C’est la politologue Hannah Arendt qui, couvrant le procès du criminel de guerre nazi Adolphe Eichmann, forgea le concept de «banalité du mal», pour expliquer comment un individu fort ordinaire comme Eichmann est devenu un bourreau dans les rouages du système nazi. Aujourd’hui, avec les émeutes, on découvre que des jeunes garçons ordinaires, pris dans la furie des foules, deviennent aussi des rouages très efficaces dans la banalisation du mal de la terreur.
La stratégie de la terreur a été redoutablement efficace, car la terreur est le point faible des démocraties. Par la terreur contre les intellectuels, les journalistes, contre toute pensée dissidente, les nazis ont balayé la république de Weimar et plongé dans les abîmes le pays de Goethe, de Schiller et de Beethoven. Dans une démocratie qui fonctionne, on cherche à convaincre l’opinion, qui à son tour met la pression sur le gouvernement, car la démocratie est avant tout le règne de l’opinion. Convaincre l’opinion c’est comme prendre la nationale, alors que la terreur elle, prend le péage. C’est pourquoi en 5 jours, Pastef a soumis l’Etat à sa volonté.
A la fin des années 90, j’avais une émission à Walf FM réservée aux universitaires. J’en avais reçu plus de 100.
L’une des émissions qui m’avait le plus marquée, était le passage de mon ami le Pr de Psychologie Mamadou Mbodji, pour coucher notre classe politique sur le divan. Il disait : «Comme les enfants, les hommes politiques jouent à se faire peur. Ils finissent par avoir peur.» Le Pr Mbodji faisait ce constat en 1999. Depuis, il n’y a pas de changement car c’est exactement ce qui s’est passé. La nouveauté est que cette fois-ci la psychose était nationale, avec l’irruption des foules devenues incontrôlables car comme dit Gustave Le Bon dans La psychologie des foules, «rien ne saurait être prémédité chez les foules. Elles peuvent parcourir successivement la gamme des sentiments les plus contraires sous l’influence des excitations du moment. Elles sont semblables aux feuilles que l’ouragan soulève, disperse en tous sens puis laisse retomber».
Libérer Sonko a été l’excitation mentale des foules qui s’est propagée dans le pays par effet de contamination et d’imitation. C’est pourquoi la furie été nationale. L’Etat a reculé en se couvrant du manteau diplomatique de l’apaisement. Gustave Le Bon, le meilleur spécialiste des foules, nous apprend aussi que «les foules veulent les choses avec frénésie mais ne les veulent pas bien longtemps, car elles sont aussi incapables de volonté durable que de pensée». Ainsi tout le discours du Président Macky Sall a consisté à chercher à déconnecter les foules de l’excitant Sonko qui, enveloppé par l’hubris d’avoir fait reculer son adversaire, a exprimé ses pensées profondes alors que Macky Sall utilise l’apaisement pour garder le fond de sa pensée.
Donc nous n’assistons pas à un apaisement mais à une trêve entre Macky Sall et le chef de l’opposition, parce que comme le dit le grand juriste allemand, Carl Schmidt, «agir politiquement c’est exercer l’autorité, manifester la puissance, sinon on risque d’être emporté par une puissance rivale qui entend agir pleinement du point de vue politique». Carl Schmidt s’exprimait ainsi pour sauver la république de Weimar qui ne cessait de reculer devant la terreur nazie par juridisme et par faiblesse. «La banalité du mal» de la terreur, qui était digitale et intellectuelle, a été transmise aux foules et a été tellement efficace qu’un magistrat s’est dessaisi, la presse terrorisée par l’inquisition et le gouvernement obligé de céder à l’apaisement par la psychose nationale.
L’apaisement n’est qu’une trêve, un armistice entre les deux camps, car Pastef va vouloir continuer à brandir l’épée de Damoclès de la furie des foules sur l’Etat, qui ne pourra plus se soustraire davantage de sa fonction normale de maintenir l’ordre et de protéger la collectivité. En attendant la bataille se poursuit dans les médias. On redevient une démocratie d’opinion et on continue de plus belle le Dem Dikk entre les standards british et ceux des 2 Congo.