Le Sénégal s’enfonce dans l’illégalité. Son statut d’Etat de droit, fier et respecté pour ses acquis démocratiques, est en passe de ne plus être qu’un souvenir. Un banditisme d’Etat s’est emparé de son âme au milieu d’un silence gêné d’un peuple dépassé par la tournure de ce qu’au départ il croyait être l’amorce d’une gouvernance sobre et vertueuse. Sous Macky Sall, le Sénégal se perd dans un désert, sans eau ni nourriture, sans perspectives, vers un chemin menant nulle part…
Tout le monde sait que la gestion d’un pays exige l’observance et le respect de critères incontournables, notamment l’adhésion à des rites immuables, parfois impénétrables mais essentiels à son ontologie.
Depuis la nuit des temps, avant même l’avènement de l’Etat-nation Westphalien de 1648, qui s’est popularisé, de l’Europe où il est né jusqu’à l’Afrique, même en étant parfois un être fictif, nul ne doute que sa définition juridique étriquée en faisant un espace géographique occupé par une population et gouverné par un Exécutif qui en a le contrôle ne suffit plus.
C’est le flou artistique de ses traditions, valeurs, son vécu et l’immatériel l’enrobant qui en font une entité respectée.
S’y ajoutent donc les normes et règles, la prévalence du droit et d’une justice équitable, la transparence, gage d’une gouvernance honnête, une vision assise sur une mission au service de l’intérêt général pour qu’il s’inscrive dans les voies qu’empruntent tous les Etats dignes de ce nom.
Le Sénégal s’en est écarté progressivement depuis qu’un certain Macky Sall s’est installé à sa tête. Il est devenu un Etat voyou.
On peut penser qu’il n’est pas le seul dans cette détestable stature puisque l’ère des autoritarismes politiques est en train de raboter dans maints Etats de notre planète ce qui était l’avance démocratique que l’on avait pu croire définitive.
En ce début d’année 2021, en effet, les prescriptions qui encadrent l’Etat de droit sont violées un peu partout, la démocratie est assiégée, le libéralisme politique en reflux, la puissance publique, au nom de prétextes en tous genres, y compris sanitaires, est de retour.
La meilleure –ou pire- illustration de ce retournement de situation, alors que la gouvernance totalitaire triomphe de la Chine à la Russie, à la Turquie, à l’Arabie Saoudite et dans plusieurs pays africains, au nom de la célébration de l’Etat développeur, c’est la débile tentative du Président américain sortant, Donald Trump, de refuser de concéder sa défaite électorale dans la tradition établie de longue date dans son pays.
Qu’il finisse par déshonorer, décrédibiliser, sa principale revendication d’être la terre de la démocratie ne semble guère le déranger. Ce fâcheux, heureusement, n’a aucune chance d’empêcher que le 20 janvier, date de la passation des pouvoirs avec son successeur, la volonté d’alternance, actée dans les urnes par ses compatriotes lors du scrutin présidentiel du 3 novembre, se réalise.
Des institutions fortes, de la sécurité à la justice, se chargeront de le jeter, si besoin physiquement, hors du 1600 Pennsylvania Avenue, siège de la Maison Blanche, où sont les services de la présidence américaine.
Il partira. L’Amérique, avec un nouveau Président, en la personne de Joe Biden, sera en mesure de panser ses plaies démocratiques et de restaurer ses rituels et valeurs blafardés par un homme qui n’aurait jamais dû être son Président.
Un bémol néanmoins est que tout…con qu’il soit, tout merdique –plus que les pays africains qu’il a ainsi définis dans son langage suave-, Trump a cependant l’avantage sur ses suiveurs africains, en cela qu’il n’a pas pillé pour son intérêt ou celui de membres de sa famille les biens matériels et immatériels nationaux.
Il quittera donc avec ses mèches de cheveux en l’air et son air bougon, avant de n’être plus qu’une note de bas de page dans l’histoire de son pays, à la rubrique des hommes de déshonneur.
