Projet de loi sur l’état d’urgence : l’état de droit, l’équilibre des pouvoirs, et la démocratie sénégalaise ébranlés par les dérives autoritaires de Macky SALL

par Dakar Matin

Projet de loi sur l’état d’urgence : l’état de droit, l’équilibre des pouvoirs, et la démocratie sénégalaise ébranlés par les dérives autoritaires de Macky SALL

Le projet de loi modifiant la loi °69-29 du 29 avril 1969 du 29 avril 1969 sur l’état d’urgence et l’état de siège diffusé sur les réseaux sociaux, le 24 décembre 2020 appelle les observations suivantes :

Observation n°1 : les dispositions du projet de loi existent déjà dans la loi de 1969

Le projet de loi est intitulé « loi relative à l’état d’urgence, à l’état de siège et à la gestion des catastrophes naturelles ou sanitaires ». Selon l’exposé des motifs (mensonger), la principale nouveauté est de prévoir un 3éme régime pour prendre en compte la gestion des catastrophes naturelles et sanitaires. La 1ére observation, c’est que la loi de 1969, notamment en son article 2 prévoit déjà que l’état d’urgence puisse être déclaré en cas d’évènements présentant de par

leur nature et leur gravité, un caractère de calamité publique . La « calamité publique » englobe un spectre large et est définie comme suit : catastrophes écologiques, catastrophes naturelles, ou catastrophes liées à des épidémies. Tous les évènements (il n’y a aucune restriction du point de vue de la loi) présentant de par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ont été pris en compte par le législateur et par la loi de 1969 sur l’état d’urgence et l’état de siège (les catastrophes naturelles, la Covid-19, ou tout autre événement grave similaire entrent dans le champ de la calamité publique). 

Conclusion sur le point n°1 : Soit ils sont fainéants et n’ont pris le temps de lire attentivement la loi de 1969, soit ils sont incompétents : dans les 2 cas, le projet de loi n’a pas sa raison d’être puisque la loi relative à l’état d’urgence et à l’état de 1969 a déjà prévu la survenance de catastrophes naturelles ou sanitaires en prenant en compte « tout évènement présentant de par leur nature et leur gravité, un caractère de calamité publique ».  En vérité, Le régime a élaboré un projet de loi qui ne sert strictement à rien, puisque la loi l’a déjà prévu. D’ailleurs, sur ce point précis, la loi de 1969 est plus complète que le projet de loi qui vise à la modifier, car la loi de 1969 prévoit tous les évènements graves ayant le caractère de calamité publique alors que le projet de loi ne vise que les catastrophes naturelles ou sanitaires.

Observation n°2 concernant l’article 24 nouveau :

L’article 24 comporte une disposition, inconstitutionnelle puisqu’il insère dans la loi relative à l’état d’urgence des dispositions nouvelles qui ne relèvent pas de l’état d’urgence. En effet, il est écrit « il est donné à l’autorité administrative compétente, sans que soit proclamé l’état d’urgence ou l’état de siège, de pouvoir prendre des mesures visant à assurer le fonctionnement normal des services publics et des populations ». A partir du moment où l’autorité décide de prendre des mesures sans recourir à l’état d’urgence ou à l’état de siège, ces mesures ne peuvent pas être insérées dans une loi relative à l’état d’urgence et à l’état de siège. En résumé, le régime veut créer un régime de non état urgence dans un régime d’état d’urgence (en WOLOF, on appelle cela du SOUPOUKANDIA, autrement dit, un plat culinaire avec un mélange de tout). L’état d’urgence est un état d’exception qui relève de dispositions spécifiques. Tout ce qui ne relève pas de l’état d’urgence ne peut y être inséré pour quelque motif que ce soit. Par conséquent, si le projet de loi est adopté, la loi sera inconstitutionnelle.

Observation n°3 concernant l’article 25 nouveau 

Il est précisé que les pouvoirs énoncés à l’article 24 énoncés sont exercés par le Président. Le Président prend des mesures qui relèvent de l’état d’urgence alors que l’exposé des motifs souligne que l’objet du projet de loi est de ne pas recourir aux dispositions de l’état d’urgence (une contradiction flagrante). Avec l’article 25, le Président prend de fait des mesures liées à l’état d’urgence et de sa prorogation : le couvre-feu, et la limitation des déplacements sur tout ou partie du territoire national, pour une durée d’un mois renouvelable. D’une part, il s’agit de mesures de restrictions des libertés publiques et d’autre part, c’est un dépouillement total des pouvoirs de l’assemblée (article 69 l’état d’urgence est une compétence partagée).

Observation n°4 concernant l’article 24 de la loi qui a été supprimé par le projet de loi 

L’avant dernier paragraphe de l’exposé des motifs précise que l’article 24 de la loi n°69 du 29 avril 1969 relative à l’état d’urgence et l’état de siège est supprimé. Or, l’article 24 supprimé précise que toutes les dispositions contraires à la loi sur l’état d’urgence et à l’état de siège sont supprimées. La suppression de l’article 24 de la loi actuelle prouve que le régime sait parfaitement que les nouvelles dispositions sont contraires à la loi de 1969

Observation n°5 : le projet de loi vise la Constitution alors que la Constitution ne prévoit pas que le Président dépouille l’assemblée de ses prérogatives

Le comble de l’amateurisme et de la nullité des rédacteurs du texte réside sans doute à ce niveau : le décret n° 2020-2378 ordonnant la présentation à l’assemblée nationale vise la Constitution. De quelle Constitution s’agit t’il ? Car la Constitution actuelle ne prévoit pas que l’assemblée soit dépouillée de ses pouvoirs (Ils seront incapables de citer l’article concerné).

Conclusion :

Les termes de l’exposé des motifs sont mensongers : la création d’un 3eme régime qui existe déjà dans loi de 1969 qui prévoit que l’état d’urgence peut être déclaré en cas d’évènements présentant de par leur nature et leur gravité, un caractère de calamité publique) et la création d’un régime de non état d’urgence dans la loi de 1969 relative à l’état d’urgence (la loi sera inconstitutionnelle, car les régimes sont distincts du point de vue juridique ; l’état d’urgence relevant de dispositions spécifiques). En l’état actuel du projet de loi, il est impossible du point de vue juridique, de modifier la loi n°69-29 du 29 avril 1969 relative à l’état d’urgence et à l’état de siège en y intégrant des dispositions qui ne relèvent pas de l’état d’urgence, sans modifier l’article 69 de la Constitution qui prévoit d’une part que le Président décrète l’état d’urgence et que d’autre part, l’assemblée nationale la proroge. Pour dépouiller l’assemblée nationale de ses prérogatives, et donner les pleins pouvoirs à Macky Sall, comme le prévoit l’article 25 du projet de loi, il va falloir modifier l’article 69 de la Constitution. Enfin, il convient de préciser que Macky Sall ne peut pas s’octroyer unilatéralement et arbitrairement de nouveaux pouvoirs non prévus par la Constitution. Le projet de loi n’a pas sa raison d’être (la loi de 1969 a déjà prévu les soit disant nouvelles dispositions), est dangereux (dépouille l’assemblée de ses prérogatives), et est inconstitutionnel (car il faudra modifier l’article 69).

Seybani SOUGOU – E-mail : sougouparis@yahoo.fr

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