Depuis quelques années, la diffusion de « fausses nouvelles » est devenue récurrente dans le monde surtout avec l’avènement des réseaux sociaux. Au Sénégal, on a noté l’arrestation de plusieurs personnes (activistes, personnalités publiques et même citoyens lambda) sous cette incrimination. La dernière arrestation en date est celle du président de « Horizon sans frontières » Boubacar Sèye, emprisonné pour diffusion de fausses nouvelles. Interrogés par Le Témoin, des avocats se prononcent sur la pertinence de cette loi qui, à leurs yeux, est un vestige de l’antiquité et doit donc disparaitre. Une loi qui est devenue « otage » des différents régimes qui l’ont utilisée pour embastiller leurs opposants ou les personnes qui gênaient le système. Cet avis est développé par Mes Assane Dioma Ndiaye et Emmanuel Padonou, tandis que Me Boubacar Dramé, ramant à contre-courant de ses deux confrères, exige le maintien d’une telle loi pour épargner les citoyens de dénigrements.
La liberté d’expression est encadrée au Sénégal. C’est le moins que l’on puisse dire au vu de ce que l’on voit depuis des décennies. L’Etat, pour briser certaines personnes coupables le plus souvent de dénoncer ses agissements, n’hésite pas à brandir cette loi liberticide pour les jeter en prison. Nous avons interpelé certains avocats pour qu’ils nous disent ce qu’ils pensent de cette loi controversée…
Me Assane Dioma Ndiaye : « Dans une démocratie moderne, aussi bien pour les journalistes que pour les particuliers, on ne doit pas poursuivre les gens pour ce genre d’infraction »
« Cette loi fait partie de l’arsenal des pouvoirs politiques pour attenter à la vie de certaines personnes identifiées comme étant soit des membres de l’opposition, soit d’être des empêcheurs de tourner en rond. Quand on vous colle ce genre d’infraction, c’est comme si vous étiez dans un processus de trouble à l’ordre public. C’est-à-dire que vous diffusez des informations de nature à porter atteinte à la sûreté de l’Etat, à la sécurité et souvent ce sont des infractions qu’on utilise à priori. Mais en réalité, la diffusion de fausses nouvelles doit être une infraction qui se révèle à postériori, parce que à priori, celui qui donne une nouvelle, on ne sait pas s’il a des éléments de preuves ou pas », a expliqué l’avocat à la Cour, Me Assane Dioma Ndiaye. « Donc, le poursuivre pour diffusion de fausses nouvelles, c’est supposer qu’il invente ce qu’il dit ou, en tout cas, qu’il fomente des choses qui n’existent pas, qui n’existent que dans son esprit, dans une intention de nuire. Or, on doit pouvoir accorder à la personne une présomption de bonne foi. C’est pourquoi, quand une personne donne des informations, c’est une fuite en avant que de l’accuser de diffusion de fausses nouvelles. On doit pouvoir l’écouter, l’entendre, lui demander les preuves qu’il a en sa possession. Et s’il se révèle a posteriori qu’il n’a pas des preuves, ou en tout cas que les informations qu’il donne ne sont pas avérées, c’est à ce moment-là seulement qu’on pourra dire qu’il y a diffusion de fausses nouvelles. Encore que la personne peut se tromper. Et là, on n’est pas dans le cadre de la diffusion de fausses nouvelles. Quelqu’un peut se tromper de bonne foi » explique le président de la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme (Lsdh).
Selon Me Assane Dioma Ndiaye, cette loi est un genre d’infraction comme celles d’offense au Chef de l’Etat, diffusion de fausses nouvelles, atteinte à la sûreté de l’Etat qui sont des infractions purement politiques puisque aucun citoyen ne peut porter plainte contre son prochain pour diffusion de fausses informations. Souvent, ces plaintes proviennent uniquement de l’Etat par le biais de son représentant, le procureur de la République. « Je crois que dans une démocratie moderne, aussi bien pour les journalistes que pour les particuliers, on ne doit pas poursuivre pour ce genre d’infractions. Pour les particuliers, la procédure de diffamation est là pour régler ce genre de problème. Mais l’Etat utilise toujours cette procédure qui, de mon point de vue, est attentatoire à la présomption d’innocence parce qu’elle expose a priori la personne à une infraction qui n’est pas encore avérée », a souligné le président de la Ligue sénégalaise des droits humains.
