Financement des partis politiques : de Diouf à Macky, les différents rendez-vous ratés

par pierre Dieme

Au Sénégal, depuis la présidence Abdou Diouf, les différents régimes qui se sont succédé aux responsabilités ont essayé de régler le problème du financement des partis à moitié (sous Diouf) ou de se complaire de l’existant, sans ajouter ou retrancher une virgule. Si la loi de 1981, modifiée en 1989, a ébauché un contrôle étatique des finances des partis qui restent des associations (loi de 1901), il reste qu’il y a comme une loi tacite qui réduit pouvoir et opposition au silence.

S’il y a un cancer qui gangrène les démocraties, c’est bien celui du financement des partis politiques dont la Constitution sénégalaise dit qu’ils concourent à l’expression du suffrage. En France, notre modèle d’inspiration, vie politique et «affaires» ont souvent fait mauvais ménage du fait d’une réglementation tatillonne. Il ne suffit que de rappeler la plus médiatisée de la dernière décennie, le supposé financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy qui vaut à ce dernier une mise en examen. Le Rassemblement national de Marine Le Pen, le MoDem de François Bayrou, dans une échelle moindre, n’ont pas échappé à la règle. Dans une époque lointaine, Chirac, patron du Rpr, a été accusé de trimbaler avec les mallettes d’Omar Bongo pour le financement de ses activités politiques.

Au Sénégal, depuis Abdou Diouf, les différents régimes qui se sont relayés aux commandes ont essayé de régler le problème à moitié (sous Diouf) ou de se complaire de l’existant, sans ajouter ou retrancher une virgule. Si la loi de 1981, modifiée en 1989, a ébauché un contrôle étatique des finances des partis qui restent des associations (loi de 1901), il reste que, à l’heure des flux financiers de tout genre, une mise à jour s’avère nécessaire. Abdou Diouf tente, en 1998, de sauter le pas. Il confie à une équipe d’universitaires de haut rang, drivés par le Pr El Hadj Mbodj, la réflexion suivie de la conception d’une loi sur le financement et la modernisation des partis politiques. Entre la formulation de l’intention, la mise en train et la restitution des travaux, le pouvoir change de mains.

Elu à la magistrature suprême, Me Abdoulaye Wade reçoit le rapport du bout des doigts et le jette dans les tiroirs. La continuité de l’Etat reçoit un coup de pilon en plein dans la tronche. Personne n’en reparle plus. Comme son prédécesseur, le Pds se sert à deux mains sur les moyens de l’Etat. Les plus pointus parmi les inspecteurs du Trésor peinent à délimiter les frontières entre la cagnotte de l’Etat et celle du parti gouvernant. Singeant le Ps, le Pds déménage de son trou à rats de la Place de l’Obélisque (Colobane) pour se construire un siège digne de son nouveau statut de parti au pouvoir sur la Vdn. Rien ne permet de tracer la provenance du financement ni sa licéité. Au même moment, les libéraux accusent leur bête noire, le Ps, de bénéficier des subsides du «camarade» Gbagbo. C’est le voleur qui crie au voleur. Cela alimente la chronique médiatique pendant un moment puis retombe, comme il est de coutume au Sénégal.

Loi du silence

En janvier 2009 éclata une polémique à Dakar. L’ancien Premier ministre, Macky Sall, devenu opposant, était mis en cause par le gouvernement dans une affaire de blanchiment. Le ministère de l’Intérieur, alors dirigé par Cheikh Tidiane Sy, avait fait état dans un communiqué de «l’existence d’un réseau de blanchiment d’argent sale impliquant Macky Sall (…) et Abdoulaye Sall, de nationalité sénégalaise résidant au Gabon. Dans le cadre de l’enquête ouverte, les services compétents ont alors intercepté des correspondances avec un chef d’Etat africain tendant à avaliser l’idée que les fonds incriminés proviendraient de ce dernier», relayait le communiqué, sans plus de précision sur l’identité du chef d’Etat en question. Macky Sall affirmera n’avoir «jamais reçu un franc du Président (gabonais Omar) Bongo» mais a admis lui avoir écrit pour demander des «conseils» et un «soutien». L’actuel président de la République du Sénégal a, durant l’interrogatoire, également démenti avoir reçu des fonds en provenance du Burkina Faso.

La «cuisine» de quelques heures d’affilée n’aura permis que de classer le dossier sans suite, faute de preuves à même d’emballer le plus «collabo» des juges d’instruction. L’affaire s’en arrête là.

Et quand il accède au pouvoir, au moment de faire voter son référendum, Macky Sall, ancienne victime des «financements occultes», glisse dans son paquet de réformes une phrase lapidaire sur le financement et la modernisation des partis. Une phrase qui reste toujours à l’état de profession de foi, aucune loi organique n’ayant été prise pour sa mise en œuvre. Profitant, elle-même, de ce vide, l’Apr se lance, à son tour, dans un grand chantier : le financement de son siège. Le patrimoine foncier de la société de transport public, Dakar Dem Dikk, aurait permis de financer la construction de ce joyau qui aurait coûté une fortune colossale. Personne ne sait jusque-là le mode qui a permis, franc après franc, de l’ériger sur les terres convoitées de Mermoz. Tout ce qui reste, c’est une vaine polémique entre le maire de la zone, Barthélémy Dias, et le ci-devant Dg de Dakar Dem Dikk, Me Moussa Diop. Encore que, là aussi, tout espoir de voir la vérité jaillir s’écroule face à la nouvelle «amitié» ostensiblement affichée entre les deux et ayant abouti au retrait de la plainte du second contre le premier pour diffamation.

Arlésienne

Il aura donc fallu cette affaire de «Nemmékou tour», fundraising des pastéfiens qui, en 48 heures, a permis de brasser plus d’une centaine de millions de francs Cfa pour voir le dossier du financement des partis ressurgir. Mais, tout se passe comme si pouvoir et opposition se sont entendus pour ne jamais s’entendre sur l’absolue nécessité de légiférer sur ce serpent de mer. A l’ère des flux financiers illicites, ce «je te tiens par la courbette, tu me tiens par la barbichette», anachronisme démodé, trouve bien justification d’être envoyé six pieds sous terre.

Ibrahima ANNE

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