La menace de dissolution du parti Pastef/ Les Patriotes, brandie par le ministre de l’Intérieur, suite à la campagne internationale de levée de fonds initiée par Ousmane Sonko, président de cette formation politique, et ses camarades en vue de financer leurs activités, remet au goût du jour le débat sur les rapports que l’actuel chef de l’Etat entretient avec le jeu démocratique. En effet, ce n’est pas une première fois que le régime en place se cache derrière des principes républicains pour mener la bataille à son opposition.
Au-delà d’une volonté de faire respecter les dispositions de la loi 81-17 du 6 mai 1981 relative aux partis politiques modifiée par la loi 89- 36 du 12 octobre 1989, le communiqué du nouveau ministre de l’Intérieur, Antoine Felix Abdoulaye Diome qui, rappelons-le, a été le «bras armé» du pouvoir en place dans les procédures judiciaires à l’origine de l’invalidation des candidatures de Karim Wade et de Khalifa Ababacar Sall lors de la dernière élection présidentielle de février 2019, a un air de déjà vu. Et pour cause, le pouvoir en place, qui n’a pas fait sa priorité cette question du financement public des partis politiques pourtant inscrit au menu du dernier dialogue politique, n’est pas à sa première tentative d’instrumentalisation des textes juridiques aux fins de «réduire l’opposition à sa plus simple expression». En effet, malgré sa promesse d’une rupture totale dans la gouvernance des affaires publiques, à travers le slogan de «Gestion sobre et vertueuse», le président Macky Sall, arrivé au pouvoir à l’issue du second tour de la présidentielle du 24 février 2012 tenue dans un contexte politique très tendue du fait de la représentation du président sortant, Me Abdoulaye Wade, pour un troisième mandat, semble plus travailler sur des stratégies de conservation méthodique du pouvoir.
APRES KARIM ET KHALIFA SALL, SONKO DANS LE VISEUR
La preuve, c’est sous son magistère que la justice sénégalaise est parvenue, en un temps record, à procéder à l’ouverture d’une information judiciaire contre la quasi-totalité des responsables d’un parti d’opposition (Parti démocratique sénégalais), notamment ceux restés fidèles à l’ex président Abdoulaye Wade, après la perte du pouvoir. Parmi eux, Karim Wade, fils de l’ancien président de la République. Pointé du doigt par certaines observateurs politiques comme le successeur naturel de son père, Karim Wade a vu son «soleil», qui a brillé sur tout le Sénégal du fait de l’étendue du ministère qu’il gérait sous e règne de son père, s’éteindre quelques mois seulement après l’avènement de la deuxième alternance.
Visé, au même titre qu’une dizaine de responsables libéraux, par une procédure d’enrichissement illicite auprès de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), Karim Wade est le seul à voir sa procédure mener jusqu’à sa condamnation. Il en est de même pour l’ancien responsable du Parti socialiste (Ps) et ex-maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall.
Accusé de détournement de deniers publics portant sur 1,8 milliard FCFA environ, sur la base d’un rapport de l’Inspection générale d’Etat (Ige) toujours classé secret, Khalifa Sall qui prônait la sortie du Ps de la coalition majoritaire au pouvoir et une candidature socialiste s’est ainsi vu, de même que Karim Wade, écarter par la justice de la course lors de la dernière élection présidentielle. Arrivé deuxième à l’issue de la dernière élection présidentielle, Ousmane Sonko dont le parti est aujourd’hui sous le coup d’une menace de dissolution, semble être désormais la nouvelle cible à abattre. Surtout après le score «extraordinaire» qu’il a réalisé à l’issue de la dernière élection présidentielle (3ème avec 15% des voix, pour une première participation). Aujourd’hui, avec le revirement du président de Rewmi, Idrissa Seck, candidat arrivé 2ème, le leader de Pastef/Les Patriotes s’adjuge selon certaines voix le titre de chef de file de l’opposition, dans ce contexte de préparation des élections municipales et départementales où le pouvoir semble toujours être à la recherche d’une bonne formule pour éviter le même sort qu’avait connu le régime libéral avec la perte de ces mêmes élections en 2009, avant la grande chute de 2012.
