Chaque année, la planète célèbre la Journée mondiale des forêts le 21 mars. Ainsi en avait décidé, en 2012, l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) dans le but de garder ouverts les yeux des peuples du monde sur le péril engagé contre la biodiversité, à l’origine des réchauffements et changements climatiques. Mais les actes anthropiques posés au quotidien par l’homme lui-même le confirment comme auteur de sa propre destruction, notamment par le pillage du couvert végétal. Le mal est profond et traverse tous les secteurs de la vie. Le thème de cette année, «La restauration des forêts, une voie vers la reprise et le bien-être» est passé inaperçu, en raison de la maladie à coronavirus. Quand le mal en cache un autre, difficile d’y voir plus clair.
C’est en 2012 que l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) a proclamé le 21 mars de chaque année Journée internationale des forêts. Elle marque, selon l’ONU, un moment d’introspection et de prise de conscience de l’importance des différents types de forêts dans leurs diversités et l’urgence de les protéger. Cette année 2021, le thème choisi est «La restauration des forêts, une voie vers la reprise et le bien-être». Aucune festivité, aussi ordinaire soit-elle, n’est venue mobiliser les communautés du Sénégal autour des enjeux de cette journée en raison de la prévalence de la pandémie à coronavirus assortie de l’observance stricte des mesures barrières, le dimanche dernier 21 mars. Même si le ministère de l’Environnement et du Développement durable a prévu, en décalé, une activité dans ce sens à la réserve de Bandia (arrondissement de Sindia, département de Mbour) hier, lundi 22 mars. La partie méridionale du Sénégal est l’une des plus boisées du pays, avec des massifs forestiers encore debout. Mais il convient, hélas, de relever les agressions physiques portées à l’encontre du peuplement végétal de la Casamance. Les treize (13) dernières années, dans cette région qui fait frontière à la Gambie et à la Guinée-Bissau, les coupes illicites et à grande échelle du bois ont connu une ampleur jamais égalée. Le foyer névralgique de ce pillage organisé est la bande frontalière avec la Gambie, sur le corridor du Fogny (Nord Casamance, de Médina Yoro Foula à Bignona).
L’INSECURITE AMBIANTE : LE LIT DU MAL
Plusieurs facteurs expliquent ce trafic de bois. Arrivé au pouvoir en Gambie en 1994, par un coup de force, l’ancien homme fort de Banjul, Yahya Jammeh, originaire d’un petit village de Kanilaï, près de la Casamance, a mis un pan de son économie sous perfusion des ressources forestières du Sud du Sénégal. L’insécurité liée à la rébellion en Casamance aidant, des multinationales se sont invitées au festin du bois vert via la Gambie. Les Chinois, en particulier, ont développé un grand troc autour du bois, en s’appuyant sur le niveau de pauvreté et de vulnérabilité des populations locales. Des motocyclettes de type cylindré «Safari» sont échangées contre des billons de bois. La preuve de ce trafic international s’est révélée au grand jour en 2007, année à laquelle des camions de la Gambie remplis de troncs d’arbres avaient été saisis dans le département de Bignona et récemment en 2019 deux (2) camions embastillés à Sindian. A la faveur de cette insécurité ambiante en Casamance, des bandes armées supposées appartenir au Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), qui n’ont plus de ressources provenant de l’Etat du Sénégal qui les aidait à la suite d’un accord de cessez-le-feu et les clauses y afférentes (histoire des mallettes d’argent du reste à l’origine des guéguerres internes), ont investi le créneau. Parallèlement, certains corps habillés étaient indexés dans ce trafic, notamment dans la région de Ziguinchor. Après l’annonce d’une perte de 40.000 hectares de forêts par an au Sénégal, le chef de l’Etat, Macky Sall, avait pris la décision, le 24 juillet 2015, de suspendre la délivrance des permis de coupe de bois, suivie du durcissement des peines et le recrutement massif des agents des Eaux et Forêts.
ALERTE DE DR LABALY TOURE GEOGRAPHE-GEOMATICIEN : La biodiversité menacée !
