Il y a urgence à déconstruire le processus électoral «volontairement piégé au Sénégal» pour préserver la démocratie par des élections libres, transparentes et inclusives. C’est l’Association des Utilisateurs des TIC (ASUTIC) qui alerte ainsi à travers un rapport de son étude sur les «Données personnelles en contexte politique et électoral : Le cas de l’élection présidentielle du 24 février 2019 au Sénégal», publié à l’occasion de l’an 2 du scrutin qu’elle qualifie de «non transparent» du 24 février 2019 au Sénégal.
24février 2019 – 24 février 2021 : cela a fait deux ans, avant-hier mercredi, que se tenait la présidentielle qui a vu le président Macky Sall réélu pour un second mandat à la magistrature suprême. Seulement, deux ans après, le processus électoral, «volontairement piégé au Sénégal, est toujours à déconstruire», selon l’Association des Utilisateurs des TIC (ASUTIC). Dans le rapport de son étude sur les «Données personnelles en contexte politique et électoral : Le cas de l’élection présidentielle du 24 février 2019 au Sénégal», publié à l’occasion de l’an 2 de cette élection présidentielle qu’elle qualifie de «non transparente», l’ASUTIC formule des recommandations pour restaurer les principes qui fondent un processus électoral transparent. Il s’agit de : «Veiller à ce que les données personnelles collectées par les candidats, pendant la campagne de parrainage, lors de la présidentielle de février 2019, soient détruites sous le contrôle d’huissiers de justice. Aucune trace de ces électeurs ne doit être conservée par les candidats, les partis politiques ou les coalitions ; Mieux encadrer la mise en œuvre du parrainage lors des prochaines élections par l’application stricte de la loi sur la protection des données personnelles ; Renforcer les capacités des acteurs politiques sur les enjeux de la collecte des données personnelles en contexte politique et électoral ; Sensibiliser les citoyens électeurs afin qu’ils prennent conscience des risques liés à la collecte et à l’utilisation de leurs données personnelles en période électorale ; Renforcer les capacités des observateurs électoraux, la société civile en particulier, sur un processus électoral à l’ère numérique afin qu’ils puissent identifier les risques de remise en cause de l’intégrité d’une élection par les technologies numériques», lit-on dans une note sur le rapport daté du jeudi 25 février 2021 et signe le président de l’ASUTIC, Ndiaga Gueye, parvenu à notre Rédaction.
PROFONDE MECONNAISSANCE DES ACTEURS D’UN PROCESSUS ELECTORAL A L’ERE NUMERIQUE
Dans son document, l’ASUTIC étaye ses allégations sur la «non transparence» du scrutin du 24 février 2019 par un certain nombre de faits. D’abord, relève-t-il, «l’audit du fichier électoral et l’évaluation du processus électoral a été lancé le 19 février 2021 pour garantir des élections transparentes. Un processus électoral transparent, inclusif, qui respecte tous les principes d’intégrité électorale est le meilleur gage pour consolider une démocratie électorale. Mais, les acteurs du processus électoral qui participent à cet audit, la classe politique en particulier, encore une fois, montrent leur profonde méconnaissance d’un processus électoral à l’ère numérique. Le fichier électoral, outil qui permet d’exercer le droit de voter n’est constitué que de données qui permettent d’une part d’identifier l’électeur et d’autre part de le localiser, au moment ou les élections ne se limitent plus à l’identification et la localisation de l’électeur à faire voter le jour du scrutin». Et la source d’ajouter que le fichier électoral «ne contient pas la donnée la plus capitale pour gagner une élection : l’opinion politique de l’électeur autrement dit son intention de vote. Aussi, quelle que soit la maitrise qu’un parti politique ou une coalition de partis a du fichier électoral, elle ne peut pas permettre de gagner une élection. Ainsi, les résultats de l’audit du fichier électoral, même s’ils permettent de trouver des centaines de milliers, voire des millions de doublons, ne sauraient garantir la transparence d’une élection à l’ère numérique. Désormais, l’ensemble du cycle électoral dépend de plus en plus des méga données (Big Data). En effet, pour gagner une élection à l’ère du numérique, avoir une stratégie de collecte de données personnelles afin de créer une puissante base de données sur les électeurs est devenue un atout indispensable pour tout candidat».
IMPOSSIBILITE DE COLLECTER 3 600 000 PARRAINS EN UN PEU PLUS DE TROIS MOIS
Ensuite, souligne l’ASUTUC, il est aussi apparu que «pour gagner l’élection présidentielle du 24 février 2019, le candidat de la coalition au pouvoir a mis en œuvre une stratégie électorale basée sur la collecte des données personnelles des Sénégalais, du recrutement d’un conseiller en analyse de données doté d’un logiciel de stratégie électorale et du travail de terrain par du porte à porte. Lors de l’élection présidentielle du 24 février 2019 au Sénégal, la coalition au pouvoir a déclaré avoir collecté plus de 3 600 000 parrains sur un corps électoral de 6 683 043 électeurs. D’abord, il est à noter qu’il est impossible de collecter 3 600 000 parrains en un peu plus de trois (3) mois, la campagne de parrainage s’est déroulée du 27 août au 11 décembre 2018. Mieux, explique l’association, pour collecter ce nombre d’électeurs, il fallait recenser environ des données personnelles de 40 000 personnes par jour. La logistique pour atteindre un tel objectif est titanesque et aucun parti politique au Sénégal n’en dispose pour ne pas dire dans le monde. Par conséquent, le candidat Macky Sall a démarré sa campagne de collecte de parrains bien avant le vote de la loi n°22/2018 portant révision du Code électoral instituant le parrainage. En effet, un membre de l’équipe de collecte de données de ce candidat révèle dans une interview au journal «The Mail & Guardian» que leurs opérations de parrainage ont débuté un an auparavant, à l’issue desquelles, l’équipe a collecté 3 500 000 parrains».
