Qu’ils soient dans le secteur de la restauration ou du commerce, les acteurs économiques qui évoluent souvent dans l’informel vivent le calvaire, avec la propagation de la Covid-19 au Sénégal et la prise, par le gouvernement, des mesures de restriction, notamment le couvre-feu et la fermeture des marchés. Aujourd’hui, avec la hausse de nouvelles contaminations et le retour de ces mesures, ces derniers, joints par ‘’EnQuête’’, ont confié que leurs activités risquent de sombrer, si le virus continue son expansion.
Ils n’ont pas pu bénéficier des fonds mis en place par le gouvernement avec la Force Covid-19 pour soulager les effets de la pandémie sur les activités économiques des entreprises. Les acteurs de l’informel sont au bord du gouffre, depuis la première vague, et craignent le pire, si la propagation du virus perdure au Sénégal. ‘’La situation est vraiment critique pour nous. A chaque fois qu’on pense que cela va s’améliorer, les choses deviennent de plus en plus graves et cela depuis presque une année. Et c’est pareil partout. Au plan national, les femmes restauratrices se plaignent tous les jours. La pandémie a tout bouleversé. Quand il y a eu la baisse des cas, j’avais bénéficié d’une formation à Louga, mais avec ces nouvelles contaminations, tout est tombé à l’eau’’, confie la présidente de l’Union nationale des femmes restauratrices du Sénégal (Unafres).
Jointe au téléphone par ‘’EnQuête’’ hier, Maïmouna Diouf affirme qu’elles n’ont encore ‘’aucune solution’’ pour améliorer leur sort. Ces restauratrices espéraient qu’avec la levée des restrictions après la première vague, les choses allaient changer. Mais, malheureusement, cela n’a pas été le cas. ‘’Et si on prolonge le couvre-feu, nous allons tenir un point de presse. Parce que depuis la première vague, nous n’avons reçu aucune aide. Ce sont seulement nos membres qui sont à Kolda et Sédhiou qui ont bénéficié d’un appui de 500 000 F CFA de la part de leur préfet pour leur association. Sinon, nous n’avons rien vu, ni de la part de nos ministères de tutelle ou des institutions d’appui aux femmes. Avant-hier, on a reçu la visite d’un agent d’Onu-femmes pour une enquête sur les femmes transformatrices. Il nous a demandé si on a bénéficié d’une aide financière et je lui ai dit que non. On a rempli des fiches à gogo et cela n’a rien servi’’, poursuit-elle.
D’après la présidente de l’Unafres, le ministère de la Femme lui avait demandé de recenser tous les membres de son association. Ce qu’elle a fait et leur a remis la liste. Cependant, jusqu’à présent, Mme Diouf informe que c’est uniquement une seule restauratrice résidant à Guédiawaye qui a bénéficié d’un appui. C’est-à-dire l’enveloppe de 500 000 F composée de 50 % de don et le reste est un prêt. ‘’Et si celle-ci a eu cette chance, c’est parce qu’elle est proche des leaders politiques de sa localité. Il y a aussi une autre qui m’a confié que son mari a bénéficié d’un don de riz. Ce que nous vivons actuellement est vraiment difficile pour nous’’, regrette-t-elle.
Des acteurs oubliés dans les mesures de soutien de l’Etat
Les restauratrices ne sont pas les seules à être dans le désarroi. Du côté des commerçants, le secrétaire général de l’Union nationale des commerçants et industriels du Sénégal (Unacois/Jappo) avoue qu’ils ont la même inquiétude. ‘’La prise en charge des secteurs impactés par la Covid est un problème réel. Quand on parle d’Unacois, on parle de secteur informel. En réalité, il n’y a pas eu de mesures pour soutenir l’informel. D’une part, ce sont les entreprises formelles qui en ont bénéficié. C’est une question de légitimité. Il faut montrer des preuves qu’on a été vraiment touché par la Covid. Ce que l’informel ne peut pas faire. C’est pourquoi ils n’ont pas pu bénéficier des appuis que l’Etat a réservés aux acteurs du privé’’, raconte Mamadou Dieng.
Notre interlocuteur note que le secteur du commerce est considéré comme un secteur ‘’exposé’’ et ‘’non impacté’’. Ce qui explique la raison pour laquelle ils n’ont pas pu bénéficier du fonds Force-Covid-19 pour reprendre leurs activités. ‘’Et c’est vraiment déplorable. Parce que nous sommes des acteurs économiques et l’informel occupe une place importante dans l’économie. Donc, c’est important qu’il soit pris en compte dans les mesures que l’Etat prend. (…) La situation est actuellement très difficile. Mais sachant que la lutte contre la pandémie est un combat collectif qui nécessite l’engagement de tous, donc, on va se sacrifier comme tout le monde pour y participer. Toutefois, il faut que l’Etat allège les mesures’’, dit-il.
Le couvre-feu peut, selon le SG de l’Unacois, ‘’avoir des impacts’’ dans la lutte contre le virus. Donc, dans un contexte économique et sanitaire difficile, il avoue qu’ils peuvent l’accepter. Mais, depuis quelque temps, M. Dieng signale qu’ils ont vu que les sous-préfets et préfets commencent à prendre des mesures qui, si elles sont maintenues à long terme, vont ‘’plomber l’économie’’. ‘’Parce que dans les villes comme Pikine et Rufisque, les préfets avaient pris des arrêtés pour ordonner la fermeture des boutiques et marchés entre 17 h et 7 h du matin.
Ce qui est très compliqué. Les autorités ont pris cette mesure sans pour autant se concerter avec les acteurs. Heureusement qu’ils ont revu la mesure qui est actuellement entre 5 h du matin et 17 h. Même si cette mesure n’est pas bien calculée. En tenant compte du couvre-feu, ils pouvaient laisser les marchés fonctionner comme d’habitude. Et les commerçants pourront descendre à l’heure qu’il faut pour rentrer chez eux avant 21 h. Le commerce est un secteur transversal, donc, en prenant ce genre de mesures, cela peut plomber l’économie’’, notifie-t-il.
