On a vu un président nombriliste, déconnecté des réalités et des préoccupations des Sénégalais, engoncé dans l’autosatisfaction et qui considère que tout va bien dans le pays
Comme il est de coutume, le président de la République, Macky Sall, s’est adressé à la nation sénégalaise le 31 décembre 2020. Seul le chef de l’État dispose ainsi du privilège d’adresser ses vœux à l’ensemble de la nation. A cette occasion, il incarne véritablement la nation et assume pleinement son rôle de président de tous les Sénégalais. Seulement, on a vu un président nombriliste, déconnecté des réalités et des préoccupations des Sénégalais, qui s’est adressé à lui-même et à son clan. Certes le Covid-19 ne pouvait être exclu de la thématique de fin d’année et c’est pourquoi le président Sall a annoncé un renforcement du personnel médical et paramédical mais il ne fallait pas qu’elle constituât l’arbre qui cache la forêt des autres et sempiternelles difficultés auxquelles sont confrontés les agents de ce secteur depuis longtemps. Aujourd’hui, le président promet le recrutement de 500 médecins et de 1000 paramédicaux mais quid de ces agents de la santé qui, depuis plus de 10 ans, courent désespérément derrière un hypothétique recrutement ou un reclassement ? A ces difficultés s’ajoute le fardeau de la dette qui obère la viabilité des structures hospitalières.
Ensuite comme s’il était un président en fin de mandat, Macky Sall s’est autorisé à décliner encore une litanie soporifique de réalisations et de projets surréalistes. On a comme l’impression d’avoir un président de la République enfermé dans sa bulle, engoncé dans l’autosatisfaction et qui considère que tout va bien dans le pays. Il n’a pas pris la mesure de la souffrance des Sénégalais tant son discours s’est tu à dessein sur des difficultés qui méritaient d’être évoquées par lui, le président de tous les Sénégalais.
Macky, qui récemment a mis en place un bataillon de propagandistes et sommé ses ministres de faire bimensuellement face à la presse pour vanter ses réalisations, s’est livré en ce soir du 31 décembre 2020 à un digest de la comm’ gouvernementale. Et cette comm’ révèle un président de la République narcissiquement content de sa personne, déraisonnablement sourd et aveugles aux véritables préoccupations des populations souffreteuses.
Encore le réchauffé des réalisations
A l’heure où le pays vient de traverser difficilement une année marquée par la pandémie à coronavirus et la folie mortifère des jeunes candidats à l’émigration clandestine, le président Macky Sall enfourche encore son dada de réalisations réchauffées, sans ouvrir une fenêtre d’espoir à tous ces jeunes sans-emplois, ces paysans, enseignants et pêcheurs laissés pour compte. A la place de solutions concrètes pour éradiquer l’émigration irrégulière, Macky a préféré s’attaquer aux réseaux mafieux qui l’organisent ignorant que sans les candidats à l’émigration clandestine, il n’y aurait pas ces réseaux de mafieux. Ce n’est pas en cassant le thermomètre qu’on fait tomber la fièvre.
Puisque l’arachide vaudra au Sénégal des points de croissance pour l’épargner de la récession économique, le président devait parler des difficultés que rencontrent les acteurs du secteur complètement désorganisé à cause l’intrusion incontrôlée des Chinois qui risquent de compromettre la reconstitution du capital semencier, l’approvisionnement correcte de nos industries huilières.
Mais s’il y a un secteur difficultueux que le président a zappé dans son allocution, c’est bien celui de la pêche dont les acteurs locaux en chômage pour la plupart sont victimes des accords scandaleux et déséquilibrants signés avec l’UE.
Quant à la durable pénurie d’eau, Macky ne l’a même pas effleurée dans son discours. Pourtant, cela fait plusieurs mois que les populations dakaroises vivent le calvaire d’un manque d’eau mortel surtout en cette période de pandémie où le liquide précieux est le premier désinfectant pour respecter les mesures barrières. Ces derniers mois été très éprouvantes à cause cette cruelle pénurie d’eau et Macky Sall ne donne aucune perspective de solution là où son ministre de l’Hydraulique semble être dépassé par la situation. A entendre le président s’auto-satisfaire de projets comme le TER, le BRT non encore à jour, on a comme l’impression que les vrais problèmes actuels des Sénégalais, qui ont comme nom emploi, eau, éducation, santé, logement, sécurité, des populations l’indiffèrent.
