La solennité d’un message à la Nation ne permet pas d’aborder des questions à débat ou à polémique. Il n’y a que ce face-à-face avec la presse pour les évoquer et les clarifier. Le chef de l’Etat s’est prêté, comme c’est le cas depuis quelques années, à ce «after-discours». Affaire Aliou Sall, suppression des villes, 3ème mandat, amnistie de Karim Wade et Khalifa Sall…
L’amnistie pour Karim et Khalifa «pas à l’ordre du jour»
Il a été question, il y a quelques semaines, d’un projet de loi d’amnistie en faveur de Karim Wade et Khalifa Sall. Mais le chef de l’Etat ne semble pas se presser pour que les deux opposants, qui ne peuvent être ni électeurs ni éligibles, retrouvent leurs droits civiques et politiques. «Je ne voudrais pas personnaliser les débats. Mais ce débat (sur l’amnistie) n’est pas encore à l’ordre du jour. Donc je n’irai pas plus loin», a-t-il répondu. Macky Sall s’est aussi prononcé sur ses relations avec son prédécesseur. «Abdoulaye est non seulement un père pour moi, mais il a été surtout mon mentor en politique. Nous avons eu des divergences à un moment donné, mais qu’il faut inscrire dans le cadre politique. Mais Me Wade reste un politicien et personne ne peut le lui enlever. Il est vrai que je devais lui rendre une visite, mais entre-temps il y a eu le Covid-19 qui exigeait une distanciation. Par conséquent, ce n’était pas un moment idéal pour le faire», a-t-il expliqué. Interrogé sur ses «prouesses» de rallier ses adversaires les plus irréductibles, le Président Sall, qui ne le voit pas ainsi, dit : «Quand on peut avoir des convergences de vues dans le dialogue, c’est qu’on peut aussi travailler ensemble. Malheureusement au Sénégal, quand quelqu’un rejoint le pouvoir, il est le diable. Mais quand il est dans l’opposition, il est un héros. C’est à ne rien y comprendre ! Nous avons aussi besoin d’une opposition. Comment deux adversaires, l’un Président, l’autre deuxième, arrivent à se retrouver dans l’intérêt du pays ? C’est le charme de notre démocratie.»
«La suppression des villes n’est pas destinée à une personne»
Oumar Guèye n’a donc fait que porter la parole de son patron et ça ne pouvait être autrement d’ailleurs. C’est la première fois que le chef de l’Etat parle de la suppression des villes qui fait débat. Après avoir fait la genèse de la décentralisation, Macky Sall a indiqué que le statut de ville est devenu caduc. Sauf que certains voient dans cette réforme annoncée des «manœuvres politiques» pour combattre Khalifa Sall. «On n’a pas besoin de personnaliser les débats», a dit d’emblée le chef de l’Etat. Qui explique : «(…) En réalité, c’est le Parti socialiste – ce n’est pas pour provoquer – qui était là, qui a calqué sur ses coordinations, sur les communes d’arrondissement. L’Acte 3 a consacré le département comme collectivité territoriale. La ville flotte parce que les communes d’arrondissement sont devenues de plein exercice, donc d’égale dignité avec les mairies de ville. Dakar, Pikine, Guédiawaye, Rufisque et Thiès sont les 5 villes. Pourquoi Saint-Louis, Ziguinchor ou d’autres ne réclameraient pas le statut de ville ? Donc si c’était une question politique, même si on enlèverait la ville et on mettait le département, le vainqueur de la ville serait le vainqueur du département. Alors où est le problème ? La question est que la réforme entraîne la caducité du statut de la ville. Maintenant, l’argent de la ville doit descendre aux communes. Et il faudra trouver d’autres compétences aux départements comme la fiscalité. Donc c’est une réforme qui n’est pas destinée à une personne.» Macky Sall réfute, par conséquent, toute idée de peur de perdre Dakar. Et il argumente : «Depuis que je suis là, il y a eu 7 élections : J’étais premier au premier et second tour de la Présidentielle de 2012. Ma coalition a remporté les Législatives de la même année, mais elle a perdu Dakar aux Locales de 2014. En 2016 avec le Référendum, j’ai battu campagne et le ‘’Oui’’ a remporté à 55% le département de Dakar. En 2017, nous avons encore gagné les Législatives à Dakar, tout comme à la Présidentielle de 2019. Je remercie les Dakarois qui me renouvellent sans cesse leur confiance. Donc c’est moi qui suis redevable de Dakar. 7 combats, 6 victoires, 1 défaite et on dit vous avez peur de perdre Dakar. Pourquoi on aurait peur ? C’est vrai que les élections locales ne sont pas une élection nationale, c’est un combat à la base. Et moi je ne boxe plus dans cette catégorie. J’ai été maire de Fatick.» Le Président a rappelé d’ailleurs que cette question sera discutée dans le cadre de la Commission décentralisation et territorialisation des politiques publiques du dialogue national. Par conséquent, il estime qu’il n’y a pas de forcing. Selon lui, les Locales devaient se tenir, mais «c’est l’opposition qui a réclamé l’audit du fichier, qui date de 2016 d’ailleurs avec des cartes biométriques et l’évaluation du processus. Voilà ce qui a retardé les Locales. Quand ce sera fait, on ira aux élections. On ouvrira l’arène», a-t-il dit.
«Ni oui ni non»
C’est devenu presque un rituel. Comme l’an dernier à la même occasion, la presse a interpellé le chef de l’Etat sur son éventuelle candidature en 2024. Il maintient son «ni oui ni non». «Rien n’a changé entre l’année dernière et aujourd’hui sur cette question. Donc ma réponse reste la même. J’ai été élu par le Peuple. D’autres ont posé la question avant vous en 2017, 2018. Le moment venu, j’en parlerai. J’ai dit à mes camarades de parti de ne pas en parler parce que nous avons été réélus pour travailler. Je ne peux pas empêcher ceux qui ne sont pas avec nous de le faire. Mais je ne peux l’accepter venant de membres de mon parti ou de ma coalition parce que cette question n’est pas à l’ordre du jour», insiste Macky Sall. Sur le fameux «mbourou ak soow» évoqué par le leader de Rewmi, Macky Sall dit : «Idrissa est un acteur politique de premier plan, dou tiouné (amateur). Nous avons discuté et nous sommes tombés d’accord. Il n’y a aucun deal ou des engagements sur quoi que ce soit à part travailler dans l’intérêt du Sénégal.»
«Le Premier ministre n’a aucun pouvoir»
Beaucoup d’observateurs sont convaincus que le Président va restaurer le poste de Premier ministre. Mais les arguments servis hier par l’intéressé ne suggèrent pas une telle éventualité. «Il n’y a pas de répartition des pouvoirs entre le président de la République et le Premier ministre. J’ai été le Premier ministre de Wade, mais c’est lui qui dirigeait le pays et pas moi. Le Premier ministre n’a aucun pouvoir, même s’il a des responsabilités, comme l’administration, qu’on lui a déléguées», a-t-il rappelé. Il ajoute que le pouvoir appartient à celui qui est élu et sous ce rapport, la suppression du poste de Pm ne crée en rien un hyper présidentialisme. Ce, d’autant plus que le Président puise ses pouvoirs de la Constitution. «C’est lui qui nomme le gouvernement avec ou sans Pm. Est-ce que le gouvernement travaille aujourd’hui ou pas ? Donc le pouvoir exécutif est exercé par le président de la République, clé de voûte des institutions. L’Assemblée nationale, c’est une question de majorité qui soutient le président de la République. Si je n’avais pas la majorité, est-ce j’aurais pu faire passer ma politique ?», a-t-il dit.