Si la défense de la démocratie et le respect de l’Etat de droit s’avèrent la pierre angulaire de cette plateforme, comme l’assurent certains de ses promoteurs, il n’en reste pas moins que la visée électoraliste n’est pas à écarter
Une plateforme unitaire regroupant des partis de l’opposition, des organisations de la société civile et des mouvements citoyens : voilà ce qui est en train d’être mis en place, pas à pas, contre le régime en place. De Khalifa Sall de Taxawu Sénégal à Malick Gakou du Grand Parti, en passant par Y’en a marre, Nio Lank, les Fds/Gelwaars de Babacar Diop et autres, le leader de Pastef-Les Patriotes, Ousmane Sonko qui est en train de multiplier les rencontres avec les leaders des dits regroupements, se démène pour ratisser large pour ce front anti-Macky. Si la défense de la démocratie et le respect de l’Etat de droit s’avèrent la pierre angulaire de cette plateforme, comme l’assurent certains de ses promoteurs et autres spécialistes de la chose politique, il n’en reste pas moins que la visée électoraliste n’est pas à écarter, compte tenu des échéances qui se profilent.
La crise socio-judiciaire à l’origine des émeutes meurtrières qu’a connue le Sénégal, et dont l’arrestation du député et patron de Pastef Les Patriotes a été le déclencheur, a eu pour autre consécutive, au-delà des morts d’homme, d’inaugurer l’ère de la retrouvaille des partis de l’opposition, des organisations de la société civile et de certains mouvements citoyens, autour d’un idéal commun.
Pour les promoteurs dont le leader des Patriotes, Ousmane Sonko lui-même, qui n’a cessé d’appeler, dans le cadre de sa tournée de remerciements et visites de courtoisie, suite à la fin de sa garde à vue, ses partisans et ses alliés autour d’un bloc unitaire pour faire face au régime de Macky Sall, l’objectif est patent. Il s’agit de la défense de la démocratie et du respect de l’Etat de droit, malmenés à leurs yeux par l’actuel locataire du Palais et son régime. Un objectif que confirmait encore hier, jeudi, dans un média de la place Maurice Soudieck Dione, docteur en Science politique et enseignant chercheur à l’UGB. Aussi a-t-il expliqué : « Aujourd’- hui, il y a une redistribution de la donne politique avec les événements douloureux que nous avons vécus ces derniers temps. Je crois que ce dont il est question aujourd’hui pour ces leaders de l’opposition qui ont mis en place cette plateforme, avec beaucoup d’associations et de mouvements citoyens, c’est de préserver et de protéger la démocratie. C’est un principe structurant, transversal qui fait que la plupart des forces politiques peuvent être mobilisées autour de la défense de cet idéal».
Abondant dans le même sens, Alpha Wally Diallo, consultant en relations internationales, de dire dans la foulée : «Je partage un peu l’analyse de mon confrère. D’abord, il faut comprendre les objectifs de cette plateforme-là. C’est de mettre un terme aux dérives autocratiques et anti-démocratiques du régime en place qu’on a constatées depuis 2012. Cette plateforme est une continuation. J’ai toujours affirmé, dans mes interventions, à ceux qui me disaient que le 23 juin risquait d’arriver, qu’il y aura quelque chose d’autre, parce que ça va avec le temps et il faut contextualiser. C’est une continuation de ce qui avait été entamé avec le mouvement du M23 dans la lutte pour la restauration de l’Etat de droit dans sa façon la plus noble et la plus absolue. Le travail a été inachevé parce qu’il a été question au temps, compte tenu de la pacification de l’espace politique, de donner des attirails au Chef de l’Etat qui tournaient autour de l’éthique de responsabilité, l’éthique comportementale et l’éthique de gouvernance. Certains acteurs avaient suggéré de laisser tomber cette initiative pour ne pas gêner le nouveau Président qui nous avait donné des gages. Malheureusement, il a été constaté que les choses ne sont pas allées dans le sens qu’on aurait souhaité ».
RETROUVAILLES AUTOUR D’UN IDÉAL
D’un côté comme d’un autre, l’avis est aussi partagé sur le caractère même de cette nouvelle plateforme qui se profile entre l’opposition, la société civile et des mouvements citoyens. Le Dr Maurice Soudieck Dione dira ainsi : « Par rapport à cet idéal, toutes ces forces politiques, sociales et citoyennes également peuvent se retrouver. Maintenant, reste à savoir si cela va évoluer vers les coalitions électorales. Pour le moment, ce qui est en jeu, c’est la préservation de la démocratie sénégalaise qui a été beaucoup balafrée ces derniers temps par les ajustements du régime en place». Toute chose qu’entérine Alpha W. Diallo pour qui «Cette plateforme n’est pas une plateforme électorale. Ce que les citoyens veulent, c’est une restauration de la démocratie, des règles de jeu pour une compétition inclusive démocratique». Et de poursuivre : « Les Sénégalais ne sont pas fous, ils feront leur choix. Et il est prématuré pour certains de présager pour Ousmane Sonko d’être président de la République. Non, l’objectif de cette plateforme, c’est la restauration des principes démocratiques, tels que les Assises nationales l’avaient recommandé…Ce qui est sûr, c’est qu’il faudra pour que la restauration du principe démocratique soit effective et entière, qu’on passe à l’ère post-Macky. Mais à partir de là, nous souhaitons qu’il soit instauré dans ce pays des principes de compétitions simples, justes et équitables».
LA COMPÉTITION ÉLECTORALE, PROBABLE LIGNE DE MIRE
De la défense de la démocratie et du respect de l’Etat de droit à l’union des forces pour la compétition électorale, le glissement est loin d’être hypothétique. Pour une opposition qui a été, bien avant même la présidentielle de 2019, presque reléguée au placard par le maître du jeu, en l’occurrence le président Macky Sall qui a su jouer de tous les tours de passe-passe (politiques comme le recours au parrainage ou à l’entrisme, judiciaires ou autres) pour « réduire l’opposition à sa plus simple expression », occasion ne peut être plus propice que le contexte actuel pour porter un coup ko au pouvoir en place. Surtout avec les élections locales, même les joutes législatives, théoriquement programmées entre cette année 2021 et 2022. Une coalition et/ou des regroupements, de contours exclusivement électoralistes, ne sont pas à écarter dans ce retour de flamme vécu actuellement entre partis de l’opposition. Les mouvements citoyens à l’instar de Y’en a marre et autres, comme certains membres de la société civile en mal avec le régime en place venant en renfort pour faire bouger les lignes. Toute chose qu’Ousmane Sonko et cie semblent avoir bien perçu.
Comme l’a ressassé dans l’édition de Sud Quotidien d’hier, jeudi, l’Enseignant chercheur en Sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint Louis, Moussa Diaw. « Le contexte actuel constitue un enjeu important à mettre au profit de ce front en gestation… Ousmane Sonko a bien compris qu’il y a quelque part une faiblesse de la majorité qui n’a pas su gérer les aspects sociaux, la jeunesse, le ras-le-bol des citoyens par rapport à la gestion de la pandémie qui a durement affecté l’économie». Et de poursuivre : «Ousmane Sonko est donc en train de profiter de cette difficulté du régime à apporter des vraies réponses aux questions sociales pour asseoir une coalition qui pourrait être durable en raison de la situation sociale très difficile que vivent les populations. Donc, il peut facilement mobiliser les citoyens autour d’un projet». C’est dire que la plateforme en gestation contre le régime de Macky Sall est susceptible de moult repositionnements, dans un futur plus ou moins proche.