Macky Sall , le grand Timonier

par pierre Dieme

La modification de la loi sur l’état d’urgence continue de faire couler beaucoup d’encre et de salive. Toutefois, elle entre manifestement dans le cadre d’un processus enclenché par le président Macky Sall depuis le début de son deuxième mandat. Suppression du poste de premier ministre, tentative de dislocation de l’opposition, création d’une task-force, les mesures qui laissent entrevoir comme son idole «Mao», qu’il veut s’arroger tous les pouvoirs.

Il faut croire que même après avoir passé plus de 30 ans à côté du très libéral Abdoulaye Wade, le président de la République n’a pu se départir de ses premières amours idéologiques. Et à la lumière de ses agissements, le maoïsme l’a plus influencé dans sa trajectoire politique que le libéralisme. Et le chef de l’Etat Macky Sall l’avoue même dans son livre : ‘’Lors d’une interview en 2012, dans le magazine Jeune Afrique, on m’a demandé quels étaient mes modèles politiques. J’ai donné deux noms attendus : Nelson Mandela et Charles de Gaulle. Mandela pour son courage légendaire qui le dresse face à un pouvoir fort et le paye de sa liberté. De Gaulle pour son audace, son nationalisme, son patriotisme.‘’ Et l’auteur du livre Le Sénégal au Cœur d’ajouter : ‘’Le troisième nom a fait sursauter mon interlocuteur : Mao Tsé Toung ! Je lui ai expliqué que l’on pouvait être, comme moi, un social libéral et admirer le Grand Timonier.’’ Comment ne pas constater que l’ancien président du parti communiste chinois a fortement teinté la personnalité politique du président Macky Sall. 

Manifestement, c’est lui son modèle et les actions menées par le président de la République depuis sa victoire en 2019 semblent le démontrer à suffisance. Comme Mao, il est de nature à recentrer tous les pouvoirs sur lui pour pouvoir régner en maître absolu. D’abord pour ce deuxième mandat, le président Macky Sall a décidé d’opter pour un gouvernement sans premier ministre pour être, selon lui, beaucoup plus proche des administrés. Mais lors de son dernier face-à-face avec la presse à l’occasion de la fin de l’année, il a parlé sur un ton qui montre que pour lui, le premier ministre n’a aucun pouvoir et qu’il préfère gérer le pays sans intermédiaire. Par ailleurs, les relents hyper présidentialistes de l’ancien militant de And-Jëf ne se limitent pas à cette mesure. 
En effet, le président Macky Sall qui avait déjà absorbé le PS, l’AFP et la quasi-totalité de la gauche historique lors de son premier mandat tente d’instaurer dans sa deuxième mandature la dictature du ‘’parti unique‘’ ou du moins de la ‘’coalition unique’’ avec le Benno Bokk Yaakaar. Avec le dialogue national qui visiblement n’a été qu’une chambre d’enregistrement de la transhumance, qui a permis l’arrivée dans la coalition présidentielle de grands ténors de l’opposition. Le président du parti Rewmi Idrissa Seck qui a eu à avoir des mots durs à l’encontre de son ‘’nouvel ami’’, estimant que la vision de ce dernier s’arrête à Diamniadio, entre dans le gouvernement. 

LA TASK-FORCE, UNE VIEILLE RECETTE COMMUNISTE

 Les anciens membres émérites du PDS comme Omar Sarr, Me Amadou Sall ou encore Babacar Gaye se réconcilient avec leur ancien frère de parti. Ainsi Macky Sall confirme sa logique de réduire l’opposition à sa plus simple expression. D’être seul à exister. D’autant qu’au même moment, le chef de l’Etat coupe les têtes de ceux à qui les sénégalais prêtent des ambitions présidentielles pour 2024 comme les ministres Aly Ngouille Ndiaye, Amadou Ba, Matar Cissé et l’ancienne présidente du CESE Aminata Touré. Et comme le Président chinois, il s’est débarrassé aussi de ses militants qui n’ont pas suivi la ligne du parti en se prononçant sur la possibilité ou non du chef de briguer un troisième mandant dans 3 ans. Et ce n’est pas l’ancien directeur de Dakar Dem Dikk qui dira le contraire. En outre et sous la houlette de son directeur de cabinet Mahmouth Saleh, lui aussi trotskiste convaincu, le président Macky Sall a créé une Task-force qui est aussi une vieille recette communiste de propagande des actions du ‘’parti-état‘’.

 MODIFICATION DE LA LOI SUR L’ETAT D’URGENCE, LA GOUTTE D’EAU QUI PEUT FAIRE ULTERIEUREMENT DEBORDER LE VASE ? 

Et loin de se rassasier de ses pouvoirs déjà très étendus, le président de la République s’est arrogé le droit de décréter l’état d’urgence en cas de catastrophe sans passer par l’Assemblée nationale. Une modification qui a provoqué l’ire des organisations de la société civile qui y voient une dérive autoritaire et un coup de Jarnac donné à la séparation des pouvoirs. Les spécialistes du droit aussi crient au scandale. Pour le Pr Ngouda Mboup, la notion catastrophe est trop vague et peut prêter à confusion. Dans le même ordre d’idées, le docteur en sciences politiques Moussa Diaw pense qu’en votant cette loi, les députés exposent les sénégalais à un danger. Est-ce que ces appréhensions sont légitimes ? Peut-être. Car le chef de l’Etat maintient toujours le flou quant à sa participation à la prochaine élection. Les juristes sont divisés sur la question. Et tout cela dans une ambiance délétère où l’opposition radicale, incarnée par les Ousmane Sonko, Guy Marius Sagna, «Y en a marre» et autres, défie le régime. Donc cette nouvelle prérogative donnée à Macky Sall, si elle n’est pas utilisée à bon escient, peut dans les années à venir provoquer des troubles. Espérons simplement que le chef de l’Etat ne va pas se servir de cette loi pour museler des opposants trop gênants et asseoir sa suprématie. Non pas comme Mao encercler les villes par les campagnes, mais l’opposition par les dispositifs juridiques. 

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