Macky et la mort de trop… Par Adama Gaye*

par pierre Dieme

Trop tard pour faire quelque médiation au Sénégal. Même si in-éxtrémis, la marche populaire pour la libération des otages politiques encore détenus dans les prisons du régime assassin dirigé par Macky Sall a été remisée, par respect pour la requête en ce sens par les chefs religieux du Sénégal, notamment celle du Khalife des mourides, le fait est que l’irréparable a déjà été commis. Toute médiation ne fera donc que reporter à une date ultérieure, voire imminent, l’impérative nécessité de solder les comptes, par la rue, les urnes ou les tribunaux avec ce pouvoir, et ses acteurs, aux mains tachées de sang.


Inévitablement, la guerre aura lieu. Parce qu’un événement est passé par là. C’est quand, la semaine dernière, d’une balle ajustée sur son corps, sous l’œil d’une tectonique de plaques numériques, implacable mais discrète avant d’en faire le symbole viral de la criminalité extra-judiciaire de Macky Sall, un jeune sénégalais s’écroulait, mort, en n’ayant comme seule arme de défense que le drapeau national qu’il pensait suffisant pour sa protection. Ses sandales retrouvées sur les lieux de son exécution en disaient davantage sur le damné de la terre qu’il fut tout au long d’une vie menée et terminée dans l’humiliation et la souffrance…

