Sonko et Khalifa, la bataille de leadership

par pierre Dieme

Massification, alliance et remobilisation, Ousmane Sonko et Khalifa Sall tentent chacun d’occuper le vide laissé par Idrissa Seck à la tête de l’opposition sénégalaise. Une bataille de positionnement qui s’annonce âpre entre le leader de Taxawu Sénégal, à la reconquête d’une santé politique, et le chef de file des «Patriotes», à la recherche de la seule alternative crédible en 2024.

Il était considéré comme un farouche opposant du président Macky Sall. Arrivé deuxième lors de la présidentielle de 2019, Idrissa Seck était d’ailleurs perçu par beaucoup d’observateurs comme le leader naturel de l’opposition. Avec son entrisme dans la mouvance présidentielle, l’opposition est amputée d’une force réelle. En quittant le navire sans crier gare, le leader du parti «Rewmi» a chamboulé les cartes à la tête de l’opposition. Le président du Conseil économique, social et environnemental (Cese) laisse un siège vide. Un strapontin que le leader des «Patriotes», Ousmane Sonko, tente d’occuper. Perçu comme le nouvel homme fort de l’opposition, le chef de file du parti Pastef/Les Patriotes est au-devant de la scène et travaille avec force à la massification de son parti. Jusqu’à ce qu’un briscard de la vie politique sénégalaise (ré)apparaisse. Un homme au parcours envieux. Puissant leader de la coalition Taxawu Dakar qui a remporté, en 2014, 15 des 19 communes de la capitale sénégalaise aux Locales, avant de devenir Taxawu Sénégal. L’ancien maire de Dakar, Khalifa Ababacar Sall. La bataille de positionnement semble être ainsi lancée. Sur la scène, deux profils s’affichent. L’un cherche à se confirmer. L’autre, fauché en plein vol, les ailes tailladées par un pouvoir qui les trouvait beaucoup trop déployées à son goût, tente de se relever après plus de deux ans d’incarcération pour une accusation de détournements de deniers publics. Même si les deux hommes ont le même objectif : vaincre Macky Sall, il faudra forcément un capitaine de bord pour mener la barque à la bonne direction. Qui de Khalifa Sall ou de Ousmane Sonko est mieux parti pour ravir la vedette aux autres membres de l’opposition et se porter au pinacle des adversaires de Macky Sall ? La réponse du Professeur Moussa Diaw, enseignant-chercheur en Sciences juridiques et politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, est défavorable pour le camp de Khalifa Sall. Son analyse est fondée sur le passé judiciaire de l’ancien maire de Dakar. C’est là, une des limites qui se dressent sur le chemin du leader de la coalition Taxawu Sénégal. «Khalifa Sall a une pesanteur judiciaire qui pèse sur lui. Cela l’empêche de jouer le rôle d’Ousmane Sonko au sein de l’opposition. Il ne peut pas alors prendre la place de Sonko. Il peut être complémentaire avec le leader du Pastef, se positionner. Tant qu’il n’y a pas une amnistie, il ne peut pas avoir les coudées franches pour mener une activité politique qui lui permettrait de jouer le leadership dans l’opposition. Et l’amnistie ne peut être prononcée que par l’Assemblée nationale. Et ce n’est pas encore gagné. Et ça, c’est une contrainte qui pèse sur lui», analyse le professeur Diaw, sûr de son propos. Son argumentaire est partagé par le spécialiste en communication politique et enseignent-chercheur à l’Université Assane Seck de Ziguinchor, Jean Sibadioumeg Diatta. «Il n’a pas, en sa possession, sa liberté, rappelle Jean Sibadioumeg Diatta. Car jusqu’ici, il ne bénéficie pas d’une amnistie. En plus, son silence parfois face aux difficultés des Sénégalais pourrait constituer un obstacle.»

