La prise en charge gratuite des séances d’hémodialyse au Sénégal ne l’est que de non ! En attestent les sorties multiples des malades ou accompagnants pour dénoncer la campagne politique orchestrée autour de cette maladie
La prise en charge des personnes souffrant d’une insuffisance rénale donne matière à réflexion. Au moment où l’Etat du Sénégal vante les mérites de la Couverture Maladie Universelle (Cmu) qui est censée prendre en charge gratuitement les séances de dialyse, il faudrait plutôt éclairer la lanterne de bon nombre de Sénégalais sur les tenants et les aboutissants de cette gratuité qui, en réalité, n’est qu’un slogan politique.
La prise en charge gratuite des séances d’hémodialyse au Sénégal ne l’est que de non ! En attestent les sorties multiples des malades ou accompagnants pour dénoncer la campagne politique orchestrée autour de cette maladie. De l’avis d’Astou Ndiaye qui accompagne son malade dans un centre privé non loin de l’hôpital de Fann, cela fait plus d’un an qu’elle paie de sa poche pour ses séances d’hémodialyse.
Le visage à moitié couvert par un masque de protection, la jeune dame lance avec dépit : «On clame partout que la dialyse est gratuite, alors que beaucoup de personnes ne bénéficient pas de cette gratuité.» Raison pour laquelle elle et son malade se sont tournés vers ce centre privé depuis novembre 2019. Elle raconte que son malade est obligé parfois de faire une séance au lieu de deux ou trois par semaine, faute de moyens. C’est pourquoi elle appelle l’Etat du Sénégal à faire bénéficier la gratuité à tous les insuffisants rénaux. Derrière la gratuité des séances de dialyse se cache une politique qui ne dit pas son nom. C’est la conviction de Doudou Sarr, président de l’Association Sénégalaise des Hémodialysés et Insuffisants Rénaux (Ashir).
A l’en croire, on ne peut pas parler de gratuité dans la mesure où les échographies doppler, les analyses, les médicaments et autres sont à la charge du malade. «Seule la séance de dialyse est gratuite», explique le président de Ashir. Encore que cette gratuité n’est pas accessible à tous les malades du rein, se désole-t-il. Revenant sur la procédure de gratuité, il rappelle que la maladie rénale peut être aiguë ou chronique. Et c’est au stade chronique que la dialyse s’impose au malade. «Une fois que ce dernier est admis dans un hôpital, la politique sociale de cette structure en question se permet de lui donner 3 séances gratuites de dialyse, puis de l’inscrire sur la liste d’attente. Et c’est seulement à partir de cette liste que le malade aura la chance d’être rappelé», renseigne Doudou Sarr.
Seulement, se désole-t-il, cette liste qui existe depuis une décennie est tellement longue. «Aux dernières informations, à l’hôpital Le Dantec par exemple, il y avait 1 296 patients en attente. Ce qui veut dire que les malades inscrits depuis 2016 n’ont pas encore eu la chance d’être pris en charge gratuitement dans les hôpitaux publics, encore moins ceux inscrits en 2017 ou 2018». Et Doudou Sarr d’ajouter : «Les patients qui bénéficient de cette gratuité de la dialyse souffrent de pathologie rénale depuis plus de 10 ans. C’est malheureux de le constater, mais quand un patient est déclaré insuffisant rénal et que les 3 premières séances de dialyse sont offertes, on l’envoie dans les structures privées. Et là également, l’attente peut être longue dans la mesure où ces structures sont aussi pleines», s’insurge le président de Ashir. Il ajoute par ailleurs qu’il y a des places disponibles dans le public par transfert de malade, greffe de rein ou par décès. Qu’une situation se présente, renseigne le sieur Sarr, il y a un comité qui se réunit pour procéder à une sélection sur les différentes listes d’attente qui existent.
«IL FAUT FAIRE DE SORTE QUE LA PRISE DE NOTRE MALADIE NE SOIT PAS UN LUXE»
Lançant un véritable cri du cœur, le président du Mouvement des Insuffisants Rénaux au Sénégal (Mirs), Cheikh Sadibou Ndong, demande que la prise en charge de leur maladie ne soit pas un luxe. «Pour les personnes souffrant d’insuffisance rénale, le seul fait d’être appelé dans un centre public de dialyse devient un luxe. Et normalement, cela ne devrait pas être le cas», se désole Cheikh Sadibou Ndong. Même si de 2012 à 2021, on est passé de 2 hôpitaux publics à une vingtaine, il reste beaucoup de choses à faire dans la prise des malades du rein. « Si vous essayez de verser une bouteille d’eau dans une tasse à jeter, il y aura juste un débordement mais pas de solution.
Actuellement, la situation est comparable à cela, il y a un flux extrêmement important de nouveaux malades qui arrivent chaque jour et on n’a pas assez de places pour les recevoir», a fait savoir Cheikh Sadibou Ndong. D’où l’invite qu’il fait à l’Etat du Sénégal pour qu’il construise un centre public dans chaque département. «Ce qui permettra à chaque insuffisant rénal de ne pas ruiner sa famille pour prendre en charge ses soins. Nous appelons le président de la République à faire de la gratuité une réalité et non un slogan politique. Il faut que les centres publics prolifèrent, qu’il y ait de nouveaux néphrologues et que le plateau technique soit changé chaque 5 ans au minimum», affirme Cheikh Sadibou Ndong.
Abondant dans le même sens, Doudou Sarr estime que le combat de Ashir a toujours consisté à faire le maillage du pays par des centres des hémodialysés et à avoir un centre de dialyse dans toutes les régions du pays. «Les centres privés n’existent quasiment pas dans la mesure où ils ne sont qu’au nombre de 4. La prise en charge des insuffisants rénaux nécessite forcément la création de nouveaux centres de dialyse, au niveau national. C’est la raison pour laquelle l’Association s’est battue pour avoir un centre de dialyse lui permettant de prendre en compte au moins un certain nombre de patients, à l’image du centre de dialyse dénommé Saliou Fall qui se trouve derrière l’hôpital de grand Yoff et qui est en phase de finition», indique le président de Ashir.