Depuis le 1er févier, les industriels, à travers le Collège des provendiers, ont augmenté de 10 % le prix du sac de l’aliment de bétail et de volaille. Une hausse qui n’est pas du goût des éleveurs qui jugent cette décision ‘’inopportune’’, en cette période de crise sanitaire qui a plombé toutes les activités économiques. ‘’EnQuête’’ s’est entretenu avec les différents acteurs, de même que les autorités étatiques, pour mieux appréhender les raisons de cette augmentation.
Le secteur de l’élevage est secoué, depuis ce 1er février, par l’accroissement de 10 % du prix du sac de l’aliment de bétail et de volaille. Mis devant le fait accompli par le biais d’un courrier de l’Interprofession avicole du Sénégal (Ipas) reçu vendredi dernier, les aviculteurs décrient la décision et comptent se battre. ‘’Nous, nous ne sommes pas d’accord. On ne peut pas nous mettre devant un fait accompli. Aujourd’hui, cette hausse n’est pas pertinente. Ce n’est ni le temps ni le moment d’augmenter les prix de l’aliment. Parce que, sur le marché mondial, le cours du pétrole n’augmente pas. Il est au plus bas. Rien ne le justifie. Même si ce sont les matières premières qui ont augmenté, ce n’est pas une raison suffisante pour augmenter les prix de l’aliment. On bat cette justification en brèche. On n’est pas d’accord. C’est trop léger’’, affirme le président de la Fédération des acteurs de la filière avicole (Fafa).
Si Serge Sadio balaie d’un revers de la main cette décision des provendiers, c’est parce que, rappelle-t-il, les six dernières années, les prix des céréales avaient baissé sur le marché. Et personne parmi les industriels n’a diminué le coût des intrants avicoles, plus précisément du maïs, du soja et du blé. ‘’Personne, parmi eux, je dis bien personne, n’a baissé. Donc, aujourd’hui, on ne peut pas accepter cet état de fait. Nous jugeons que c’est antipatriotique et cela menace même l’économie du pays. Parce que cela nous pousse à aller vers l’inflation. Donc, ce n’est pas logique, ce n’est pas économique et c’est antipatriotique. Ce n’est pas bien pour les entreprises sénégalaises. Nous disons non et on ne l’acceptera pas. Nous appelons tous les éleveurs à refuser cet état de fait. Que personne n’achète l’aliment à 16 500 F CFA et qu’on n’accepte pas tout simplement cette hausse’’, renchérit le président de la Fafa.
D’après M. Sadio, le sac de l’aliment a toujours coûté 14 250 F CFA ou même 15 000 F CFA à Dakar, malgré la baisse des cours mondiaux. ‘’On a des membres à Tamba, Kolda, Kédougou et Ziguinchor ou Saint-Louis qui achetaient l’aliment à 17 ou 18 000 F CFA. Ce n’est pas possible, dans un pays où on se pavane, se frappe la poitrine, en disant qu’on est un Etat de droit. Il est hors de question que les autorités laissent passer des choses comme cela. Mais l’Etat ne travaille pas vite et ne réagit pas vite’’, dénonce-t-il.
Si l’Etat tarde à réagir, tel n’est pas le cas des provendiers qui ont déjà mis à exécution leur décision. L’information est confirmée par Modou Sow, un grossiste vendeur d’aliment de bétail et de volaille au marché Guélaw.
D’après lui, les industriels ont ajouté 750 F sur le prix de l’aliment de bétail. ‘’Nous vendons maintenant le prix de l’aliment de bétail à 8 000 F CFA. Pour l’aliment de volaille, on achète le sac à 15 500 F CFA auprès des industriels et nous le revendons à 16 000 F CFA. Cette hausse ralentit les ventes. Au début, il est possible qu’on ne le ressente pas trop, mais les prochains mois, on verra les conséquences. Parce que les éleveurs cherchent à faire du profit avec leur activité ; s’ils savent qu’en achetant l’aliment à ce prix, ils ne vont pas s’en sortir, ils seront obligés d’abandonner ou de trouver une autre alternative’’, dit-il.
