Le jeu double du pouvoir

par pierre Dieme

Entre appels récurrents au dialogue politique et main tendue aux acteurs du sérail, le président de la République, Macky Sall semble exécuter depuis son accession à la magistrature suprême, le 25 mars 2012, un agenda et/ou une gouvernance du processus électoral qui, loin d’être consensuels, tendent plutôt à gruger l’opposition s’ils ne s’évertuent pas, irrémédiablement, à réduire cette dernière à sa plus «simple expression». Comme pourraient en témoigner certains cas d’école dont le parrainage dit citoyen et autres reports successifs des Locales de 2019, pris pourtant d’accord partie avec les dialogueurs sans le Pds de Me Wade, Pastef d’Ousmane Sonko et autres partis dits radicaux.

La nouvelle polémique née du choix du cabinet Era, pour l’audit du fichier électoral arrêté d’accord partie entre les acteurs du dialogue politique, est partie pour relancer les suspicions qui pèsent sur la gouvernance de l’horloge électorale au Sénégal. Qui plus est, cette polémique semble conforter les acteurs qui soupçonnent la main cachée et insidieuse du Président Macky Sall et du pouvoir en place sur l’exécution du processus électoral. Pour cause, après le relatif «consensus» acquis parles dialogueurs, suite à plus de 10 mois d’échanges entre pôles, le Parti démocratique sénégalais (Pds-seule formation politique à détenir un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale) est venu jeter un froid sur le processus en question.

Selon ainsi le parti de Me Wade, le cabinet ERA choisi pour auditer le fichier électoral ne peut pas se prévaloir de l’expertise requise pour cette opération technique, jugée essentielle à la mise en œuvre d’élections transparentes. Le député libéral Toussaint Manga révèle en effet, que ce cabinet a eu à travailler dans le passé sous la commande du nouveau ministre de l’Intérieur Antoine Félix Diome, alors procureur spécial à la CREI lors du procès de Karim Wade.
En outre, Toussaint Manga a tenu à faire savoir que le cabinet ERA est un cabinet d’expertise comptable qui a seulement six employés sénégalais de niveau cadre et dont la compétence se limite aux entreprises individuelles et aux groupes de société intervenant dans les secteurs économiques. Pis, a-t-il fait savoir par suite, les soi-disant experts étrangers retenus pour l’audit du fichier électoral ne sont pas des employés d’ERA Baker Tilly mais de simples sous-traitants extérieurs. Ce discrédit jeté sur l’audit du fichier électoral, alors même qu’il en est à ses balbutiements, témoigne selon certains esprits des zones d’ombre qui ont toujours accompagné la gouvernance du processus électoral. Une gouvernance que le parti au pouvoir, depuis 2012, a diligentée mécaniquement dans le sens de ses intérêts partisans.

Entre appels au dialogue et main tendue à tous les acteurs politiques, le Président Sall aurait ainsi exécuté depuis son accession à la magistrature un agenda qui n’est consensuel que de nom, surtout sur le plan du processus électoral. Au bout du compte, cet agenda saupoudré d’entente cordiale et teintée de dialogue dit politique ne tendrait irrémédiablement qu’à réduire à sa plus “simple expression” l’opposition, selon les dires mêmes du patron de l’Apr et de la majorité présidentielle. Le cas patent du parrainage citoyen est encore là pour rappeler le jeu du chat et de la souris auquel le maître du jeu s’adonnerait à l’encontre de son opposition. On se le rappelle encore. Ce fut en plein dialogue politique post-présidentiel que le camp au pouvoir imposa le recours aux parrains pour valider toute candidature à tous types d’élection.
Au final, le Code consensuel de 1992 sera tronqué et l’opposition se retrouva grugée par Macky Sall qui n’eut à faire face, à la présidentielle de 2019, qu’à quatre challengers, le gros de la troupe n’ayant pas passé le tamis du parrainage et de son 0,8% du corps électoral. Près de deux années après, rebelote pour Macky Sall et son camp qui profitent encore de la main tendue au dialogue national pour émietter le processus électoral et le calendrier républicain. Le prétexte argué était la nécessité de dépasser les éléments de crise et les tensions politiques nés de la présidentielle de 2019 que le chef de l’Etat avait remportée dès le premier tour de l’élection, avec plus de 58% des voix.

Conséquence de ce double jeu du patron de la mouvance présidentielle autour du dialogue politique : les élections locales sont reportées trois fois de suite à des dates ultérieures et les conseillers municipaux et départementaux ou élus locaux continuaient, eux, leur mandat au-delà des cinq années règlementaires. Et jusqu’à présent, nul acteur politique ne peut, quel que soit son bord, présager de la date exacte des Locales initialement arrêtées au mois de décembre 2019. Et dans ce jeu au clair-obscur, certains esprits subodorent même une volonté diffuse du camp au pouvoir de coupler les élections locales et législatives prévues pour 2022. Voire de les faire coïncider avec l’échéance cruciale de… 2024, date à laquelle la fameuse question du troisième mandat du président Macky Sall se dévoilera sous son véritable jour.

M DIENG

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