Aucun mot sur l’école, le secteur qui regroupe le plus grand nombre d’acteurs. Dans l’inventaire des constructions en perspective, rien n’a été dit sur les 6 000 abris provisoires où des Sénégalais et Sénégalaises reçoivent des apprentissages et enseignements dans des conditions non enviables. Pas un seul mot sur la carrière des enseignants et leurs revendications de 2013.
Les 100 000 logements dont il s’enorgueillissait à chaque occurrence pour abréger la souffrance des locataires a disparu de ses discours. Le 1 million d’emplois promis lors de la dernière campagne électorale n’est plus d’actualité. Le silence vaut aveu d’impuissance.
Aujourd’hui, il faut que le président rompe avec ces discours creux et oiseux qui ne pr ennent pas en compte les préoccupations de la majorité des citoyens. Finalement, le rituel des vœux de fin d’année devient enquiquinant parce qu’elle s’assimile à une mise en scène itérative dont l’actant principal gesticule, hâble sur des sujets qui sont, pour la plupart, loin des préoccupations des Sénégalais.
Post-Scriptum
C’est ici le lieu de déplorer ce simulacre de commedia dell’arte qui a été servie comme dessert indigeste après le discours présidentiel. On ne doute pas du professionnalisme de ces journalistes choisis qui ont eu l’honneur d’interroger le chef de l’Etat. Mais leur marge de manœuvre était si fortement réduite par la metteuse en scène Arame Ndao que toute stichomythie était impossible. Pour la chaleur et la qualité de l’entretien, les journalistes devaient violer cette norme imposée par le service de comm’ du palais, procéder à des relances et remettre en cause les chiffres souvent erronés que le patron du Palais débitait avec une quiétude effarante. Le protagoniste (président), en dehors de tout protocole, savait exactement qui devait poser quoi. Le tapis rouge était ainsi déroulé. L’aisance du président en vrai moulin à paroles contrastait avec l’inhibition des journalistes ankylosés interdits de répliques. La mise en scène fonctionnait à merveille. Et Macky Sall de déclarer sans être contredit que les institutions monétaires internationales ont imposé aux pays de l’Uemoa le plafonnement de leur dette à 70% de leur PIB. Le chef de l’Etat se trompe quand il déclare que c’est de la domination des pays développés de vouloir fixer le plafond de la dette à 70% de nos PIB alors que la France et les Etats-Unis ont dépassé le cap des 100% de leur PIB.
Mais le Rapport du FMI N° 19/90 de mai 2019 sur les politiques communes des pays membres de l’Uemoa nous édifie sur l’historique des 70%. En effet, le document dit : « Le plafond actuel de la dette publique dans le dispositif de surveillance régional (70 % du PIB) a été fixé lorsque la plupart des pays de l’UEMOA dépendaient principalement de financements concessionnels. Cependant, vu le recours croissant aux emprunts non concessionnels, ce seuil semble maintenant dépasser, dans plusieurs pays, le niveau qui préserverait le risque actuel de surendettement tel que défini dans le cadre de viabilité de la dette du FMI et de la Banque mondiale. Par conséquent, pour préserver cette fonction d’alerte rapide, il serait judicieux d’abaisser le critère de convergence de la dette à environ 60 % du PIB. Pour mieux prendre en compte le degré d’endettement à des conditions concessionnelles, ainsi que les risques de change et de liquidité, la Commission de l’UEMOA pourrait utilement compléter son évaluation des critères de convergence de la dette par une analyse exhaustive de la viabilité de la dette. »
Si Macky ne croit pas au plafonnement de la dette, c’est parce qu’il pense être en mesure de payer. Dès lors, pourquoi plaider pitoyablement pour l’annulation de la dette publique des pays pauvres ? Ce sont les situations d’insolvabilité de ces pays impécunieux et sous-développés comme le Sénégal qui sont à l’origine du plafonnement de la dette et même du projet d’abaisser le critère de convergence de la dette à environ 60 % du PIB. Et cela, le président ne l’ignore pas.
SERIGNE SALIOU GUEYE