CES PROGRAMMES QUI ONT AIDE A DETOURNER DES FICHIERS PUBLICS A DES FINS PRIVEES
Puis, ces spécialistes et combattants de de la protection des données personnelles, montrent que «tout ceci, sans compter avec la possibilité de détourner des fichiers publics à des fins privées à travers les nombreux projets à caractère social du Gouvernement du Sénégal (Bourses de Sécurité familiale (BSF), Couverture Maladie Universelle (CMU), Cartes d’Egalité des chances, Délégation à l’Entreprenariat Rapide, PUDC, PUMA, Programme 100 000 logements, etc.). Tous ces projets sociaux ont un dénominateur commun : ils créent des bases de données qui permettent d’identifier et de localiser de potentiels électeurs économiquement vulnérables, pour ne pas dire indigents, dont l’opinion politique peut être facilement manipulée avec de l’argent, l’intimidation et les menaces. De potentiels électeurs qui ne votent ni pour un programme encore moins pour un projet de société mais pour la survie à savoir de quoi assurer le repas au jour le jour».
UTILISATION DES «MEGA DONNEES» PAR LE CANDIDAT MACKY SALL
Enfin, a en croire l’ASUTIC, «les données personnelles de 3 600 000 parrains collectées par le candidat Macky Sall ne peuvent pas être traitées dans un fichier Excel car le nombre maximum de lignes dans Excel est de 1 048 576 lignes donc nécessairement, un logiciel de campagne électorale a été utilisée. Il a été ainsi révélé que le candidat de la coalition au pouvoir avait recruté un conseiller en «Analyse de données» la société Française Spallian. « Le candidat Macky Sall voyait dans l’utilisation des «méga données» un atout stratégique indispensable pour sa réélection » dixit Spallian. Spallian accompagna, ainsi, Macky Sall dans sa dernière campagne présidentielle, le conseillant, après avoir travaillé en amont sur les «Big Data». Suffisant pour que l’ASUTIC en arrive ainsi donc à la conclusion que «la victoire au 1er tour du candidat au pouvoir lors de l’élection présidentielle du 24 février 2019 n’a été que la consécration d’une stratégie électorale pilotée par la société française Spallian basée sur le «Big data». Une tricherie électorale organisée en amont par la Société Française Spallian, véritable receleur de données personnelles collectées illégalement au Sénégal».
LES MANQUEMENTS DE LA CDP
Cependant, fait-elle remarquer, «l’intégrité de l’élection présidentielle n’aurait pas été entachée, si la Commission de Données Personnelles (CDP), autorité administrative indépendante, s’était montrée garante du traitement à des fins spécifiques, licites, loyales et transparentes des données personnelles des électeurs sénégalais. Il n’en fut rien et la campagne de collecte des parrains s’est déroulée dans l’illégalité la plus totale. Ainsi, les manquements de la CDP ont permis aux candidats de se doter de leurs propres bases de données sur des électeurs».Par ailleurs, indique-t-on dans le texte, il ressort de leurs rapports que les observateurs nationaux, régionaux et internationaux de l’élection présidentielle du 24 février 2019 «ne semblent pas avoir saisi les risques de manipulation du processus électoral liés à la collecte et le traitement des données personnelles en contexte politique et électorale. En effet, dans aucun des rapports publiés par les observateurs (Collectif des organisations de la société civile pour les élections (COSCE), regroupé avec la Plateforme des Acteurs Non Etatiques (PFANE) autour du programme Sunu élection, la CENA, la CEDEAO, l’Union Africaine (UA), de la Francophonie, l’Union Européenne, une Coalition de partis politiques d’opposition ne figure la problématique liée à la collecte et au traitement des données personnelles lors de l’élection présidentielle du 24 Février 2019».
URGENTE NECESSITE DE DECONSTRUIRE LA STRATEGIE INCRIMINEE
En outre, alerte l’ASUTIC, «cette stratégie électorale basée sur la collecte de données personnelles des Sénégalais pour identifier et localiser de potentiels électeurs économiquement vulnérables, dont l’opinion politique peut être facilement manipulée par un discours politique ultra ciblée, complété par des visites de proximité, du porte à porte sur fond de distribution massive d’argent est en train d’être consolidée en perspectives de prochaines élections au Sénégal», prévient-elle. Et de poursuivre que «la démocratie dépend de la place publique, d’un débat ouvert et collectif, aussi, toute stratégie électorale basée sur la collecte et le traitement des données personnelles des citoyens à des fins de profilage politique, contourne la place publique et porte atteinte à la transparence et à l’intégrité du processus électoral». Aussi, «il y a l’urgente nécessité d’actions immédiates pour déconstruire cette stratégie électorale aux fins de préserver la démocratie par des élections libres, transparentes et inclusives», conclut-on dans le document.
I. DIALLO