Ce qui met dans une position prééminente le Sénégal dans le déclassement des nations démocratiques, c’est sa mutation en Etat dé-normé, si l’on ose dire, frappé d’anomie, avec, à sa tête, un homme qui, tel un éléphant dans un magasin de porcelaines, détruit tout sur son passage, et a fini par réduire à néant la mystique de l’Etat-nation.
On rappelera ce matin qu’il a décidé par impréparation et incompétence de son louche ministre de la justice, le faussaire Malick Sall, de reporter sine die la rentrée des cours et tribunaux, rituel républicain s’il en fut, sans même sourciller. Dissoudre un parti politique parce qu’il a levé des fonds auprès de ses partisans, même si des personnes non-qualifiées ont pu s’en mêler, il faut être un adversaire de la démocratie, comme son minable ministre de l’intérieur, Antoine Diome, pour tenter de le faire sous les vivats d’une presse nationale corrompue. Quid de la révélation, passée étrangement à la moulinette par les acteurs politiques et la société dans son ensemble, qui a été faite par le fou du village, Maître El Hadji Diouf, selon laquelle Macky Sall «ne veut pas entendre parler d’élections d’ici 2024».
Tout, en vérité, est devenu flou. Nul ne sait où nous allons, ni ce qu’il reste de notre consensus national, et ce qui tient lieu de dialogue national, le dealogue, est le repaire des vendus et comploteurs du pays, sans épaisseur intellectuelle ni moralité, qui s’activent à blanchir les magouilles de leur principal. L’obscurité qui plane sur les affaires de la nation n’épargne aucun secteur, de la diplomatie, désorientée et ethnicisée, aux finances publiques, maquillées et privatisées, jusqu’aux forces de sécurité nationale devenues des milices au service d’un illégitime Président qui ne doit sa présence à la tête du pays qu’à travers des fraudes, une corruption et les menaces, la violence d’Etat…
Sur quelle planète sommes-nous ? Dans une démocratie, le débat contradictoire, la compétition électorale plurielle, à armes égalisées par des arbitres institutionnels, et le suivi d’un chronogramme, un échéancier, connu d’avance offrant aux partis et personnes qui concourent à l’obtention des suffrages des citoyens, sont les préceptes sensés servir de boussole à sa marche.
Dans le climat hobbesien, sauvage, qu’il a créé, Macky Sall ne compte plus que sur la violence illégitime, pour mâter, arrêter, déferrer, torturer, tricher, violer et détruire l’Etat de droit en empêchant quiconque veut s’opposer à lui de respirer. Il n’y parvient qu’au moyen du soutien dont il dispose de la part des va-t-en-guerre, ethnicistes, politiciens promus par son arrivée magouillée au pouvoir ou, plus récemment, par les transhumants politiques ou de la plume, sans compter les forces sociales aplaties sous ses pieds.
Firawona, le Pharaon, est cependant pris par le vertige. Ses méfaits ne lui ont pas permis de réduire la colère qui monte d’un pays maintenant convaincu qu’il est une malédiction pour la nation. Sa faillite est telle qu’il a le sentiment d’être au bord d’un précipice gourmand de l’aspirer vers le néant. Dans ce désert qu’il a fait du pays, dont les ondulations lui rappellent l’étendue infinie de ses échecs, de son impuissance, il avance vers sa chute. Inéluctable.
Adama Gaye*, Exilé au Caire est un opposant au régime de Macky Sall.
Ps : Je n’accorde aucune crédibilité à Maître El Hadj Diouf tant cet homme fantasque est changeant, au point de donner l’air d’être un pisteur de celui qu’il dénigre. On note donc ici sa sortie sur le refus injustifiable de Macky Sall de voir des élections ne pas se tenir d’ici 3 ans, simplement parce que sa révélation peut nous servir à savoir ce que pense celui dont il se revendique de l’amitié, en feignant de le brocarder. On note aussi le silence bruyant d’une Commission électorale nationale (CENA) confirmant ainsi son statut de championne de la compromission et d’ennemie qui complote contre la démocratie. Dans ce désert politique, intellectuel, électoral et, pour tout dire, d’un Etat de droit, les complicités sont nombreuses et partagées.