Par ailleurs, il estime que dans un pays démocratique, on ne doit pas emprisonner des citoyens pour de pareilles infractions. Il déplore l’utilisation de la machine judiciaire par les politiciens pour embastiller des gens. « Quand le parquet requiert le mandat de dépôt, il motive sa décision de réquisition de mandat de dépôt, mais le juge a les mains liées. Imaginez un juge du fond qui est supposé indépendant, le juge d’instruction, il est à la fois un juge d’instruction et un juge du fond, mais on vous dit que vous n’avez aucun pouvoir d’appréciation, ça c’est une insulte même à l’indépendance du juge. Donc, c’est le genre d’infractions qu’on a aménagé et qui sont des vestiges de l’antiquité. C’est-à-dire de la-préhistoire, la période anté- démocratique et qui survit malheureusement dans des pays comme les nôtres qui ne veulent pas s’émanciper d’une certaine forme de gouvernance. Et je pense qu’il est temps qu’on élague ce genre d’infractions de notre corpus juridique, législatif et qu’on permette aux citoyens d’avoir des droits intangibles. Qu’on protège les citoyens et que les droits de la défense soit garantis dans les pays comme le nôtre », estime en conclusion Me Assane Dioma Ndiaye.
« Cette loi ne devrait pas être maintenue dans les dispositifs législatifs du Sénégal », Me Emmanuel Padonou, avocat à la cour
C’est dans la même direction qu’abonde son confrère, Me Emmanuel Padonou. Il rappelle d’abord que la loi sur la diffusion de fausses nouvelles n’est pas tombée en désuétude parce tous les régimes qui sont passés en ont fait usage à un moment ou un autre. « Une loi qui est tombée en désuétude est une loi que plus personne n’applique. Or, cette loi a fait beaucoup de dossiers ces derniers temps qui ont défrayé la chronique et qui montrent qu’elle n’est pas tombée en désuétude », soutient l’avocat. Me Padonou estime que le monde a évolué avec les nouvelles technologies jusqu’à un point tel qu’il est devenu urgent de repenser une telle loi. « Nous sommes à une période où les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont telles que la liberté d’expression est très développée dans beaucoup de pays. Aujourd’hui, la tendance un peu partout est à la liberté d’expression notamment sur les réseaux sociaux. Je pense qu’une démocratie moderne doit s’accommoder de ces nouveaux types de médias qui participent un peu de la transparence de la gestion des affaires publiques et de l’évolution des droits et libertés de tout un chacun », plaide Me Padonou.
Avant de poursuivre : « Maintenant, dans la matière, on me rétorquera que, dans tous les pays du monde, il y a un encadrement de ces droits et libertés. Faut-il maintenir cette loi dans notre arsenal législatif ? Personnellement, je pense que non. Parce que c’est une loi très liberticide. Et comme vous le savez, c’est une loi fourre-tout, on peut y mettre n’importe quoi et n’importe qui peut tomber sous son coup parce que c’est une loi dont le contenu n’est pas clairement précisé, on peut mettre toutes sortes d’agissements à l’intérieur de cette loi -là pour exercer une répression. C’est la raison pour laquelle, moi, personnellement, je dis que c’est une loi qui ne devrait pas être maintenue dans les dispositifs législatifs du Sénégal ». Me Boubacar Dramé, avocat à la Cour : « En l’état actuel de notre démocratie, il est important de maintenir cette loi » Me Boubacar Dramé, avocat à la cour bat en brèche les arguments de ses confrères. « Je ne pense pas que c’est une loi en désuétude, je pense que c’est une infraction qui est au contraire commise actuellement de façon courante. A travers les outils de communication surtout. Et puis, je ne pense pas qu’en l’état actuel de notre démocratie, l’on puisse enlever cette disposition légale. Diffuser de fausses nouvelles à l’encontre d’une personne porte atteinte à l’intégrité morale de la personne », a-t-il soutenu.
A cet effet, Me Boubacar Dramé estime que la démocratie ne peut permettre aux citoyens de dire n’importe quoi. « La démocratie, je ne pense pas que ça repose sur le fait de porter atteinte à l’intégrité morale, peut-être même à l’intégrité physique de la personne. Elle suppose déjà un équilibre, le respect de soi mais le respect également à l’égard d’autrui. Et lorsqu’on est amené a diffuser des informations, elles doivent être recoupées, vérifiées, elles doivent être à la limite vraies avant de pouvoir être diffusées. Surtout lorsque ça concerne une personne physique. C’est une loi d’actualité, à mon avis », a-t-il indiqué. En conclusion, Me Boubacar Dramé soutient que ce genre de loi est importante dans une démocratie pour que les gens ne dépassent pas les limites de leurs libertés.