Sommes-nous à une ère d’apartheid diplomatique?
Comment ne pas s’en convaincre en voyant combien, alors qu’en star carcérale un opposant Russe fait l’objet de tous les égards, les détenus politiques africains sont, eux, marginalisés, ignorés et oubliés, leurs causes pourtant justes mises sous le boisseau?
Ils sont nombreux à en vivre l’expérience, notamment Boubacar Seye, Aminata Lo, et, hier, Assane Diouf, Guy-Marius Sagna et moi-même, ou encore d’autres sous les cieux africains et dans des pays du Sud Global, où la torture règne en maîtresse.
Personne, dans les bastions traditionnels de la liberté, ne se soucie d’eux. Ce sont les nouveaux damnés de la terre. Qu’ils crèvent dans les pires cachots, peu importe.
Nul ne semble être enclin à prêter oreille à leurs luttes ou complaintes pour la préservation des idéaux démocratiques, du respect des droits humains, de la punition de la corruption et autres pratiques de mal-gouvernance.
C’est comme si une conspiration du silence, voulue pour des raisons inavouables, conçue dans des loges maçonniques ou des cercles impérialistes, se trouve derrière la banalisation des combats patriotiques dans les pays émergents.
Qu’il est loin le temps où la lutte pour l’autodétermination des peuples, puis les droits des noirs aux USA ou encore ceux des minorités éparpillées entre Chine, Inde ou Moyen Orient, sans compter le démantèlement de l’apartheid en Afrique du Sud mobilisait foules et influenceurs aux quatre coins de la planète.
De cette solidarité, il n’en reste rien ou presque. Et, arbitrairement jetés en taule ou écrasés dans leurs croyances et cultures, les militants du tiers-monde sont laissés à l’abandon.
Pis, certains de leurs soutiens, qui se disent droits de l’hommistes ne sont que des chevaux de Troie au service de leurs tortionnaires. Qui n’épousent leurs justes causes que pour mieux les vendre auprès de leurs principaux à l’affût.
Qui n’est pas désarçonné par l’autre traitement, royal, réservé au nouveau symbole, érigé en parangon de la vertu, du combat anti-totalitaire.
C’est comme si, à l’image d’un Andrei Sakharov, on lui a déjà taillé un statut de futur Prix Nobel de la Paix. Sa réputation est devenue universelle. Telle celle d’un Alexandre Soljenitsyne, naguère, lui aussi, point de ralliement des Occidentaux dans leur lutte contre l’ex-Union Soviétique, qu’ils déboulonnèrent au nom de l’anti-communisme en se parant des atours d’un humanisme politisé.
Si les prisonniers du tiers-monde sont oubliés, tel n’est pas le cas de ce nouveau symbole, qui polarise l’attention de l’Occident.
Il n’y en a donc que pour lui. Toutes les grandes capitales Occidentales (Washington, Londres, Berlin ou Paris) ont toutes exige la libération immédiate et sans conditions de l’opposant Russe Alexei Navalny.
Sur leurs chaînes de télévisions, leurs radios, journaux, réseaux sociaux, c’est la couverture maximale.
Il est vrai que l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche a changé la donne dans la promotion des droits de l’homme, se situant aux antipodes du désintérêt à leur égard que manifestait ostensiblement son prédécesseur, Donald Trump, le président américain déchu.
On peut certes saluer le réveil du peuple Russe qui a donné davantage de tonus à la cause de Navalny, le courage qui la porte de partout au sein d’une société décidée à en découdre avec l’autocrate Poutine, et même se féliciter du début d’une nouvelle conscience mondiale derriere les droits humains assiégés.
Rien de tout cela ne saurait justifier le silence fracassant qui ajouté aux malheurs des détenus des prisons africaines.
L’exemple de Boubacar Seye n’est que l’ultime rappel de l’apartheid nouveau dans le traitement différencié des droits humains.
Je rappelle au monde, à l’Union européenne d’abord, qu’il n’est pas moins méritant que Navalny, le nouveau héros de ces temps si bizarres.
Adama Gaye* est un exilé politique sénégalais.