Touchée de plein fouet par l’arrêt du tourisme dû, en partie, à la crise sanitaire, la région de la Basse-Casamance oscille entre nostalgie d’une époque qui semble révolue et amertume face au sort qui s’acharne
Longtemps prisée des vacanciers en mal de soleil, la côte casamançaise a, durant des décennies, accueilli des touristes venus du monde entier. Touchée de plein fouet par l’arrêt du tourisme dû, en partie, à la crise sanitaire, la région de la Basse-Casamance oscille entre nostalgie d’une époque qui semble révolue et amertume face au sort qui s’acharne.
Le ton est donné sur la route menant au Cap Skirring, capitale du tourisme balnéaire casamançais. Au milieu de la généreuse végétation, serpente la route régionale quasi vide de tout trafic. Ici, le bétail broute paisiblement. Quelques badauds en mobylette, canne à pêche à la main, cherchent le meilleur coin de pêche dans un des innombrables bolongs, caractéristiques du paysage de la Basse-Casamance. À l’image de l’agriculteur qui attend le retour des pluies, le secteur touristique et toute une région ont également les yeux rivés vers le ciel, espérant la réouverture des liaisons aériennes. Les acteurs sont dans l’attente du retour de touristes pour faire redémarrer un secteur économique en panne. En effet, depuis mars dernier, avec la fermeture des principaux hôtels à cause de la pandémie de la Covid-19, c’est toute une région qui est en mal d’activités. Arrivé au Cap, l’ambiance reste toutefois rythmée. Si les touristes ont, pour la plupart, déserté les côtes paradisiaques, les populations vivant sur place continuent leurs activités.
Les stigmates d’une crise qui ne dit pas son nom sont bien visibles. Certains établissements ont leurs portes closes et d’autres réussissent péniblement à attirer en terrasse quelques clients qui restent les bras ballant devant leur café. Il faut aussi aller au marché artisanal pour mesurer toute l’ampleur des conséquences de l’absence d’activités liée au tourisme. Pas sur les étalages de produits artisanaux et artistiques, mais sur le visage des vendeuses et vendeurs qui, derrière des sourires commerçant de façade, cachent, avec douleur, leur dépit qui ne cesse de croitre.
À la fois haut lieu du savoir-faire artisanal casamançais et symbole de l’économie touristique locale, le marché artisanal de Cap Skirring, autrefois fourmillant de curieux d’origines diverses, est, aujourd’hui, vide de toute vie. Dans les dédales couverts du marché, seuls les chats errant se baladent à la recherche d’un coin d’ombre pour se mettre à l’abri du soleil au zénith. Pourtant idéalement placé à quelques dizaines de mettre du Club Med, en plein centre-ville, l’endroit est devenu, aujourd’hui, un marché fantôme. Plus loin, alors que la route débouchant sur le port se termine, les bateaux des pêcheurs artisanaux ont leurs drapeaux en berne à l’image de toute une industrie également impactée par la baisse du nombre de touristes. Quant aux légendaires plages de sable blanc immaculé, elles sont aussi dénuées de toute forme de vie humaine. Seul le bruit des vagues, venues s’échouer sur la plage, remplit l’espace sonore.
Nostalgie d’une époque révolue
Aux parfums de la Casamance, mélange de menthe sauvage et de feuilles de « kinkéliba », se mêle celui de la nostalgie. Propriétaire du restaurant « La Carpe Rouge », ouvert en 2000, René connait bien l’histoire de la localité. Il rappelle que Cap Skirring a connu son essor avec l’arrivée du Club Med en 1973. « Avant, c’était un village de pêcheurs ; il n’y avait presque rien », narre l’homme. Au paroxysme de l’industrie touristique qui remonte à la fin des années 2000 début 2010, Cap Skirring grouillait quasi continuellement de touristes, se souvient le restaurateur. Avec une « petite saison » qui s’étalait de mai à octobre et une grande saison de novembre à avril, l’affluence ne désemplissait pas, se rappelle-t-il. C’est en 1993 que le Club Med a connu, pour la première fois, un arrêt d’activités. Depuis mars 2020, il est à nouveau fermé. Quant au restaurant de René qui a pignon sur rue dans le centre-ville de Cap Skirring, il reste toutefois ouvert. Il tente d’attirer quelques touristes venus de Dakar pour profiter des plages de sable blanc et du beau paysage qu’offre la belle région de la Casamance. Côté gastronomie, René décrit, avec le sourire en coin, le processus de décortication des crabes et la recette dont il garde le secret. Son regard est pétillant au souvenir de cette période où il faisait du crabe pour des groupes de plusieurs dizaines de touristes. Depuis, le restaurateur a été obligé de mettre au chômage certains de ses employés. « On ne fait même pas 30 % du chiffre d’affaires d’avant la crise. Le tourisme draine 75 % de l’emploi de la région », ajoute-t-il, déplorant que les gens soient « résolus à vivre de petits moyens ». « Personne n’est indemnisé, l’État ne fait rien » déplore-t-il le cœur plein d’amertume. « Heureusement que le couvre-feu n’a pas encore été décrété dans la région », commente René. «Cela aurait été terrible pour les gens », confie-t-il. Le restaurateur dit être dans l’attente d’une éventuelle exonération d’impôts de la part de l’État. Dans la région, beaucoup d’acteurs rencontrés estiment que le secteur touristique, impacté par la pandémie, n’a pas été bien géré. Toutefois, les Casamançais pourront toujours compter sur la nature foisonnante comme ressource en période de vache maigre, comme c’est le cas actuellement.
Amertume
Maurice est un jeune artiste peintre officiant dans le village artisanal de Cap Skirring. Le regard dépité, la tête baissée, il craint des lendemains incertains. « Si la situation actuelle continue, je vais déposer mes pinceaux », menace-t-il. Ce témoignage n’est guère isolé. « L’artisanat est presque mort », s’alarme-t-il. Pour Paco, voisin de stand de Maurice, il faut plus de soutien. Le prêt mis à disposition par l’État n’est pas véritablement utile, selon lui. Il dit ressentir un sentiment « d’injustice et d’amertume ». Augustin Diatta, président des Syndicats du tourisme en Casamance, reconnait, lui aussi, la portée limitée des prêts. Il estime que les emprunts d’une durée de trois mois ne servent pas à grand-chose, d’autant plus que la crise sanitaire persiste toujours. Augustin souligne que le tourisme reste l’une des premières industries en termes de création d’emplois directs et indirects. Au Cap Skirring, les habitants sont contraints de diversifier leurs activités afin de pouvoir s’adapter au difficile contexte.
Babacar, un gérant d’hôtel, dénonce la floraison de ce qu’il appelle «les résidences secondaires», comme les appartements meublés. Une pratique qui, à son avis, contribue à rendre la situation beaucoup plus difficile. Les perturbations notées dans le tourisme ne sont pas sans conséquences. Aujourd’hui, des jeunes, pour survivre, ont dû migrer vers les autres villes du pays. Paco, le ton presque exténué, confie que beaucoup de ses camarades trainent ou tentent de se débrouiller pour trouver des activités alternatives. Augustin Diatta, quant à lui, se veut optimiste sur l’impact du vaccin sur le retour des touristes. « Les gens veulent voyager et changer d’air », avance-t-il. Tout en restant prudent, le président des Syndicats du tourisme en Casamance préconise un retour progressif des touristes.