Couvre-feu de 21 heures à 5 heures : Kermel et Soumbédioune dans le désarroi

par pierre Dieme

Des acteurs du secteur informel opérant dans les marchés de Kermel et Soumbédioune désapprouvent la mesure de fermeture des marchés à partir de 17 heures au motif que celle-ci est doublement improductif. D’abord en gain et surtout ne militant pas contre la propagation du virus.

Le secteur informel sénégalais pâtit en cette période d’état d’urgence assorti de couvre-feu de 21 heures à 5 heures dans le contexte de lutte contre la covid-19. Trouvée au marché de Kermel, Fatou Diop, vendeuse de légumes place les mots sur les maux. «J’avoue que nous sommes très fatigués de devoir vivre cette situation très épouvantable. Je ne sais pour combien de temps encore», a-t-elle décrié, en ajoutant «j’estime même que ceux qui nous dirigent n’ont pas pris la pleine conscience des dégâts collatéraux de la mesure prise».

Pour elle, «au-delà de nous vendeuses qui perdons énormément, c’est tout un monde de grands exploitants agricoles, (ouvriers, transporteurs et stockeurs) qui a contracté des prêts auprès des banques, espérant pouvoir rembourser leurs créances après une bonne campagne de commercialisation de leurs produits. Mais, avec ce couvre-feu à partir de 21 heures, il n’est pas à écarter de grandes difficultés liées au transport de ces produits vers les différents marchés tous les soirs à cause du couvre-feu. La marchandise arrive tous les jours au marché Thiaroye à partir de 17 heures. Comment est-ce possible d’approvisionner les marchés secondaires avec un couvre-feu à partir de 21 heures ?», s’interroge-t-elle.
Ne trouvant pas pertinente la mesure, elle grogne : « Je crois sincèrement que la fermeture des marchés à partir de 17 heures n’a rien à avoir avec la propagation du virus. Au contraire, la mesure pousse les gens à s’entasser dans le marché et par ricochet mieux charrier le virus. Parce qu’en réalité, ledit virus n’a pas d’heure favorable ou non favorable. Ce qu’on doit interdire c’est le rassemblement. Or, avec ces mesures tout le monde se lève au même moment pour faire des achats ou autres besoins».

Pour s’en convaincre dira-t-elle : «Dans ce marché Kermel beaucoup de gens y viennent à leur descente faire des achats, mais aujourd’hui la situation est compliquée du fait qu’ils sont amenés à descendre la même heure, passer au marché et filer vite, de peur de violer la loi. Tout le contraire auparavant, parce qu’on vendait jusqu’à 21 heures», s’est plaint-elle, soulignant que «la crise va passer». Donc, il y a lieu de passer à l’après crise qui doit être prise compte, faute de quoi, « le relèvement de l’économie sera épouvantable», alerte-t-elle.

Son voisin tablier Cheikhouna Omar Ba, vendeur de fruits d’emboiter le pas : «Aujourd’hui, c’est un réel manque à gagner que nous réalisons jour après jour, parce que ceux qui avaient l’habitude de venir à 17 heures après leur descente acheter des fruits sont plus préoccupés par leur retour auprès des siens avant l’heure du couvre-feu», s’en désole-t-il. Donc, «nous demandons aux autorités de revoir la mesure. Car, nous perdons beaucoup d’argent et ceci peut compromettre les recettes sur lesquelles l’Etat compte d’ailleurs pour ses politiques de développement».

Au marché Soumédioune, Moustapha Sène mareyeur de son état trouve la situation intenable. «Nous sommes très désemparés par ces mesures qui impactent directement sur nos revenus. Avant la pandémie, on travaillait à partir de 12 heures jusqu’à 23 heures parce que c’est à partir de 17 heures que les clients commençaient à venir jusqu’à 22 heures et au-delà (23h) pendant les périodes de chaleur. Aujourd’hui, l’on nous fixe la fermeture des marchés à 21 heures. Du coup, à partir de 18 heures les gens plient bagages au risque de ne pas trouver de moyen de transport pour rentrer chez soi.»
Pointant du doigt l’Etat d’avoir pris à la légère cette pandémie ce, en communiquant moins, il dira : « L’Etat n’a pas fait une bonne communication sur cette affaire alors que tous les moyens sont là pour communiquer à grande échelle et surtout distribuer beaucoup de masques aux populations». Etayant son propos, il dit ceci : «Pendant les campagnes pour les élections (législatives, présidentielle) les politiques dépensent énormément d’argent pour se faire élire ou réélire par tous les supports de communications médias (télé, radio, presse écrite, porte à porte, publicité, t-shirt, affichage)».

Bintou Diop, vendeuse de poissons au quai de Soumédioune positionnée à quelques mètres de l’eau sur sa table avec des carpes communes, des mérous blancs ou mérous bronzés, cherche désespérément preneurs. «Je me prépare à quitter les lieux avant l’heure du couvre-feu. Avant, je pouvais rester jusqu’à 20 heures ou 21 heures ici à vendre mes poissons et j’arrivais à les vendre avant même cette heure. Maintenant, c’est impossible. Car, nous les achetons des pécheurs et nous n’arrivons pas à les revendre, faute de preneurs. Donc, vous comprenez combien c’est difficile pour nous les femmes cheffes de familles».

JEAN PIERRE MALOU

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