L’Etat dans le capital de SECAA: Faiblesses et points forts du « Deal »

par pierre Dieme

L’Etat du Sénégal a conclu un accord avec le concessionnaire de l’autoroute à péage. iGFM vous a proposé mardi hier les termes de cet accord, qui marque l’entrée du gouvernement à hauteur de 25% dans le capital du concessionnaire de l’autoroute à péage. Quels sont les points forts et les points faibles de cet accord? La réponse Par Elhadji Mounirou NDIAYE, économiste Enseignant-chercheur à l’université Iba Der Thiam de THIES

Que pensez-vous de ce protocole d’accord qui signe l’entrée de l’Etat dans le capital du concessionnaire de l’autoroute à péage (SECAA) ?

Il faut d’abord regretter l’obligation d’en arriver à une renégociation contractuelle qui est malvenue du point de vue de l’incitation d’autres opérateurs à contracter avec le Sénégal. La renégociation sur initiative de l’Etat est considérée en théorie économique des contrats comme un comportement opportuniste désigné sous le vocable de Hold Up. La renégociation aurait pu être une réclamation de l’opérateur si ce sont ses intérêts qui étaient menacés. Elle ne peut donc être évitée que si toutes les dispositions sont prises ex ante pour arriver à un arrangement privé le plus optimal possible pour les deux parties. Malheureusement, cette concession comporte plusieurs anomalies vis-à-vis des intérêts de l’Etat Sénégalais. On nous a parlé de Build Operate and Transfert (BOT) alors que théoriquement il s’agit d’un DBO (Design Build and Operate) puisque que l’Etat sénégalais a fourni 321 milliards des 382 milliards FCFA qui ont servi à construire cette autoroute. Eiffage n’a contribué que pour 61 milliards FCFA.

Quelle devait être la différence ?

En cas de participation aussi importante de l’Etat, il s’agit donc d’un DBO et dans ce cas, la durée de la concession, de même que la tarification doivent être allégée. Or le fort niveau de tarification retenu, analysé en rapport avec le trafic (50 000 transactions journalières dès 2014) et l’évolution du parc automobile (plus de 5% annuels en moyenne) offre des flux nets de trésoreries assez exagérés pour le concessionnaire, qui en plus dispose d’un contrat de 30 ans.


Cette entrée de l’Etat dans le capital du concessionnaire (SECAA) est une réponse à la demande longtemps exprimée par les usagers et les associations consuméristes. Mais l’accord conclu mérite une analyse approfondie pour voir s’il permet d’apporter les correctifs nécessaires dans le sens de l’intérêt des sénégalais.


Quels en sont les points forts?


Il faut féliciter l’Etat du Sénégal qui n’a jamais cessé ces dernières années d’exprimer son vœu de renégociation de la concession afin de satisfaire les réclamations des populations. C’est déjà un point très positif d’arriver à un accord, puisque les opérateurs privés n’acceptent généralement aucune concession sur leurs marges de profit. L’objectif général de cette renégociation est d’arriver à alléger la tarification et à ajuster la concession suivant l’effort financier collectif fourni pour la réalisation de cet ouvrage infrastructurel, l’Etat ayant fourni 84% du financement de l’autoroute. L’autre point fort est que l’Etat est actionnaire de SECAA à hauteur de 25% et qu’une redevance domaniale annuelle minimum de 800 millions FCFA est attendue. Il s’agit d’avantages insuffisants mais non négligeables par rapport au fait qu’ils n’existaient pas avant cet accord.

Les faiblesses ?

La principale faiblesse est le concept Etat actionnaire – investisseur – régulateur qui peut mener à des confusions, faisant de l’Etat un juge et une partie. Les travaux théoriques et empiriques montrent que dans ce cas, il subsiste des risques de collusion entre l’Etat et les politiciens responsables de cette régulation qui peut mener à des échanges de faveurs et la corruption, et aboutir à une configuration contractuelle plus négative. 
En plus, pour un contrat de type DBO, la durée de la concession doit être limitée à 20 ans. Or cette concession va durer 25 à 30 ans alors qu’il est prévu dans l’accord qu’elle va être prolongée de cinq ans, ce qui est également un point faible de l’accord.

Au finish, les termes du protocole sont-ils véritablement avantageux au gouvernement ?



Les dividendes attendus des 25% de parts détenus par l’Etat dans le capital de SECAA sont un avantage très significatif en termes de recettes publiques additionnelles. Le fait d’arriver à un encadrement du taux de rentabilité interne de 20 à 17% est une légère embellie vis-à-vis des intérêts publics. La pleine participation de l’Etat dans le management de la concession est un avantage important qui va permettre d’anticiper sur les investissements de renouvellement et de bénéficier d’un transfert de compétences managériales qui vont faciliter l’appropriation publique de cet ouvrage infrastructurel au terme de la concession dans 20 ans. Rappelons que le transfert à la propriété publique est l’issue des concessions BOT (ou DBO) à la fin des contrats.

Le vœu des usagers c’est la baisse des tarifs. Est-ce compréhensible qu’une telle demande ne figure pas dans le protocole d’accord ?

C’est déjà bien que l’indexation des tarifs à l’inflation soit gelée pour 5 ans, ce qui veut dire que les tarifs ne vont pas augmenter durant ce délai. Les recettes publiques escomptées des 25% de part de l’Etat dans SECAA, de même que les redevances sont assimilables à des baisses de tarifs que l’Etat encaisse directement. L’Etat est donc tenu de faire une allocation optimale de ces fonds aux urgences collectives du pays, notamment dans le chantier de l’emploi des jeunes.

La vérité des tarifs doit être surveillée au-delà de ce délai de 5 ans et pour ne pas être juge et partie, et éviter la corruption et les collusions dans la régulation, l’Etat doit créer une autorité indépendante de régulation des transports, dont les compétences pourront couvrir les objectifs exprimés dans la nouvelle loi sur les PPP, l’encadrement des tarifs des transports terrestres, aériens et maritimes internes. Les 800 milliards de redevances, complétés avec d’autres redevances à instituer, pourront supporter le fonctionnement de cette Autorité Nationale de Régulation des Transports (ANRT).     

Youssouf SANE

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