« Toute personne a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen que ce soit ». Déclaration universelle des Droits de l’Homme / article 19
La violence qui s’est abattue dans notre pays du 3 au 8 mars derniers n’a pas épargné le secteur de la presse. Au tout début des événements, les médias mainstream tout comme la presse en ligne couvraient les émeutes consécutives à l’arrestation du député Ousmane Sonko. Il a fallu que le CNRA, cette instance de dérégulation dirigée par un potentat, lance un oukase aux télévisions diffuseuses des échauffourées entre l’association des forces de l’ordre et tonton Mackyttes (nervis de Sa Majesté) pour que certaines chaînes cessassent toute retransmission en direct de cette violence mortifère. Cette décision unilatérale est arbitraire et viole la sacralité de la liberté d’expression et de diffusion consacrées dans la Déclaration universelle du 10 décembre 1948 dont le Sénégal est signataire. Elle va aussi à l’antipode de la Constitution sénégalaise qui donne une place de choix à la liberté d’expression. Les deux chaînes de télé en l’occurrence WalFadjri et Sen Tv rétives et considérées comme rebelles ont subi le glaive de la censure de Babacar Diagne. Pourtant, certaines chaînes qui se sont conformées à la mesure arbitraire du président du CNRA n’ont pas eu la même attitude les 23 et 27 juin 2011, jours pendant lesquels toutes les images des échauffourées ont été retransmises en direct. Les blessures saignantes du rappeur Simon ostensiblement montrées au journal télévisé de la TFM surnagent dans nos mémoires.
Pendant trois jours, à travers la TNT, les téléspectateurs ont été sevrés des images de la révolte populaire. Mais les plateformes digitales de ces groupes de presse censurées ont explosé parce que des millions de téléspectateurs s’y étaient rabattus pour suivre l’actualité afférente aux événements violents qui ont suivi la mise aux arrêts du leader de Pastef. Même si le CNRA est un collège composé d’hommes et de femmes de principes et de valeurs choisis selon l’article 3 de la loi n° 2006-04 du 4 janvier 2006 portant sa création, la responsabilité exclusive de Babacar Diagne dans la censure des organes de Sidy Lamine Niass et de Bougane Guèye Danny est engagée parce qu’agissant seul sous les ordres de l’Exécutif. Une telle attitude censoriale, digne du Glavlit soviétique des années 1920, jure avec les principes qui fondent essentiellement une société démocratique et les combats politiques qui ont mené à l’instauration d’un régime républicain.
L’ancien Premier ministre québécois Philipe Couillard déclarait devant la montée de l’extrême droite qu’« avec la liberté d’expression vient la possibilité de dire des conneries et parfois même des horreurs et que c’est à la société de réagir, non pas en brimant la liberté d’expression, mais de condamner par la parole ces paroles inacceptables ».
Babacar Touré (paix à son âme), chevillé aux principes sacro-saints de la liberté d’expression, même en cas d’errements et d’abus, n’a jamais accepté de jouer le sale jeu auquel se prête l’actuel président de l’organe de censure. Babacar Diagne devrait consulter la page 77 du Rapport 2010 du CNRA pour appréhender réellement la nature de l’institution qu’il dirige. Il y est dit : qu’« il convient de préciser la régulation n’est pas la censure ; c’est une activité d’éducation, de sensibilisation, d’accompagnement au service de la liberté d’information et de la protection des droits fondamentaux. La mission du CNRA est de discipliner, de modérer, de maintenir l’équilibre afin d’assurer le déroulement harmonieux du processus complexe de la démocratisation de la société sénégalaise ». Mais dans la cour du zélé roitelet du CNRA, pas de modération, pas de sensibilisation devant les colères débridées de Sa Majesté. La seule règle pour punir sans aménités les exactions et les abus de la presse pécheresse qui refuse d’aller à la résipiscence, c’est le bâillonnement ou la censure.
Normal que le mot « sanction » revient itérativement dans le langage du président du CNRA qui a blanchi sous le harnais des médias de soumission. Mais quand on est habitué pendant 16 ans à n’obéir qu’à des ordres dans le cadre de son métier dont le substrat est la liberté, on ne peut que souffrir de voir des journalistes indépendants jouir de cette liberté au grand bonheur des citoyens.
Aujourd’hui, les méthodes du CNRA sont éculées et en net déphasage avec les exigences de la régulation moderne. C’est ce qui a permis au Coordination des associations de presse (CAP) de ruer dans les brancards, d’exiger la dissolution du CNRA et de mettre sur pied la Harca (Haute autorité de régulation de la communication audiovisuelle) qui cadre mieux avec le nouveau code de la presse.
C’est un truisme de dire que la liberté est un vain mot dans l’espace des médias d’État dont la trajectoire éditoriale est conceptualisée par le palais. Au lieu d’être des médias de service public, ils sont réduits en relais et simples outils de propagande du chef de l’État et de son parti. On ne régule pas le travail des médias en fonction de leur statut. Pourtant, jamais Babacar Diagne et ses collaborateurs n’ont notifié à la RTS la violation permanente de l’article 17 de la loi portant création du CNRA parlant de « l’accès équitable des partis politiques, des syndicats et des organisations reconnues de la société civile aux médias d’État ».
Depuis l’indépendance, les médias audiovisuels, inféodés au parti présidentiel et dirigés pour la plupart par des politiciens, peinent à s’affranchir de la tutelle de l’exécutif. Matar Sylla, qui a voulu sous le régime de Wade dépolitiser la RTS et se départir des injonctions du palais, en a fait amèrement les frais après l’avoir dirigée 17 mois.
Au moment où Walf et la Sen TV étaient plongées, à leur corps défendant, dans le noir de la censure, certains journalistes pontifes, tanguant dans un équilibrisme suspect et distillant des homélies moralisatrices, ont laborieusement ménagé la chèvre du CNRA et le chou des médias rétifs à toute subordination. D’autres, masquant mal leur délectation sous le maquignon d’une concurrence malsaine, ne se sont même pas indignés de cette régression démocratique. Mais qu’ils méditent la phrase historique d’Angela Davis, la figure charismatique du mouvement Noir américain : « S’ils viennent me prendre ce matin, ils viendront te prendre ce soir. »
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