Parler à la jeunesse, c’est communiquer humblement

par pierre Dieme

Si nous continuons à segmenter l’existence de la République en périodes correspondant aux magistères de ceux qui l’ont dirigée, nous n’aurons que des « Républiques partisanes »

Après le discours du président à la veille de la 61ème édition de la célébration de la fête de l’indépendance du Sénégal, on a assisté à des commentaires presque caricaturaux de propagande. Certains porteurs de cette «com» en définitive «anti Macky», ne pouvaient s’empêcher de parler pendant 45 secondes sans dire «Son Excellence, le chef de l’Etat, monsieur le président de la République Macky Sall».

Je me suis toujours demandé si ces responsables et agents de « com » ont au préalable testé leurs éléments de langage avec leurs propres enfants qui se trouvent être les premiers baromètres de ce qu’ils veulent dire au grand public.

Ce besoin de s’adresser en toutes circonstances à Macky Sall et de lui renouveler sa loyauté (tant qu’il sera encore au pouvoir) pousse même à des situations cocasses. On a vu un nouveau directeur de service qui, apparemment, voulait se débarrasser d’une centaine de travailleurs (clientèle politique ?) que son prédécesseur lui avait légué, dire que c’est une application de la volonté du président Macky Sall.

Pour la rédaction de cet article j’ai comparé ce qui se passe au Sénégal avec ce qui se fait en Côte d’Ivoire et au Rwanda par exemple.

Ainsi, le mercredi 24 mars 2021, un Conseil des Ministres s’est tenu de 11h00 à 14h00, au Palais de la Présidence de la République à Abidjan, sous la présidence de Son Excellence Monsieur Alassane Ouattara, président de la République, chef de l’Etat. L’ordre du jour de cette réunion comportait les points suivants :

A/-Mesures Générales Projet de loi Projets de décrets

B/-Mesures Individuelles

C/-Communications

Vous n’y trouvez pas les propos du Président Alassane Ouattara occupant plus de la moitié du nombre de mots du communiqué du Conseil des ministres comme c’est le cas au Sénégal.

Je me suis aussi intéressé au journal d’information de la télévision publique du Rwanda que j’ai regardé assidûment pendant une semaine. On y entend à peine le nom du président Paul Kagamé. Toutes les politiques, programmes, initiatives et réalisations sont faits au nom du Rwanda

C’est à se demander si l’on comprend du côté de la « Com » de chez nous que si l’on attribue tout ce qui est bon au président de la République, alors de manière subliminale, on suggère aussi que toutes les fautes doivent lui être imputées. Aussi gagnerait-on certainement à dire aux populations, et surtout à la jeunesse (qui est dotée d’un énorme bon sens)  : « voilà ce qui est possible, voilà ce qui est fait, et ce qui reste à faire ». Ni le président à lui seul, ni son gouvernement, ni les autorités locales, qu’elles soient élues ou nommées, ne peuvent le faire sans l’implication de tout le monde.

Pour rappel, il y a de cela quatre ans, Macky Sall qui traversait Dakar, avait constaté que sa photo était partout placardée sur d’immenses panneaux d’affichage plantés le long des voies les plus passantes de la capitale. Le moindre évènement, pour quelconque et banal qu’il fût, était un prétexte, pour des responsables politiques de son parti ou de sa mouvance, d’acheter un espace publicitaire dans le but d’y apposer sa photo à côté de celle du président de la République, pensant ainsi lui faire plaisir.

Se rendant compte de cette saturation, cette pollution visuelle, le chef de l’Etat a vite fait de penser que ces pratiques qui relèvent de la propagande, n’étaient nullement à son avantage. C’était une perception d’autant plus défendable que la propagande est un signe de manque de considération pour le public auquel elle est destinée. Généralement, ce dernier ne réagit pas immédiatement à « l’offense », préférant la garder en mémoire pour la ressortir plus tard, à l’occasion de situations qui n’ont pas nécessairement un lien direct avec elle.

Du reste, ce qui était valable pour cette « over exposure » du président de la République, l’est encore plus avec le langage et les attitudes de ceux qui pensent rendre service à leur chef en invoquant son nom à propos de tout et de rien. Et c’est encore pire si c’est fait dans un style pompeux ou une agaçante grandiloquence.

Si on veut présenter Macky Sall comme le symbole et le garant des Institutions de la République du Sénégal, il est impossible de dire à notre jeunesse que tout démarre en 2012 avec son élection.

De même que les propagandistes du président Abdoulaye Wade se sont évertués à vouloir nous faire croire que rien n’était fait au Sénégal avant le 19 mars, 2000, les dithyrambistes de l’actuel chef de l’Etat veulent opérer une césure nette dans l’histoire du Sénégal, qui commencerait en 2012.

Cette façon de faire était toutefois perceptible sous Abdoulaye voire déjà sous Abdou Diouf. Les partisans de ce dernier s’interdisaient d’invoquer le nom de son prédécesseur, le président Léopold Sédar Senghor, de peur que cela ne soit perçu comme une remise en cause de la légitimité du nouveau patron. Le président Abdou Diouf avait beau être un « énarque » (de l’Ecole Nationale d’Administration de la France d’Outre-Mer –ENFOM) qui tenait à gérer l’Etat avec des règles strictes, dès sa prestation de serment le 1er janvier 1981, tous les symboles qui évoquaient le nom de son prédécesseur avaient été effacés de la vue et de l’ouïe de ses concitoyens. C’est ainsi que la « désenghorisation » a été mise en place, alors même que ses animateurs, communicants, communicateurs étaient ceux-là qui avaient cautionné des hérésies consistant à avoir des « jingles » d’émissions d’information à la radio nationale qui s’ouvraient sur «  Léopold doomu yaay ñilaan baaxna ».

On a connu les mêmes comportements à l’époque de Senghor, à des niveaux d’une plus grande cruauté concernant le Président Mamadou Dia. On ne s’était pas contenté de tout faire pour effacer son nom et son image de l’histoire du Sénégal. Il a été injustement diabolisé en utilisant les moyens les plus infamants pour se «débarrasser» de lui pour de bon. Et cela étonne encore que cette entreprise de diabolisation n’ait pas été rectifiée par Abdou Diouf, devenu président de la République, lui qui a été un des proches collaborateurs du Grand Maodo, nom que lui avaient donné avec respect, beaucoup de Sénégalais. Il aura fallu la réfection, sous Macky Sall, du Building administratif, siège du premier gouvernement sénégalais dont Dia était le Président du Conseil, pour se souvenir des grands services qu’il a rendus à notre pays.

Tout ceci pour dire que si nous voulons que notre jeunesse, la principale cible de toute communication politique, puisse penser le Sénégal en termes de République qui vaille tous les sacrifices, il faut éviter de se l’approprier. Si nous continuons à segmenter l’existence de la République en périodes correspondant aux magistères de ceux qui l’ont dirigée, nous n’aurons que des « Républiques partisanes ».

On ne peut pas dire à quelqu’un qui critique Senghor, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade ou Macky Sall, qu’il attaque la République du Sénégal. Et pourtant c’est ce à quoi nous assistons depuis le départ de Senghor en 1980. Et là malheureusement, la quantité se transformant en qualité, la période Macky Sall, qui correspond à un plus grand besoin d’une communication destinée à la jeunesse, semble pourtant faire montre de plus de surdité communicationnelle. Oubliant que parler à la jeunesse, c’est communiquer humblement.

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