«Sonko a une grande avance sur Khalifa»

Dans l’espace politique, Khalifa Sall et Ousmane Sonko ont des arguments à revendre. Dans la capitale sénégalaise, Khalifa Sall contrôle 15 des 19 communes. Une large victoire acquise aux Locales de 2014. La coalition Taxawu Dakar portée par Khalifa Sall réalise un score de 95 000 voix. Mais en ce moment, Khalifa Sall avait au sein de sa coalition plusieurs responsables politiques qui ont aujourd’hui rejoint Bby. Les cartes ont ainsi été redistribuées. Avec les derniers résultats issus des Législatives de 2017 et de la Présidentielle de 2019, le poids électoral de Khalifa Sall semble avoir chuter. Le contrôle du département de Dakar par Khalifa Sall n’est plus une certitude. La majorité a gagné le scrutin du 30 juillet 2017 dans la capitale sénégalaise avec plus de 114 000 voix, contre près de 112 000 voix pour la coalition Manko Taxawu Sénégal dirigée par Khalifa Sall, soit à peine 2 754 voix d’écart. Un remake beaucoup plus cuisant à l’élection présidentielle du 24 février 2019 où Khalifa Sall avait soutenu Idrissa Seck, candidat de la coalition Idy-2019. Le Président sortant, Macky Sall, a été réélu avec près de 58,26%, soit 2 555 426 voix, dont 212 355 dans le département de Dakar. Il a été suivi à Dakar par le candidat Idrissa Seck avec 115 612 voix et Ousmane Sonko est arrivé troisième dans la capitale avec 101 003 suffrages. Puis la coalition «Idy président» a fondu comme beurre au soleil. L’ancien maire de Dakar s’est ainsi lancé dans une opération de remobilisation des troupes pour la mise en place d’un cadre élargi.

Dépeint comme un «nain» politique par rapport aux ténors du «système», le candidat de la coalition «Sonko Président» est, quant à lui, arrivé en troisième position pour une première participation à une Présidentielle. Ousmane Sonko s’est taillé une belle part avec 687 523 des suffrages, dont 101 003 voix dans le département de Dakar. Alors qu’aux Législatives de 2017, l’ancien inspecteur des Impôts et Domaines qui a dirigé la liste «Ndawi Askanwi» n’avait obtenu que 35 705 voix. Sonko et ses partisans sont passés d’un taux de 1,15% aux élections législatives de 2017 à 15,67% à la Présidentielle du 24 février 2019. Si Ziguinchor et Bignona semblent être les bastions des Patriotes, Ousmane Sonko a réalisé ses meilleurs résultats dans la capitale à la Présidentielle de février 2019. A Dakar, Sonko s’est adjugé 101 003 voix, contre 41 291 à Ziguinchor et 51 438 à Bignona. 

