Par Adama Gaye*
Pour avoir eu à l’université, dans mes cours de politique américaine, comme l’un de mes professeurs, l’Amiral Stansfield Turner, ancien Directeur de la CIA sous la présidence de Jimmy Carter, dans les années 1970, je sais au moins une chose: tout chef de l’Executif américain est l’homme le mieux informé de la planète.
“La CIA compte le plus grand nombre de PhDs, de grands diplômés et sujets brillants”, aimait à résumer Turner quand il voulait rabattre le caquet à l’un de ses étudiants qui se mettait à jouer au plus fin connaisseur de son pays.
C’est dire que Joe Biden Jr, le nouveau Président des États Unis d’Amerique (USA), n’a même pas l’excuse de n’avoir pris fonctions qu’il y a deux semaines, le 20 janvier, pour justifier la méconnaissance, la naïveté pour ne pas dire l’angélisme, dont il fait montre en abordant officiellement l’Afrique avant-hier.
Briefé par la meilleure agence de renseignements au monde en plus des services d’une Administration américaine requinquée, notamment le Département d’Etat, cœur de son action diplomatique, et le Conseil national de sécurité (NSC), son observatoire des enjeux stratégiques, il n’avait pas le droit de faire un faux pas à l’occasion de sa première interaction avec le continent.
C’est hélas ce qu’il fit lourdement, dans un accès de légèreté qui ne prédit rien de bon, lors de son intervention virtuelle au sommet des chefs d’état et de gouvernement des pays africains, sous l’égide de l’union africaine (UA).
L’histoire des relations Afrique-USA enseigne une leçon fondamentale: c’est seulement quand des principes majeurs les guident qu’elles peuvent avancer dans la bonne direction. La douceur des mots ou la générosité et la promesse de lendemains mirifiques ne les ont jamais servies adéquatement.
Or, en promettant monts et merveilles, en les rassurant d’être à leurs côtés, Biden a réussi le tour de force de conforter (prop-up) les pires ennemis de l’Afrique qui se trouvent réunis au sein des instances de l’UA.
Au lieu de s’adresser aux peuples africains en attente d’un discours orienté vers des exigences démocratiques et de bonne gouvernance, Biden, comme un illuminé, se posant en évangéliste au secours du continent…noir, s’est plu à tenir de sa voix chantonnante le seul gospel qu’aiment entendre les dirigeants africains. À savoir qu’ils auront une oreille attentive et disposée à leurs égards à la Maison Blanche. Jusqu’à leur promettre de participer à un éventuel Sommet Afrique-USA à l’image de celui, organisé en Août 2014, par un Barack Obama. En oubliant qu’il fut le coup de pouce aux dérives dont rêvaient les dictateurs africains. On connaît la suite: il les légitima dans leur criminalité en tous genres.
A y voir de plus près, on pouvait cependant s’attendre à ce faux pas africain du nouveau locataire de la Maison Blanche, siège des services de la Présidence américaine.
Pour au moins une raison: il est encerclé par des officiels dont certains, y compris Susan Rice, l’architecte de sa stratégie domestique, ont vécu ces dernières années grâce aux revenus que leur procuraient leurs activités de lobbying aux USA au profit de satrapes africains.
En se démarquant de l’attitude méprisante voire insultante qu’affectait son prédécesseur, Donald Trump, envers l’Afrique, réduite à un ramassis de pays de merde, selon son doux langage, le nouveau dirigeant de l’Amérique a certes montré sa bonne volonté de tisser de nouveaux liens avec elle. Mais il est tombé dans un grand piège, le chemin de l’enfer étant pavé de bonnes intentions.
Ses assurances données aux officiels africains risquent en effet de jeter les bases d’une relation malsaine alors que l’ère post-Trump exige plus de rigueur tant les défis qui assaillent, de part et d’autre, la relation Transatlatique, au Sud, entre les USA et l’Afrique, souffre des déficits qui l’agitent.
Avec 26 millions de personnes contaminées par le coronavirus et 500000 morts, Biden n’a-t-il déjà fort à faire à l’interne pour juguler la plus grave crise sanitaire de son pays. Plus de 40 millions de ses compatriotes ont perdu leur emploi. La société américaine est fracturée non seulement politiquement mais par un racisme devenu violent. Sa démocratie est en proie au doute et sa puissance planétaire contestée par une Chine qui en revendique le leadership tandis que l’allié Européen n’a plus confiance en son imperium pour se protéger.
