Le procès du Sénégal Par Adama Gaye*

par pierre Dieme

L’histoire prendra demain un tour décisif quant à la réputation internationale du Sénégal. C’est le moment où le juge américain décidera s’il consent ou non à extrader l’influenceur Ousmane Tounkara, acteur de premier plan dans l’animation du débat public par les réseaux sociaux, vers notre pays, comme le lui demande l’Etat Sénégalais, agissant à travers l’un de ses bras humains.

Il y a certes déjà eu la jurisprudence Assane Diouf à travers laquelle un autre activiste Sénégalais fut condamné par un magistrat Outre Atlantique et rapatrié au Sénégal au motif, brandi, là aussi, par l’Etat Sénégalais, selon lequel il était un terroriste.

Dans ce cas, l’affaire fut gérée en catimini, vite fait, bien fait. Personne ou presque ne vit venir le coup fourré d’un pouvoir crapuleux. Nul ne put, encore moins, déjouer ses manoeuvres et mensonges qui lui permirent de persuader la justice américaine qu’elle faisait oeuvre utile en punissant un individu dont le sort était pourtant biaisé, d’avance scellé, puisqu’il ne put échapper au label qui lui était collé.

L’évidence saute à l’oeil: les lendemains de la tragédie du 11 Septembre 2001, consécutifs aux attentats meurtriers contre le Pentagone et les deux tours jumelles de Wall Street, n’ont jamais été bénéfiques aux personnes suspectées d’être dans la boucle du terrorisme.

C’est dire que la décision judiciaire qui sortira du procès intenté à Tounkara n’aurait dû être qu’une banale formalité. Tout aurait même pu être bouclé depuis des jours n’eussent été les arguties légales ayant retardé l’envoi de ce…colis que les officiels Sénégalais attendent impatiemment de recevoir pour le soumettre au traitement qu’ils lui réservent, c’est-à-dire le mettre en cage, l’humilier, le torturer, voire le finir.

Les choses, comme il en est ainsi avec l’histoire, toujours insondable, prennent cependant un tournant particulièrement inattendu puisque ce n’est plus un procès contre un individu mais sur les malsaines et malhonnêtes pratiques de l’Etat criminel du Sénégal que le juge devra trancher. Sous le regard gourmand de la communauté internationale.

Ce moment judiciaire prend tout son relief puisqu’il s’agit de savoir si oui ou non l’Etat américain est devenu à ce point inapte à comprendre les ruses et manipulations de souverains étrangers, incarnés ici par celui du Sénégal, qui se jouent de ses lois pour y déployer leurs stratégies crapuleuses.

Plus que d’une jurisprudence, c’est une doctrine de fond qui est appelée, demain, à être livrée au monde. Autant l’effet de surprise avait agi pour faciliter le rapatriement d’Assane Diouf, faussement dénoncé auprès de la justice américaine comme étant un terroriste, autant, dans le cas de Tounkara, cette dernière n’a aucune excuse.

Elle ne peut se justifier de ne pas savoir de quoi retourne l’affaire appelée devant l’une de ses juridictions à New York. La question dépasse d’ailleurs le seul cadre juridique car l’Administration Biden, soucieuse, selon ses dires, de promouvoir les droits de l’homme, la presse américaine et le peuple de ce pays, attaché par dessus tout à la liberté d’expression jusqu’à lui consacrer le premier amendement sur sa constituion, sont pareillement concernés par ce qui, in fine, n’est qu’un procès nourri par du faux d’un Etat étranger.

Comment ne peuvent-ils se douter que son seul objet est, pour ce dernier, de capturer, en roulant son homologue américain, un de ses citoyens expatriés à qui il reproche, en vérité, de lui donner le tournis par ses harangues quotidiennes?

Il a beau jeu certes d’exciper des excès et des propos incendiaires du prévenu. Nul ne doute qu’en incitant les foules sénégalaises, admiratrices de ses « lives », ses émissions audiovisuelles fortement suivies, à s’en prendre à l’intégrité phyisque de personnes qu’il a ciblées pour leur collusion avec le régime prédateur en place au Sénégal, Tounkara a franchi le rubicon. On peut même penser qu’il a prêté le flanc. Que la justice s’interesse à son cas n’est donc que de bonne guerre.