Les céréales locales, une solution pour faire leurs propres compositions
A ce propos, le président de la Fafa soutient qu’ils comptent boycotter les produits industriels et travailler avec les moyens du bord. ‘’Il y a des machines pour concocter le maïs. On va acheter le maïs sur le marché local, les céréales qu’il faut et on va faire nos compositions. On va demander aux chercheurs, aux scientifiques de l’université Cheikh Anta Diop, de Gaston Berger et de l’Ensa de Thiès de nous aider à mettre en place ce réseau-là, en travaillant avec les intrants locaux’’, fait savoir Serge Sadio.
D’ailleurs, il rappelle que, quand il s’est agi de rouvrir les frontières, parce qu’il y avait la pression internationale qui voulait que le Sénégal ouvre son marché de volaille, ils ont tous fait bloc et ont refusé. ‘’Les industriels étaient montés au créneau pour dire que cela menacerait leurs activités. Maintenant que l’activité est assez stable, il y a quand même quelques problèmes sur le marché, avec la Covid, le contexte économique mondial, et ces gens-là n’ont pensé à rien d’autres que d’augmenter les prix de l’aliment de bétail et de volaille. Le ministre du Commerce et le directeur du Commerce intérieur n’ont qu’à prendre leurs responsabilités. Si cette hausse entre en vigueur, nous tous, nous allons y perdre’’, ajoute-t-il.
Makhtar Diouf (CT Min. Elevage) : ‘’C’est une action unilatérale qui va à l’encontre des intérêts des aviculteurs’’
Les aviculteurs ne sont pas les seuls à être pris au dépourvu par cette nouvelle. Contacté par ‘’EnQuête’’, le conseiller technique en aviculture du ministère de l’Elevage et de la Production animale fait savoir qu’avant d’appliquer cette hausse, les industriels ne les ont pas consultés. ‘’Il n’y a pas eu de discussions avec le ministère. Donc, on n’est pas mêlé à cette décision. Ils ont pris leur décision tous seuls. C’est quelque chose que je déplore, car ils sont en train de léser de manière profonde les aviculteurs. Pour rappel, les aviculteurs ont été impactés par la Covid, avec la fermeture des restaurants, des hôtels, etc. Ils ont eu beaucoup de mal à vendre leurs produits. C’est une action unilatérale qui va à l’encontre des intérêts des aviculteurs’’, confie Makhtar Diouf.
Ce qu’il aurait fallu faire, d’après le conseiller technique du ministère de l’Elevage, c’est, d’abord, discuter de la décision au sein de l’Interprofession, avant de venir les voir, afin qu’ils en débattent. Cette Interprofession est composée de 4 collèges. Il s’agit des provendiers qui viennent d’augmenter le prix de l’aliment, du collège des accouveurs, celui des prestataires de services, vétérinaires et autres et le grand collège qui regroupe les producteurs, les transformateurs et les distributeurs.
‘’Toutes ces personnes ne sont pas du tout d’accord avec cette décision qui a été prise par une partie des aviculteurs. Maintenant, il faudrait qu’ils s’assoient et discutent, et qu’ils règlent leurs problèmes. Si l’Etat encourage la mise en place de cette Interprofession, c’est pour que des problèmes comme cela n’aient pas lieu. Donc, l’Interprofession doit jouer son rôle là où on l’attend. C’est à elle de réguler le secteur. Les prix ont été augmentés de 10 %. C’est énorme. C’est quelque chose qu’on condamne, qu’on déplore vraiment’’, regrette M. Diouf.