L’e-commerce, une alternative
Et pour éviter que leur vie professionnelle ne sombre avec l’économie, la plupart des commerçants ont changé de stratégie pour s’adapter. D’après M. Dieng, la plupart des femmes et des jeunes se sont rués vers le e-commerce, en créant des sites spécialisés dans la vente en ligne ou des pages Facebook ou compte WhatsApp pour pouvoir placer leurs produits. Ce qui fait l’affaire du système de livraison Tiak-Tiak qui marche très bien.
‘’Presque toutes les femmes mettent leurs produits sur le net et essaient de trouver des clients. Cela peut être une réponse, face à la propagation du virus. Malheureusement, on ne s’était pas préparé à faire face à une telle éventualité. Si on y avait pensé, de nombreux commerçants pouvaient migrer vers les technologies d’information et de la communication (Tic). Actuellement, ce sont seulement les plus instruits ou plus connectés qui se sont adaptés. Mais les commerçants traditionnels sont dans une situation difficile. Car cette mutation n’est pas facile pour eux’’, narre-t-il.
Du côté des femmes restauratrices, leur présidente nous souligne qu’elles cherchent aussi des moyens de subsistance, face à la crise sanitaire. ‘’La plupart d’entre nous ont fermé leur restaurant pour se lancer dans d’autres activités. Personnellement, je suis dans la transformation depuis quelques mois. Je transforme les céréales et je fais aussi des savons à la suite d’une formation d’Onu-femmes. Le constat est que le savon marche plus que la vente de céréales. D’autres restauratrices sont dans le commerce, d’autres renvoyées de leurs locaux pour défaut de paiement, etc. Il y en a comme moi qui subissent quotidiennement des menaces des banques et des bailleurs. Or, si on ne travaille pas, on ne peut pas payer correctement nos dettes. Ce que ne semblent pas comprendre nos créanciers’’, se désole Mme Diouf.
La présidente de l’Unafres a, en fait, loué un appartement qui sert de locaux à leur association et l’autre partie était pour le restaurant et la formation des jeunes. ‘’Donc, c’est notre bureau. Si on le libère, ce sera difficile de trouver de nouveaux locaux à la fin de pandémie où ce sera à un prix beaucoup plus élevé. Je paie actuellement 130 000 F CFA par mois de location et si je quitte, le propriétaire peut l’augmenter à 150 000 F CFA. Car, avant que je ne l’occupe, il le louait à 100 000 F. C’est vraiment pénible, mais on n’a pas le choix. Nous avons bénéficié de plusieurs webinaires de formation de la part de l’Adepme et la Der avait pris part à ces rencontres. Nous avons écrit une demande d’audience pour nous entretenir avec le directeur de la Der, mais ils nous ont fait savoir qu’ils sont actuellement en vacances pour une période de 15 jours. Nous attendons son retour pour savoir si nous pourrions bénéficier de financement de leur part’’, renchérit-elle.
Rester prudents et ne pas se lancer dans des prêts bancaires
Toutefois, évoluant dans un secteur un peu fragile, le SG de l’Unacois préconise la prudence avec l’endettement des acteurs. ‘’Il faut qu’on reste un peu prudent et ne pas se lancer dans des prêts bancaires. Car nous sommes dans une période d’incertitudes. Parce que quand les cas ont baissé, les gens ont commencé à être confiants jusqu’à recourir à des prêts bancaires. Le secteur informel est très complexe. Mais après la fin de la Covid, que l’Etat mette en place des mécanismes de financement, pour que les acteurs informels puissent bénéficier de prêts. Cela leur permettra de relancer leurs activités. Pour le moment, ce qui nous préoccupe, c’est comme survivre, nourrir nos familles, préserver notre dignité face à la Covid. Mais, honnêtement, c’est vraiment dur’’, poursuit Mamadou Dieng.
Ce commerçant révèle que dans les marchés, c’est ‘’extrêmement compliqué’’. Les gens qui se sont endettés auprès des banques souffrent actuellement. Ceux qui avaient des stocks ont déjà épuisé leurs marchandises. ‘’Si ce n’est pas les produits de premières nécessité, cela risque de n’être plus à la mode. C’est le cas des tissus, des chaussures, etc. C’est très compliqué. Il faut un plan flexible au secteur informel pour le relancer. Mais, jusqu’à présent, on n’a pas fait une évaluation au sein de l’Unacois pour mesurer les impacts de la pandémie sur les activités de nos membres. On peut juste estimer les pertes en termes de milliards de francs CFA. Ce qui est clair, c’est que la plupart des commerçants qui sont dans les marchés traditionnels tels que Sandaga, HLM où les commerçants sont confinés dans un espace en attendant un client, 60 % sont à terre. Si la crise continue, cela va être plus compliqué’’, insiste-t-il.
Même si leurs activités ne sont pas florissantes en cette période et qu’ils sont dépourvus de soutiens, Mamadou Dieng appelle les commerçants à être ‘’plus prudents’’, afin d’endiguer la maladie. Car la situation sanitaire est ‘’très critique’’. ‘’Mais il faut que l’Etat aide davantage le secteur informel. Il s’agit notamment des vendeuses de cacahouètes, de poissons, etc. Il faut impérativement un fonds pour soutenir ces acteurs afin qu’ils puissent retrouver leur capital qui tourne autour de 100 000, 200 000 ou 500 000 F CFA. Et cela va booster la consommation et permettra aux entreprises de décoller’’, plaide-t-il.
MARIAMA DIEME