Un examen plus approfondi de ce qui lui est reproché et de l’accusation de terroriste montée contre lui prouverait toutefois à suffisance que le vrai enjeu de son procès dépasse de loin ses propos. Il est celui de la criminalité d’un Etat beaucoup plus grave que ne peuvent l’être les sorties de route, somme toute banales, sur les shows des influenceurs qui ne lui sont pas propres.

Ce qui est en jeu, ici, c’est de savoir si les derniers bastions de l’Etat de droit, c’est-à-dire ces territoires où l’on s’attend encore au triomphe de la vérité juridique, à une époque de reflux démocratique planétaire, sont eux aussi en passe de succomber face aux micmacs des autoritarismes et intolérances institutionnels émanant des prédateurs de l’Etat de droit contre la démocratie et les libertés classiques, individuelles et publiques.

C’est en vertu de cela que Julian Assange, malgré les torts qu’il a portés contre la sécurité américaine, n’a jamais été extradé, bien qu’ayant livré, via ses wikileaks, des secrets d’Etat US.

Dans le cas d’Ousmane Tounkara, l’extrader serait donner un bonus à la criminalité d’Etat, au viol des normes juridiques et morales, et à la malhonnêteté derrière le complot ourdi par l’Etat sénégalais pour le faire rapatrier en se jouant de la justice américaine.

Que donc les choses soient claires: ce n’est pas seulement le juge américain qui est ici interpellé mais toute l’Amérique l’est. Le procès de demain sera aussi un marqueur pour juger de la solidité des valeurs fondatrices de ce pays qui aime tant se flatter d’être la terre par excellence des libertés démocratiques. Se trouve en jeu donc son statut, le primat qu’il revendique, d’être la terre de refuge pour les personnes persécutées, parce qu’étant fondée pour être une terre de libertés née du refus de l’oppression des monarques Britanniques d’alors, qui se trouverait humiliée, malmenée, voire ridiculisée par le minuscule Etat bandit du Sénégal.

Les Américains qui ont le lourd dossier criminel de Macky Sall, ancien fraudeur à la sauvette dans les rues de New York, collaborateur des dealers de drogue et blanchisseur d’argent, fruit de la corruption et de ses détournements de deniers publics, savent donc ce qu’ils doivent faire.

Leur dilemme est trop transparent pour être moral. en bref, il s’agit de savoir s’ils ont le droit de jeter un activiste, dont le seul tort est un excès de langage mais protégé par leur propre loi, dans les griffes d’un régime illibéral, irrespectueux des règles universellement admises par les nations civilisées et irresponsable au point de laisser prospérer sur son sol des prisons modelées « à la Abu Ghraib », où torture et tueries règnent en règle?

Les procès sont rarement des moments où les prévenus ou leurs témoins peuvent s’exprimer librement pour mettre à jour les crimes du genre qui pèsent sur le regime crimnel du Sénégal. Ils se font, pour l’essentiel, par l’examen d’écrits soumis par le biais d’avocats, hélas parfois uniquement mûs par les gains qu’ils en attendent.

Il n’empêche que le juge américain qui a vu à travers toute la presse et lu par le témoignage que j’ai soumis l’Etat de décrépitude de la démocratie Sénégalais n’a pas le droit à l’erreur. Il ne peut surtout pas ignorer les bains de sang meurtriers, presque sacrificiels, sur le mode maçonnique, perpétrés par le Boucher de Dakar, le Saddam Hussein du Sénégal. Les morts qui en ont résultés l’attendent depuis leurs fraîches tombes.

Le procès qu’il préside demain devrait donc déboucher sur la libération d’Ousmane Tounkara. Ce serait insuffisant s’il ne parvient pas à jeter une lumière crue sur le régime anti-démocratique du Sénégal pour accélérer sa mise hors d’Etat de nuire, de comploter contre ses citoyens, de planquer les deniers publics dans des comptes étrangers, de s’envelopper des justes luttes contre le terrorisme ou le trafic de drogue pour poursuivre son oeuvre de déconstruction d’une grande nation.

Juge, nous écoutons l’Amérique dans ce procès du Sénégal, son Nurenberg contre l’Etat criminel et crapuleux, dirigé par le Boucher de Dakar, dont le genou risque de retirer le dernier souffle à un peuple qui compte sur son verdict, son bol d’oxygène…..

Adama Gaye* est un exilé sénégalais et un opposant au régime de Macky Sall. Il est auteur de: Otage d’un Etat, paru aux Editions l’Harmattan.

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