gambie. Il a remis au grand jour la difficulté de régler cette question, malgré l’avènement du Président Adama Barrow. «Notre Président est un pion de Macky Sall. Si le Sénégal voulait régler la question, ce serait le cas depuis très longtemps. Mais le Sénégal trouve son compte dans ce trafic», accuse Kemo Faty, directeur de l’Ong Green up/Gambie

(Le Quotidien)

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