Qu’un tel acte, barbare, cruel, inhumain, se soit passé sur cette terre traditionnellement connue pour son prisme pacifiste sans que personne ou presque ne s’en émeuve, ni les marabouts, ni la classe politique, ni l’intelligentsia, prouve que le Sénégal n’est plus ce qu’il était. Sous l’effet corrosif du pouvoir voyou qui le gouverne, il a perdu son âme et sa capacité d’indignation, son honorabilité.
C’était pourtant le moment Georges Floyd de notre pays. Comme voici bientôt un an, le 25 mai 2020, sous le genou du policier blanc raciste, Derek Chauvin, la respiration de cet Africain-Américain était coupée, jusqu’à sa mort, on aurait pu s’attendre à ce que le peuple Sénégalais, suivant la réaction de celle de l’Amérique, sorte bruyamment pour exiger une réponse à la hauteur du crime commis contre cette victime locale. Hélas, un seul indice atteste de la stratégie de l’autruche adoptée en l’occurrence: personne ou presque ne peut mettre un nom sur ce corps qui s’est affalé sous la puissance du tir, à bout portant, parti de l’arme d’un des miliciens du pouvoir envoyés au sein de la population pour tuer.
On peut, sans être excessif, affirmer que l’assassinat de Floyd, suivi de l’arrestation de Chauvin, fut le marqueur le plus décisif qui a fait pencher la balance vers une victoire électorale à la présidentielle, pourtant improbable auparavant, de l’actuel locataire de la Maison Blanche, Joe Biden.
En rouvrant les plaies d’un racisme à fleur de peau, institutionnalisé, et démontrant au monde entier le peu de cas qui était fait des vies des noirs américains, sa mort eut l’effet de donner le souffle qui lui manquait au camp des adversaires du pouvoir alors en place, celui de Donald Trump, que l’on pouvait accuser, non sans raison, d’être un allié des hégémonistes blancs, d’où le policier tueur tirait ses racines.
Dans l’histoire contemporaine, les moments Floyd ont souvent pesé dans l’histoire des sociétés. C’est ainsi qu’en 1968, l’assassinat de Martin Luther King, le leader évangélique et pacifiste du mouvement d’émancipation des Africains-Américains servit de déclic à la révolte qui changea la face de leur pays. En 1973, dans un contexte où les intellectuels sénégalais savaient encore marquer leur territoire, la mort en prison d’Omar Blondin Diop, dirigeant étudiant emblématique, ne cessa de tourmenter le premier Président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, et symbolise, à ce jour, la capacité de refus d’une jeunesse rétive aux ordres bureaucratiques, dictatoriaux. On peut aussi évoquer les tueries de Shaperville, en Afrique du Sud, en 1976, comme un tournant dans la lutte anti-apartheid. Les corps ensanglantés des victimes du pouvoir pâle, raciste, furent projetés à travers le monde, par des photographies saisissantes, en noir et blanc, dont l’impact, malgré la pauvreté technologique de l’époque finirent par rendre infréquentable, illégal, le régime blanc Sud-africain. Qui douterait enfin, pour s’en limiter à ce dernier exemple, que le complot meurtrier contre le journaliste Burkinabé Norbert Zongo est resté, jusqu’au bout, comme l’œil de Caïn sur l’alors Président de ce pays, Blaise Compaoré, au point de rester encore l’expression de sa sauvagerie.
Ne nous leurrons donc pas: il ne peut y avoir de médiation pour sauver le régime de Macky Sall. Comment peut-on sauver la mise à la bande de malfrats, capacités par les moyens de la violence d’Etat, détournés de leur mission légitime, selon l’acception de Max Weber, qui ont froidement tué ce jeune homme en plein jour?
Avoir eu le toupet de permettre un acte aussi odieux renseigne sur ce que ces gens sont capables de faire des centaines de Sénégalais qu’ils font arrêter, sans raison, lorsqu’ils les soumettent à une torture d’Etat, loin des regards.
Cette pratique fait du Sénégal un Guantanamo Sahélien, longtemps à l’abri des condamnations de la communauté internationale, notamment des mouvements de droits de l’homme, par trop dociles et compréhensifs à l’égard des terroristes à la tête de ce pays.
Nul n’est à l’abri. La preuve, une dizaine de sénégalais, à la fleur de l’âge, ont péri sous les balles de la soldatesque du Boucher de Dakar.
Et force est, dès lors, de dire, sans détours, aux chefs religieux, en commençant par le Khalife des mourides, qui reste mon guide spirituel, qu’il ne peut y avoir de solution à l’amiable avec un tueur. Puisqu’aucune paix des braves n’est possible avec lui.
Rien, même les livres sacrés, ne peuvent justifier une absolution des crimes, de la peur, de la torture par la pauvreté et la violence, que cette bande réunie autour d’un Macky Sall, plus Boucher de Dakar que jamais, aux mains ensanglantées, inflige à un peuple écrasé sous leur genou, des revolvers et crosses de forces dites de sécurité sur les tempes de ses membres, surtout les plus jeunes.
La pire des médiations revient à sauver le tortionnaire, le fautif, le criminel. Or, il y a un risque réel que l’intervention des religieux ne serve qu’à désamorcer la colère justifiée qui bouillonne en la majorité des Sénégalais. C’est inacceptable. Ce serait dénier à ce peuple ce droit constitutionnel, mais aussi inclus dans la Charte de l’Organisation des nations unies (ONU), d’assumer ses prérogatives à l’auto-détermination face à quelque oppresseur, interne ou externe.
Le Sénégal vit de moments graves. Et rien n’en constitue une illustration plus puissante que l’exécution en direct de ce jeune anonyme, tombé en martyr, drapeau national à la main. En sa mémoire, il nous faut demander à la communauté internationale de se pencher sur le régime criminel de Macky Sall mais d’abord exiger respectueusement des guides religieux et autres acteurs de la société civile, politique ou diplomatique de ne rien faire qui puisse absoudre les crimes contre l’humanité commis la semaine dernière, à la suite d’autres passés sous silence dans le passé, par la clique du Boucher de Dakar.
Qu’on ne vienne surtout pas voir dans cette revendication une quelconque intransigeance. Il suffit de constater que les arrestations, les tortures, les coups tordus, l’impossibilité de vivre ses libertés et la capture de l’Etat sénégalais, de ses hydrocarbures à ses finances, n’ont jamais reculer malgré les propos lénifiants prononcés au milieu de la tourmente, la semaine dernière par Macky Sall.
Le Boucher de Dakar, il est vrai, sentait la furie de la foule et il se voyait déjà traqué comme son homologue de Bagdad, Saddam Hussein. Aucun médiateur n’a le droit de lui sauver la mise: ce n’est qu’au pied du mur, qu’il fait semblant d’être ouvert au dialogue. Sa démission n’est plus négociable. Il doit quitter le pouvoir et rendre compte.
Adama Gaye est un exilé politique sénégalais et un opposant au régime de Macky Sall.

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