Les propagandistes de sa Majesté s’érigent en « propagators ». Plusieurs de ces pseudo-preux chevaliers Bayard qui défendent la possibilité d’une nouvelle candidature de Macky avaient naguère soutenu le contraire
On assiste, selon un agenda bien défini, à un afflux de déclarations manipulatoires de personnalités gouvernementales, médiatiques ou judiciaires colportant et défendant à travers les médias la possibilité d’une troisième candidature du président Macky Sall en 2024. Comme si c’était une opération d’agit-prop savamment planifiée, les propagandistes de sa Majesté investissent les médias et s’érigent en « propagators », c’est-à-dire en latin «ceux qui font proroger une magistrature». Mais ce qui est cocasse dans cette vile opération de propagande, c’est que plusieurs de ces pseudo-preux chevaliers Bayard qui défendent la possibilité d’une 3e candidature ont naguère soutenu le contraire. La Var (Video Assistant Referees : traduisez l’assistance vidéo à l’arbitrage) est passée par là.
La réponse de Normand de Macky
Aujourd’hui, le président Macky Sall et général de l’Alliance pour la République (APR) a formellement interdit à ses militants et partisans de ne plus se prononcer sur la question du troisième mandat. En octobre 2017, donc avant la présidentielle de 2019, il s’est prononcé clairement sur l’impossibilité pour lui de briguer un autre mandat en cas de réélection : « C’est moi qui ai fait rédiger la Constitution. C’est réglé. Je ne peux pas me représenter à un troisième mandat. Mais pour le moment, c’est le deuxième mandat qui est en ligne de mire. » Cette position a été couchée dans son livre «Le Sénégal au cœur» paru en novembre 2018. A la suite, ses ouailles Seydou Guèye, El Hadji Kassé, Ismaïla Madior Fall, Aminata Touré, pour ne citer que ceux-là, ont embouché la même trompette du mentor.
Mais les nuances discursives subséquentes du président sur ladite question ont poussé les Sénégalais à douter de sa sincérité. La réponse de Normand servie le 31 décembre 2019, devant un parterre de journalistes invités au palais présidentiel, en dit long sur la volonté présidentielle de brouiller les pistes : « Je ne dis pas que je serai candidat ni que je ne serai pas candidat. Car si je le fais, mes ministres et directeurs généraux ne travailleront plus. » Et depuis lors, des personnalités politiques de l’APR, des avocats et IGE baltringues et des journalistes affairistes se sont donnés le mot pour colporter à travers des médias bien ciblés et des émissions bien ciblées la possibilité de la candidature de leur champion. Cette suspicion est renforcée par tous les limogeages ou exclusions de militants apéristes qui se sont prononcés en défaveur du 3e mandat.
Les juristes divisés
Le professeur de droit en retraite, Jacques-Mariel NZouankeu, est le premier juriste à dérouler le tapis rouge du 3e mandat à Macky Sall. «Aucune disposition de la Constitution ne règlemente la dévolution des mandats du président Macky Sall, c’est-à-dire la manière dont ils vont se succéder. La Constitution ne dit pas si le nouvel article 27 entre en vigueur à l’expiration du mandat en cours du président de la République. Surtout, nulle part il n’est écrit que le mandat de 7 ans est, ou n’est pas compris dans le décompte des deux mandats consécutif», a-t-il à la TFM. Mais ce n’est pas surprenant venant d’un politico-juriste d’origine camerounaise qui, en 2010, était l’un des rares universitaires à soutenir que la candidature de Wade était recevable. C’est ce même Jacques-Mariel Nzouankeu, homme lige de Jean Collin, qui justifiait les forfaitures du régime socialiste dioufiste pendant les années noires du collinisme ? Alors que vaut la parole d’un tel juriste qui se décolore en fonction des régimes ?
Le professeur de droit constitutionnel Babacar Guèye est plus catégorique quand il déclare que le Conseil constitutionnel qui est «interprète par excellence de la Constitution au Sénégal » peut aller dans un sens favorable à un troisième mandat du président Macky Sall même s’il reste profondément convaincu que juridiquement Macky Sall exerce son dernier mandat. Son collègue Mounirou Sy qui est de la mouvance présidentielle soutient que «la seconde disposition de l’article 2 7 de la Constitution écarte toute possibilité pour Macky Sall de briguer un troisième mandat».
D’autres praticiens du droit n’ont pas manqué de donner diversement leur avis sur la question. Je me passerai des positions caméléonesques de l’avocat-politicien loufoque Abdoulaye Babou sur la question qui commence à chambouler l’atmosphère politique. Mais ce qui est inadmissible, ce sont les journalistes qui sont embringués dans ce méli-mélo juridique et qui valident déjà la participation de Macky Sall à la présidentielle de 2024 en soutenant des arguments perfides et manipulatoires.