Toutefois, le prix de l’aliment de bétail étant libre, le directeur du Commerce intérieur (DCI) précise qu’il n’est pas ‘’obligatoire’’ que les provendiers se réfèrent au ministère de l’Elevage pour réajuster les prix. ‘’Quand les prix étaient fixés jusqu’à ce qu’ils aient des pertes d’exploitation, est-ce qu’on leur avait reproché de ne pas saisir le ministère de l’Elevage ? Ils sont en train de se réajuster par rapport aux cours mondiaux. Ils ne sont pas tenus de se référer au ministère du Commerce, encore moins à celui de l’Elevage pour fixer les prix’’, indique Oumar Diallo.
Oumar Diallo (DIC) : ‘’S’ils avaient appliqué la vérité des prix, ils auraient appliqué 35 % de hausse’’
Ainsi, le directeur du Commerce intérieur confirme, lui, que la hausse des prix de l’aliment de bétail est ‘’belle et bien justifiée’’. Parce qu’il y a une tension sur les deux intrants qui composent 85 % de l’aliment de bétail. Il s’agit du maïs qui occupe 60 % et le deuxième élément, le tourteau. ‘’Le maïs, on l’importe d’Argentine et, depuis deux mois, l’Argentine a commencé à bloquer ses exportations. Il y a une grève des ouvriers du pays et l’Argentine a fait aussi des restrictions sur les exportations. Les quantités ne sont plus nombreuses. Alors, les cours ont augmenté. Ils sont passés de 209 dollars en fin décembre, à 240 dollars aujourd’hui. A côté de cela, ils utilisent soit le tourteau de soja ou d’arachide. Or, le soja, c’est comme le maïs, on l’importe. Actuellement, il y a presque une pénurie de soja au niveau international. Les gens ne peuvent pas disposer de tourteau de soja, donc, ils doivent se rabattre sur le tourteau d’arachide au niveau local, avec la Sonacos. Nous sommes en campagne de commercialisation de l’arachide. La Sonacos n’a pas encore commencé à mettre sur le marché son tourteau. Il y a donc une rareté de la matière première qui fait qu’elle est difficile à avoir et les prix ont augmenté. Ce qui se justifie’’, explique Oumar Diallo.
En plus, le DCI renseigne que si les industriels avaient appliqué la vérité des prix, comme le demandent certains éleveurs, ce serait encore ‘’plus cher’’. ‘’Ils auraient appliqué 35 % de hausse à la place des 10 %. Parce que les prix ont augmenté de 35 %. Mais les industriels se sont concertés pour le ramener à une proportion acceptable. Ils ont juste mis 10 % de plus sur les deux spéculations. Ce qui donne le sac de 50 kg d’aliment de volaille 1 500 F CFA (de plus) et sur celui de 40 kg d’aliment de bétail, ils ont mis 750 F CFA. Or, pour le prix de l’intrant majeur, le sac de maïs qui coûtait 7 500 F s’échange à 10 000 F CFA. Ce sont des choses qui sont palpables. On ne peut pas dire que la hausse ne se justifie pas. En ce qui concerne au ministère du Commerce, ce produit est en vente libre. On ne peut encadrer que la disponibilité et qu’il y ait un flux vraiment accessible’’, souligne notre interlocuteur.
Mais aujourd’hui, M. Diallo reconnait que si l’Etat veut protéger l’industrie locale, il va falloir qu’il mette aussi des barrières, un dispositif qui puisse permettre à l’aviculture locale de s’en sortir. Pour cela, il estime qu’il faudrait que le pays soit autosuffisant en intrants, c’est-à-dire en maïs.
‘’La solution, c’est de développer davantage la culture du maïs pour être autosuffisant et compétitif. Et non pas asseoir une politique de fixation de prix à l’import, alors que nous n’avons pas la maitrise du marché mondial. On a beau vouloir mettre une barrière ou fixer un prix, mais si on ne maitrise pas en Argentine, cela ne va pas régler la situation. Ce n’est pas nous qui fixons les prix. L’Argentine reste le fournisseur majeur de maïs du Sénégal. C’est le pays le plus compétitif. Si les gens veulent aller ailleurs, en Russie, c’est encore plus cher’’, relève le DCI.
MARIAMA DIEME