Deux leaders au sein de l’opposition qui essaient de se jauger, pour le maître de conférences assimilé à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Papa Fara Diallo. Docteur en Sciences politiques, il juge tout à fait légitime que chacun des deux cherche à construire autour de sa personne une grande coalition au sein de l’opposition pour préparer les échéances électorales à venir et incarner une certaine hégémonie. Toutefois, en termes d’avantage comparatif, chacun des deux a un atout sur l’autre. Pour Khalifa Sall, Papa Fara Diallo interroge la sociologie électorale de Dakar pour justifier sa bonne assise. «Khalifa Sall est une réalité politique, avec sa coalition Manko Taxawou Sénégal, même si entre-temps, il y a eu des défections de certains maires de commune qui ont décidé de rejoindre la majorité. Khalifa Sall a l’avantage d’avoir une longue expérience politique, une bonne assise politique à Dakar, mais de pouvoir continuer à puiser dans le grenier électoral du Parti socialiste. Il peut faire valoir ses arguments sur la table. C’est une figure charismatique de l’opposition qui a contrôlé Dakar depuis 2009 et qui continue de contrôler la majorité des conseillers municipaux de la Ville de Dakar», argumente l’enseignant-chercheur à l’Ugb. L’autre atout sur lequel l’ancien maire de Dakar peut miser, c’est qu’il continue de garder une certaine crédibilité. «Rares sont les hommes politiques qui, après une condamnation, continuent d’avoir cette popularité, sortent et regardent le peuple les yeux dans les yeux, la tête haute parce que convaincu qu’il était injustement condamné. Mais il gagnerait à sortir de Dakar et à commencer, dès à présent, s’il a des ambitions pour 2024, à renforcer la coalition Taxawu Sénégal, faire le tour du pays pour continuer à asseoir davantage sa légitimité nationale.» Pour Ousmane Sonko, son atout est, selon le Dr Diallo, son discours de rupture. Une ressource dont ne dispose pas le leader de Taxawu Sénégal. «C’est là la différence avec Khalifa Sall. On ne sent pas chez Khalifa cette rupture incarnée et assumée par Ousmane Sonko. Il semble beaucoup plus conciliant dans son discours, même si personne ne peut nier qu’il est resté dans une logique oppositionnelle vis-à-vis de la mouvance présidentielle. Cela peut clairement être un avantage d’Ousmane Sonko sur Khalifa Sall. Car le peuple s’identifie beaucoup plus à un discours de rupture. Et c’est un avantage comparable en faveur de Ousmane Sonko», explique Papa Fara Diallo. Et ce n’est pas l’unique attribut qu’il détient. «Sonko a eu à participer au moins à une élection présidentielle en tant que candidat et a fait ses preuves. Ce qui n’est pas encore le cas de Khalifa Sall. En termes d’avantage comparatif, Sonko a des arguments à faire valoir sur ce point», ajoute le maître de conférences assimilé à l’Ugb.

«Pastef détient un appareil politique plus solide que Taxawu Sénégal»

Malgré tout, pense l’enseignent-chercheur à l’Université Assane Seck de Ziguinchor, Jean Sibadioumeg Diatta, plusieurs facteurs font que Sonko a une grande avance sur Khalifa. «Le statut de député de Sonko lui donne une grande visibilité et lui permet même d’interpeller le Gouvernement sur des questions directes. Comparativement, Pastef détient un appareil politique plus solide, car ce parti, malgré sa jeunesse, a réussi à s’implanter dans tout le Sénégal et la diaspora, contrairement à Khalifa qui est plus visible à Dakar», explique Jean Sibadioumeg Diatta.

Tout comme Khalifa Sall, Ousmane Sonko présente aussi des limites. Dr Moussa Diaw : «Le côté négatif, c’est que Ousmane Sonko a tenu un discours par rapport au système clientéliste et la manière intéressée dont les affaires publiques sont gérées. Il avait tenu un discours va-t-en-guerre de combat du système, des pratiques politiques et de la façon dont le pays est gouverné. Il disait vouloir rompre avec ce système et construire une autre façon de faire la politique. Et maintenant, on le voit se rapprocher de responsables qui étaient au Pouvoir. Il risque de remettre en question ce qu’il condamnait hier. Le fait de revenir sur ce principe est une contrainte pour lui. On lui a d’ailleurs reproché récemment le fait de réconcilier Me Moussa Diop et Barthélémy Diaz.» Le docteur en Sciences politiques, Papa Fara Diallo, situe ailleurs ce qui peut constituer un obstacle pour le leader du Pastef. «Ousmane Sonko devra retravailler son discours en restant ferme sur ses convictions et sur sa ligne politique. En matière de marketing et de communication politique, il faut savoir disparaître pour mieux réapparaître. En un moment donné, trop de communication tue la communication. Il doit améliorer sa communication, planifier ses interventions et ses actions sur le terrain. Cela donnerait plus de retentissement à ses sorties et à ses interventions. Il peut se faire suppléer dans la communication du parti par des gens de forte carrure, en attendant les grandes occasions, les sorties du chef de l’Etat qui nécessitent qu’il réagisse lui-même.»

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