Les nombreuses manifestations de rue notées dans plusieurs quartiers de Dakar et sa banlieue, comme à Mbour, la première nuit de couvre-feu partiel, le mercredi 6 janvier, traduisent une frustration globale liée à un ensemble de pratiques antérieures. C’est l’expression de l’absence de cohésion sociale sur une question qui aurait dû amener un consensus parce que c’est la vie des personnes qui est en danger. C’est la lecture faite par le Professeur Fatou Sarr Sow, sociologue et enseignante à l’UCAD-IFAN des incidents nés de cette mesure d’exception prise pour freiner l’avancée de la 2e vague de Covid-19 au Sénégal. Pour la directrice du Laboratoire de recherche scientifique sur le genre et la science, interrogée par la radio Sud Fm, le président de la République doit en tirer des leçons pour être d’abord plus proche des jeunes, pour d’avantage de communication et comprendre. Car l’on s’achemine vers des lendemains extrêmement sombres, avec des vies de Sénégalais en danger. D’où son appel au sens de la responsabilité et du devoir de tout le monde.
«On peut en faire une double lecture (des manifestations notées dans plusieurs quartiers de Dakar et Mbour, la première nuit de couvre-feu à Dakar et Thiès, ndlr). D’abord, en écoutant ces jeunes, on peut dire que c’est l’expression des frustrations qu’ils ont éprouvés depuis très longtemps liées probablement à cette situation de pandémie et qui a amené des complications dans la vie des personnes, avec accès difficile au travail, aux ressources… Ce sont des jeunes dans certains quartiers, c’est lié au fait que ça a touché leurs activités primaires comme le commerce informel, mais surtout décrier le fait qu’ils ne soient pas préparés pour prendre leurs dispositions. Mais, si on va beaucoup plus loin, pour moi, c’est l’expression de l’absence de cohésion sociale sur une question qui aurait dû amener un consensus parce que c’est la vie des personnes qui est en danger. Le président de la République a pris des décisions qui ont été dictées par les spécialistes de la santé. Peut-être, il faudrait que ces spécialistes de la santé apparaissent davantage dans la communication pour expliquer à la population quel est le bienfondé de ces mesures. Mais, en même temps, quand je parle d’absence de cohésion sociale, ça a été aussi un prétexte pour des raisons ou d’autres, que des personnes qui ne partagent pas le même point de vue utilisent cette situation pour pouvoir exprimer aussi leur désaccord avec le régime en place.
«LE PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE DOIT EN TIRER DES LEÇONS…»
Ce qu’il faut surtout retenir, c’est que le président de la République doit en tirer des leçons pour être d’abord plus proche des jeunes, pour davantage de communication et comprendre. Parce que les jeunes ne disent pas qu’ils sont contre le couvre-feu ; mais ils disent être contre le fait qu’ils sont mis devant le fait accompli, sans les préparer. Bref, tout ça, ce n’est qu’un prétexte pour expliquer les frustrations qu’ils ont éprouvées depuis très très longtemps. Mais je pense qu’il va falloir mettre l’accent sur le fait que cette situation est une situation extrêmement grave. C’est des vies humaines qui sont en danger et c’est les Sénégalais, dans leur totalité, qui devraient prendre conscience et plus de responsabilité pour qu’on puisse ensemble faire face à cette pandémie qui est en train de décimer une population, peut-être pas la plus importante du point de vue numérique, mais c’est des ressources humaines qu’il faudra mettre du temps à bâtir qui sont en train de partir. Et donc, nous allons vers des lendemains extrêmement sombres. Il y a des pays qui sont en train de s’effondrer, des pays qui avaient dénigré la Covid-19 comme le Brésil, par exemple. Nous avons vu ce qui c’est passé aux États-Unis quand Donald Trump a dit que la Covid-19 n’existe pas. Donc, on ne peut pas rester dans les temps du dénigrement, en disant que ça n’existe pas, que ça ne nous touche pas beaucoup et que c’est moins que les Européens.
«ETRE DAVANTAGE A L’ECOUTE DES JEUNES, MAIS SUR TOUT DONNER DAVANTAGE LA PAROLE AUX RESPONSABLES DE LA SANTE»
La question, c’est l’anticipation parrapport au futur, avec toutes les mutations de ce virus-là (de la Covid-19-ndlr). Je pense qu’il faut en appeler au sens de la responsabilité de tout le monde, du devoir de tout le monde mais surtout le chef de l’État qui doit prendre la température, de comprendre ce qui se passe au niveau de cette population, de ses jeunes qui sont frustrés pour différentes raisons, être davantage à leur écoute, être avec eux, mais surtout donner davantage la parole aux responsables de la santé, des agents comme le Professeur Seydi et autres. Les gens leur font confiance, qu’ils aillent expliquer parce qu’on entend aussi d’autres professionnels de la santé qui sont contre, qui ne sont pas d’accord avec la décision des autorités de la santé. Et ça aussi, c’est une question très compliquée dans ce pays. Il y a des moments où, à mon avis, on doit prendre une direction et qu’on laisse ceux qui gouvernent prendre des décisions. Et maintenant, quand ça ne marche pas, que les gens réagissent. Mais on entend beaucoup de sons de cloches, y compris dans le même système de santé, pas ceux-là qui sont aux affaires, mais d’autres qui ne sont pas d’accord avec les mesures préconisées par leurs confrères. Je pense que l’ensemble des Sénégalais doivent se fier (aux autorités sanitaires, ndlr). Aujourd’hui, nous n’avons pas le choix, ce sont les spécialistes de la santé qui doivent donner les directives à faire. Et les religieux l’ont compris depuis très longtemps. Tout le monde salue, aujourd’hui, ce que Serigne Babacar Sy a fait et ce que le Khalife général des Mourides a fait en demandant à un certain nombre de fidèles d’arrêter un certain nombre de pratiques et en se mettant lui-même à l’abri, en mettant en suspension ses «ziarra». C’est ça l’analyse que j’ai faite de la réaction d’hier, de ses jeunes.
«QUELE PRESIDENT APPRENNE A PARLER DAVANTAGE A SA POPULATION»
Si on comprend ce que les jeunes ont dit, ils ont l’impression qu’on les met devant le fait accompli, c’est-à-dire même si le président de la République a donné un tout petit peu l’indication, le 31 décembre, en disant qu’ils prendront les mesures idoines, il fallait peut-être deux (2), trois (3) jours avant de commencer à expliquer qu’on va aller vers cela. Parce que certains disent que la mesure est tombée très rapidement, qu’ils n’ont pas pu planifier ce qu’ils devaient faire…
Pour moi, ce n’est pas des explications qu’ils peuvent tenir, mais le font de la question, c’est une frustration globale liée à un ensemble de pratiques antérieures. Il y a des frustrations sur la manière dont les 1000 milliards (du Fonds «Force Covid-19», ndlr) ont été gérés. Les gens n’ont pas compris où est allé l’argent ; est-ce qu’il y a eu une justice, une équité dans la distribution de ses ressources ? Tout ça, ce sont des questions à voir. Mais, pour moi, la solution, c’est que le Président apprenne à parler davantage a sa population, à être plus proche d’elle ; mais surtout qu’on donne la parole au agents de la santé, qu’ils puissent convaincre la population de la validité de ces mesures.
Seynabou BA (stagiaire)