L’enseignant chercheur Dr Labaly Touré, géographe-géomaticien, fait observer dans une analyse que dans la région de Sédhiou, qui correspondant à la moyenne Casamance, «le domaine forestier qui représente 12% de la superficie totale, est constitué de savanes arborées sur les plateaux, de forêts claires sèches au Sud (présence du palmier à huile, vene kapokier, linke nere, dimb, etc.) et de forêts claires humides (palmeraies, khayasenegalensis, santan, caïlcédrat, cola cordifolia). La moyenne Casamance compte 12 forêts classées qui s’étendent sur une superficie de 85.543 ha. Le domaine forestier de la moyenne Casamance est principalement dans la partie Sud et Centre de la région», explique-t-il. La demande en énergies ligneuses vers les villes est en forte augmentation du fait, indique Dr Touré, «de l’importante croissance urbaine et de la pénurie d’énergies de substitution avec la flambée des prix du gaz. Or, le bois de feu, longtemps considéré comme une ressource inépuisable en milieu rural, devient de plus en plus rare et précieux».
LES IMAGES SATELLITAIRES CONFIRMENT
Si l’on en croit toujours Dr Labaly Touré, géographe-géomaticien et enseignant chercheur, «le traitement des images satellitaires montre une diminution des surfaces végétales en moyenne Casamance. L’exploitation abusive ou la surexploitation abusive des ressources forestières en Casamance n’est plus un secret. La situation est alarmante et une attention particulière doit être portée à cette problématique. Car la Casamance ne peut point se développer sans sa biodiversité qui connait une agression multi formes».
DETERIORATION DES ECOSYSTEMES A L’ORIGINE DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES
La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques définit les changements climatiques comme «des changements de climats attribués directement ou indirectement à une activité humaine altérant la composition de l’atmosphère mondiale qui vient s’ajouter à la variabilité naturelle du climat observée au cours de périodes comparables». Ce phénomène se traduit par une hausse globale de la température moyenne de l’atmosphère, provoquant une modification de l’intensité et de la fréquence des phénomènes étranges comme des ouragans et la fonte des banquises, relève la Convention-cadre des Nations unies sur les climats. Au Sénégal, le phénomène saute à l’œil nu, pour les sujets peu averti. Et pourtant, il est bien perceptible aux yeux des observateurs peu attentifs. Vers les années 1960 et jusqu’au début de la décennie de 1980, le bassin arachidier était circonscrit dans le Centre du Sénégal (Saloum). Mais, la main destructrice de l’homme, soit pour habiter, soit pour couper le couvert végétal ou encore des incendies de forêts, a fait disparaitre les derniers massifs forestiers et tué, de fait, la culture de l’arachide qui était le label économique du Sénégal à l’étranger.
DES REFUGIES CLIMATIQUES POINTENT LE NEZ VERS LE SUD
Ainsi, et par un réflexe naturel de survie, les occupants de ces espaces dénudés du Saloum ont commencé à migrer vers le Sud, à partir de 1992. Dans les collectivités territoriales des zones de frontière se trouvent implantés des villages sérères comme à Dassilamé, Médina Yoro Foula, Kabada et le Dator, Touba Mouride. Ces migrants agriculteurs sont sans doute suivis par des éleveurs nomades à la recherche de fourrage pour le bétail décimé en partie par l’aridité du climat dans le Centre du Sénégal. Et cela entraine, naturellement, d’autres types de conflits liés à la divagation des animaux dans les zones de cultures et la déforestation à grande échelle. Ces agressions et affections manifestes contre le couvert végétal impactent sur plusieurs secteurs de l’économie. La modification des climats perturbe les courants marins et ont un impact donc sur la disponibilité des poissons. D’où la migration incessante des pêcheurs à la recherche de bancs de poissons vers des villages côtiers de la Gambie. L’enjeu mobilise et exorcise les appétits à même de provoquer des altercations physiques. La semaine dernière, des disputes ont éclaté entre pêcheurs sénégalais et gambiens, donnant lieu à la mort d’un Gambien.
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