Sur tous les plans, c’est une Amérique fragilisée qui aborde donc une Afrique elle-même privée de respiration par les autocrates dénués de toutes valeurs progressistes ou nationalistes qui la tiennent en otage.
Sous ce rapport, le seul levier sur lequel Washington peut peser reste la reconstruction d’un multilateralisme assis sur de fortes normes, de salubrité morale, qu’elle soutiendrait et mettrait en œuvre en convoquant à nouveau l’esprit de la coopération internationale.
Après la deuxième guerre mondiale, l’ordre neo-liberal qu’elle avait aidé à construire servit magistralement à faire vivre le monde dans la paix et le progrès sous les idéaux démocratiques rêvés de tous.
Bill Clinton avait voulu, voici trente ans, en initier un autre format, à savoir le multilateralisme affirmé (Assertive multilateralism) et même Obama avait tenté un reset, un nouveau départ, mais Biden, lui, entame son magistère en faisant preuve d’une naïveté désarmante au milieu des périls qui affectent le monde.
On en oublie qu’il est au cœur de la politique américaine depuis 1973 date de sa première élection au Congrès.
Sachant qu’il n’a pas les moyens économiques de résoudre les problèmes de l’Afrique, le minimum qu’il peut et doit faire, c’est de tenir un langage de vérité à ses dirigeants et de les surveiller de près pour qu’ils respectent, en actes et non en mots, les droits de l’homme, cessent de piller les ressources de leurs pays, ne soient plus couverts par quelque impunité ou immunité par les institutions américaines et que son pays intègre la voix des sans voix, celle des peuples africains, dans son dialogue, vertueux, avec le continent.
En parlant comme un sauveteur à des dirigeants de l’Afrique, surpris par pareille aubaine, surtout qu’ils se savent, pour la plupart, d’illégitimes fraudeurs électoraux, Biden fait même regretter le langage cru, mais clair, de Trump.
Il doit donc se ressaisir sans délai. Son multilateralisme à la sauce d’une ONU ayant failli et animé de concert avec ceux qui ont tué les projets démocratiques et développementaux en Afrique, déçoit. Et nul, sur ce continent en détresse, n’en veut.
Qu’il ne nous dise surtout pas qu’il ne savait pas.
Ses services, eux, savent et ont dû le briefer: l’avenir des relatons entre l’Afrique et l’Amérique sera tributaire de la posture, réaliste et lucide ou rêveur et trompeur, collaborationniste, qu’il adoptera.
Sa marge de manœuvre est étroite.
Adama Gaye*, Ancien Fellow US-Foreign policymaking program, University Maryland, College Park, USA.
Ps: Signe de la dégradation des droits de l’homme et de la démocratie en Afrique, Aristides Gomes, l’ancien Premier Ministre Bissau-Guinéen m’a appelé hier soir de son refuge (une prison qui ne dit pas son nom) au sein d’un avatar d’une représentation onusienne pour m’expliquer son intenable situation.
Gomes fut un ardent allié de la US Federal Drug Enforcement Agency et des services français de renseignements quand une lutte à mort était menée contre les narcotrafiquants dans son pays.
Or, sous la menace d’un Emballo Sissokho, ce bandit qui a forcé sa voie au pouvoir avec l’aide d’ethnicistes reconnus, Gomes fait l’objet d’un risque d’extraction de son refuge pour le jeter dans les serres de celui qui tient a le faire taire.
Ni l’ONU, ni la CEDEAO (cornaquée par des gangsters au pouvoir) ni la France ni l’Amérique ne font grand chose pour résoudre cette équation qui à elle seule prouve le décalage du discours africain de Biden.
L’avenir des relations de l’Amérique avec l’Afrique passera par une cure de vertu ou ne sera pas. Hey Joe, un peu de rigueur et lucidité, l’Afrique n’aime pas les fumistes, amis de ses tortionnaires !
Joe Biden rassure les dirigeants criminels et ignore les victimes de leurs abus comme, ici, l’ancien Premier ministre Bissau Guinéen Aristides Gomes, retenu dans un refuge précaire dans son pays.