Journalistes manipulateurs
Madiambal Diagne, invité de MNF de la 7TV, le 2 décembre dernier, se fonde sur une prétendue jurisprudence Abdoulaye Wade pour donner un blanc-seing à Sa Majesté. Pourtant invité de RFM matin le 18 mars 2019, il a déclaré ceci : « Macky Sall ne peut pas être candidat. Les gens créent des débats artificiels. Macky Sall a dit partout qu’il ne fera pas un troisième mandat. C’est le président qui a verrouillé cette affaire de mandat, personne ne peut faire 3 mandats. »
Il a rappelé ensuite que le nombre de mandats que doit effectuer Macky ne souffre d’aucune ambiguïté parce que, avant le référendum de 2016, il avait chargé son ministre de la Justice d’alors en l’occurrence Ismaïla Madior Fall de travailler au verrouillage à deux du mandat lors de la révision constitutionnelle et cela de concert avec les Sages. Ce qui veut dire que le Conseil constitutionnel a pris, lors de cette révision, toutes les dispositions pour ne laisser plus tard aucun interstice d’interprétation de la loi sur le nombre de mandats. Si aujourd’hui, Madiambal donne la possibilité à cette institution d’appliquer une soi-disant jurisprudence Abdoulaye Wade, c’est parce qu’il est de mauvaise foi. Une jurisprudence s’appuie sur une décision prise par une juridiction supérieure en référant à un cas similaire. Or le cas similaire de la révision de mars 2016 de Macky est celle d’aout 2008 quand Wade faisait passer le mandat de 5 à 7 ans et non le changement de Constitution du 7 janvier 2001. Et le Conseil constitutionnel avait validé le 3e mandat de Wade en se fondant sur la nouvelle Constitution de 2001 et non sur la révision de 2008. Donc la référence jurisprudentielle de 2001 ne résiste pas à l’analyse juridique parce que ne constituant pas un précédent judiciaire pour valider une prochaine candidature de Macky.
Quand Madiambal prône l’illimitation des mandats présidentiels en se référant aux USA, il ignore qu’au pays de l’Oncle Sam, le 22e amendement, Section 1 adopté le 21 mars 1947, stipule expressément que «Nul ne pourra être élu à la présidence plus de deux fois, et quiconque aura rempli la fonction de président, ou agi en tant que président, pendant plus de deux ans d’un mandat pour lequel quelque autre personne était nommée président, ne pourra être élu à la fonction de président plus d’une fois». Dans l’histoire de ce pays, Franklin Delano Roosevelt est le seul président américain à avoir été élu à quatre reprises (33-45) dans le contexte de la crise économique des années 30 et de la 2e guerre mondiale. Et Georges Washington, élu en 1789 premier président des États-Unis d’Amérique, n’a pas voulu briguer un 3e mandat alors qu’il en avait toute la latitude. Mais la renonciation à un 3e mandat en fit une règle non écrite jusqu’en 1947. Et quant à Jacques Chirac, la Constitution de la Ve République lui permettait de présenter à nouveau en 2007. Mais la rétivité de Français à un 3e mandat via les sondages le poussa à renoncer à son projet. Si Chirac y avait songé, c’est parce qu’il considérait comme nul son mandat de 1995 où, à partir de 1997, le PS majoritaire à l’Assemblée nationale, gouvernait en cohabitation avec comme Premier ministre Lionel Jospin. Et c’est en 2008, sous le magistère de Nicolas Sarkozy, que le renouvellement consécutif du mandat n’est autorisé qu’une seule fois.
Quant à Mouth Bane, il a déclaré partout que le Conseil constitutionnel a validé la 3e candidature de Macky depuis son avis du 12 février 2016. Se fondant sur le considérant 30 du point 2.2 de la page 6 intitulé « la durée du mandat du président de la République », Mouth, après lecture biaisée du point 2.2 de la page 6 intitulé « la durée du mandat du président de la République », soutient que les Sages ont donné blanc-seing à Macky pour briguer un 3e mandat. Pourtant le considérant 30 est sans ambiguïté : « Considérant qu’il résulte de ces précédents (28 et 29, ndlr), initiés sans texte lors de la révision de la Constitution de 1963 par la loi constitutionnelle N° 91-46 du 6 octobre 1991 et consolidés lors de l’adoption de la nouvelle Constitution du 22 janvier 2001 et de la loi de révision constitutionnelle N° 2008-66 du 21 octobre 2008, avec le soutien de dispositions transitoires destinées à différer l’application de la nouvelle règle, que le mandat en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, par essence intangible, est hors de portée de la nouvelle ».
Ce qui signifie, comme l’a déjà démontré le grand juriste Seybani Sougou, qu’en 2016, le Conseil constitutionnel avait dit une et une seule chose : «la loi nouvelle portant sur une nouvelle rédaction de l’article 27 qui fait passer la durée du mandat du président de 7 à 5 ans ne peut s’appliquer au mandat en cours». Lors de la révision constitutionnelle de 2008, la loi 2008-66 disait la même chose : «la durée du mandat du président de la République est de 7 ans. La présente modification ne s’applique pas au mandat en cours du président de la République en exercice au moment de son adoption.» Par conséquent soutenir avec des œillères que le CC a validé déjà la candidature de Macky en 2024 pour on ne sait quel tropisme obscur, c’est verser dans la duperie et la manipulation.
Aujourd’hui, on ne devait même pas arriver à douter de la fin de l’odyssée présidentielle de Macky en 2024 du fait de la violence mortifère que le 3e mandat de Wade a généré et du fait que l’actuel président de la République a fait voter une loi constitutionnelle en 2016 pour éviter le syndrome de 2011.
Au lendemain des élections de 2007, le président Wade vainqueur avait déclaré en présence d’un certain Macky Sall à sa droite et de Bacar Dia à sa gauche ceci : « J’ai bloqué le nombre de mandats a deux je ne peux pas me présenter, je vous dis franchement que je ne me représenterai pas. » Et pourtant, il a brigué un 3e mandat. Macky a fait à maintes reprises la même déclaration que son ex-mentor. Reste à savoir, si la perfidie, l’audace et la boulimie du pouvoir l’inciteront comme Wade à ramer à contre-courant de son engagement et de la lettre et l’esprit de la Constitution.
SERIGNE SALIOU GUEYE