Dans cette instrumentalisation des normes qui régissent la bonne marche du pays, le pouvoir en place n’exclut pas Aminata Touré. Selon certaines informations relayées par la presse, six inspecteurs généraux d’Etat seraient aux trousses de l’ex-Présidente du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Un journal de la place informe ainsi que des ordres de mission ont été transmis à ces inspecteurs généraux d’Etat et que ces derniers vont spécifiquement s’intéresser à la gestion d’Aminata Touré car la mission a été circonscrite à la gestion 2020. Exit celle d’Aminata Tall, sa devancière à la tête de l’institution, indique la même source. Nommée présidente du Cese le 14 mai 2019, Aminata Touré dite Mimi avait été remplacée le 1er novembre 2020, par Idrissa Seck. Accusée vraisemblablement de crime de lèse-majesté pour avoir ramé à contrecourant de la théorie du troisième mandat de Macky Sall à la tête du Sénégal, Mimi Touré serait sous le coup de l’effet IGE et du syndrome Khalifa Sall.
UNE PREMIERE DANS L’HISTOIRE POLITIQUE CONTEMPORAINE DU SENEGAL
Cependant, il faut dire que cette chasse aux opposants, doublée d’une campagne de promotion de la transhumance politique au profit du camp du pouvoir, initiée par ce régime entre 2012 et 2017 est une première dans l’histoire politique contemporaine du Sénégal. En effet, mis à part le régime du président Senghor où la justice a été utilisée dans la mort politique de l’ancien président du Conseil des ministres, Mamadou Dia, l’accès au jeu politique a toujours été garanti aux opposants en dépit des tensions qui ont très souvent accompagné les processus électoraux. Sous le régime du président Abdou Diouf, son opposant historique, Me Abdoulaye Wade, a pu ainsi participer à toutes les élections présidentielles notamment en 1983, 1988, 1993 et 2000.
Pourtant, en 1993, il fut arrêté et inculpé avec trois membres de son parti dans le cadre de l’enquête sur l’assassinat, le 15 mai 1993, de maître Babacar Sèye, vice-président du Conseil constitutionnel du Sénégal, avant d’être relâchés trois jours plus tard pour manque de preuves. Arrivé au pouvoir à la faveur de la première alternance démocratique au Sénégal, le 19 mars 2000, le président Abdoulaye Wade, en dépit des rapports politiques tendus qu’il entretenait avec certains de ses opposants, n’a pas fait moins que son prédécesseur.
Accusé d’avoir détourné 44 milliards de FCFA dans le cadre de l’affaire dite des «chantiers de Thiès», la ville dont il était le maire à l’époque, Idrissa Seck a ainsi pu bénéficier d’un non-lieu, début 2006, et s’était présenté à l’élection présidentielle de 2007, à l’issue de laquelle il est arrivé deuxième avec un score de 14,86 % des voix. En 2008, l’actuel chef de l’Etat, pour avoir adressé en sa qualité de président de l’Assemblée nationale, une convocation à Karim Wade à venir s’expliquer devant la représentation nationale sur sa gestion des fonds mis à sa disposition dans le cadre des projets de préparation du Sommet de l’Organisation de la conférence islamique (Oci), a été contraint de quitter toutes ses fonctions électives avant d’être placé sur la liste des cibles politiques prioritaires. Cependant, malgré les menaces de l’ouverture d’une procédure judiciaire concernant notamment la gestion des fonds Taïwanais, les financements étrangers de son parti, l’Alliance pour la République (Apr), Macky Sall a pu se présenter librement à la présidentielle de 2012, sans être inquiété.
Nando Cabral GOMIS